Coupe du Monde 2022 : le Qatar a-t-il fait défiler de faux supporters dans les rues de Doha ?

Des images de supporters de pays comme le Brésil, l’Argentine, l’Angleterre, le Cameroun ou la Belgique défilant dans les rues de Doha, la capitale du Qatar, ont été diffusées et relayées massivement sur les réseaux sociaux comme Twitter ou Tiktok.

Cependant, plusieurs internautes se sont montrées sceptiques sur l’authenticité de ces supporters et suggèrent que ce sont des "acteurs" ou qu’ils sont "payés par le Qatar" afin de donner une bonne image de l’événement. En effet, dans certaines de ces vidéos, les supporters qui portent des maillots ou des drapeaux des pays qui participeront à la Coupe du Monde n’ont pas des "caractéristiques physiques" particulières aux différents pays supposés être représentés.

Dans l’une d’entre elles, diffusée sur TikTok par un utilisateur et non un compte officiel lié à la Coupe du Monde 2022, on peut lire : "Les supporters du monde entier sont bien arrivés au Qatar". La vidéo réutilise certaines des images diffusées par les comptes officiels où les supporters des différents pays se ressemblent physiquement, au-delà de leurs tenues et drapeaux représentant les différents pays.

Un Twitto explique sa vision des choses : "Je fais juste remarquer que les fans 'du monde entier' ont tous le même teint de peau, l’air un peu orientaux et jouent TOUS les mêmes instruments traditionnels quel que soit le pays d’où ils sont censés venir".

Peu après le début de la diffusion des images de supporters dans les rues de Doha, un article du tabloïd anglais "Express" s’est fait le relais d’accusations portées sur la légitimité de ces supporters avec le titre suivant : "Le Qatar est accusé de 'payer des acteurs' alors que des supporters anglais font la fête dans les rues de Doha avant la Coupe du Monde". Le média anglais ne fournit cependant pas d’élément factuel pour corroborer cette thèse.

De son côté, le média français "Brut" a analysé plusieurs comptes de supporters impliqués dans ces rassemblements festifs avant le coup d’envoi de la Coupe du Monde au Qatar. Il a pu mettre en évidence le fait que certains supporters participent à la "communication" de l’événement, notamment parce que certains d’entre eux sont des travailleurs indiens, travaillant au Qatar, et qui auraient été sélectionnés pour rejoindre le "fan-club" d’une nation qui disputera la compétition.

Les pages Instagram de ces "clubs de fans", comme celle du Brésil, ont été créées au début de l’été 2022. L’analyse des profils de ces "supporters" indique qu’avant ces défilés, aucun contenu ne laissait penser qu’ils supportaient déjà les équipes dont ils ont affiché les couleurs. Certains d’entre eux affichent même sur un même profil leur soutien à plusieurs nations.

Dans une autre vidéo, des personnes qui apparaissent comme étant des supporters de l’équipe nationale belge évoquent le nom des joueurs phare de notre sélection comme Eden Hazard ou Kevin De Bruyne, avec un accent prononcé.

Par ailleurs, ils évoquent Vincent Kompany comme faisant partie des meilleurs joueurs de la sélection, alors que celui-ci a pris sa retraite en tant que footballeur il y a plus de deux ans.

Cependant, les vidéos officielles ne mentionnent pas qu’il s’agit de supporters habitant les différents pays qui seront représentés à la Coupe du Monde. Elle les décrit comme des "supporters" ou des "fans". Elles n’évoquent pas (encore) l’arrivée de supporters venus des quatre coins de la planète pour encourager leur nation.

Dans une autre vidéo dédiée à un public hispanophone, la légende indique que "la fête du Mundial bat déjà son plein dans les rues de Doha".

L’analyse de ces différentes images de défilés de supporters indique qu’elles ont été diffusées le 11 novembre ou après. Certaines de ces vidéos mentionnent dans leurs légendes la ville de Lusail et plus spécifiquement la "Corniche". Il s’agit d’un endroit situé en bord de mer à 15 km au Nord du centre de Doha.

Une recherche dans les dépêches de l’Agence France Presse (AFP) permet de trouver des éléments qui permettent d’en savoir plus sur l’organisation de ce défilé.

Voici le contenu intégral de la dépêche publiée par l’agence le vendredi 11 novembre dans la soirée :

"Qatar : des milliers de travailleurs migrants défilent pour célébrer le Mondial.

