Belgique

Covid et psychologie avant le Codeco : Olivier Luminet, de l’UCL, pointe le risque d’une anxiété et d’un clivage de la population

La crise sanitaire, source d’angoisse, selon Olivier Luminet, de l’UCLouvain

© GettyImage et RTBF

Par K.D. et Matin Première

" On a une augmentation des contaminations ces derniers jours et elle prend malheureusement un aspect exponentiel ", a déclaré Yves Van Laethem.


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Un comité de concertation avec des mesures plus restrictives est donc sur la table des autorités. Des hôpitaux à nouveau au bord de la saturation. La quatrième vague de Covid est en train de gâcher l’automne des Belges et de nombreux Européens, avec, par exemple, nos voisins des Pays-Bas qui, eux, reconfirment pour quelques semaines. Sommes-nous prêts à revivre un pic de l’épidémie, à accepter de nouvelles mesures ? Où en est le niveau d’adhésion de la population ? Des questions posées à Olivier Luminet, psychologue de la santé et membre du