Des milliers de travailleurs migrants ont défilé vendredi (ndlr, le 11 novembre 2022) à Doha, portant les couleurs des équipes de l’Argentine, du Brésil ou du Royaume-Uni, pour célébrer le Mondial à neuf jours de la Coupe du Monde de foot, selon un correspondant de l’AFP sur place.

Il s’agit d’un rare événement dans ce petit émirat du Golfe, où les rassemblements ne sont généralement pas tolérés surtout en plein cœur de la capitale.

"La police a été informée d’avance", a affirmé à l’AFP l’un des organisateurs de cette marche qui a requis l’anonymat. Des membres des forces de l’ordre ont d’ailleurs encadré le défilé des supporters, portant des maillots bleus et blancs de l’Argentine ou jaunes du Brésil. Le défilé est passé devant le palais royal, où il est habituellement interdit de prendre des photos.

Les migrants représentent plus de 80% des 2,8 millions d’habitants du Qatar. Ils sont majoritairement originaires d’Inde, du Pakistan, du Bangladesh, du Népal, mais aussi des Philippines et de pays d’Afrique comme le Kenya et l’Ouganda. Ce riche État gazier est régulièrement critiqué par les ONG pour le traitement de centaines de milliers de travailleurs migrants sur les grands chantiers du Mondial (20 novembre-18 décembre), dont l’organisation a mis en lumière les manquements à leurs droits et conduit à des réformes à partir de 2018.

"Les ouvriers étrangers au Qatar adorent le football et ils ont acheté un grand nombre de billets" pour la Coupe du Monde, a encore dit l’organisateur. "C’est un jour de joie pour nous", se réjouit Rajesh, un des supporters sur place. "Il n’est pas question de politique, nous allons uniquement chanter pour le football, surtout pour Lionel Messi."

"C’est ça notre liberté d’expression", dit Aju, un autre supporter de l’équipe argentine. "Les conditions de travail sont bien sûr difficiles […] mais le Mondial est un événement unique."

Fin août, les autorités qataries avaient expulsé des dizaines d’ouvriers étrangers ayant bloqué la circulation devant l’entreprise pour laquelle ils travaillaient pour réclamer leurs salaires impayés. Ils ont été accusés d’avoir "enfreint les lois sur la sécurité publique"."

Par ailleurs, différentes photos de presse ont été prises lors de ce défilé du 11 novembre. Elles sont disponibles via différentes agences de presse, sous licence de l’AFP.

Le mercredi 16 novembre, l’Agence France Presse a publié une dépêche reprenant les déclarations de supporters d’origine asiatique présents dans les rues de Doha pour supporter l’Angleterre. Les témoignages recueillis indiquent qu’il s’agissait de vrais supporters et qu’ils n’avaient pas été payés.

Côté qatari, le "Comité suprême d’organisation du tournoi" a également rejeté les accusations selon lesquelles le pays avait payé ces supporters : "Nous rejetons en bloc ces affirmations, à la fois décevantes mais pas surprenantes".

Cette polémique autour des images de supporters de football présents dans les rues de Doha à quelques jours s’explique par plusieurs aspects. Tout d’abord parce que l’organisation de la Coupe du Monde 2022 au Qatar fait l’objet de plusieurs controverses, notamment sur le statut des travailleurs qui ont construit les infrastructures.

En octobre dernier, des supporters belges ont été contactés via les réseaux sociaux par le pays organisateur pour leur offrir le voyage et une participation à la cérémonie d’ouverture. Une démarche entreprise alors que les billets pour participer aux matchs de notre équipe nationale sur place n’attiraient pas beaucoup de supporters des Diables Rouges.

Si des "supporters" ont bien été recrutés par l’organisation, des travailleurs locaux issus de différents pays comme l’Inde ou le Pakistan ont bien défilé dans les rues de Doha le 11 novembre de façon spontanée afin de participer à l’événement et apporter leur soutien à des nations phare du football mondial, selon les éléments factuels fournis par l’AFP.

Note de la rédaction ♦ Cet article a été modifié le mercredi 16 novembre à 14h30 afin d’y ajouter un paragraphe faisant mention des photos d’agence prises lors du défilé de supporters. La signature de l’article a été complétée avec la mention "avec l’AFP". Une mention de la dépêche de l’AFP publiée le 16 novembre en réaction aux accusations de la présence de faux supporters a également été ajoutée.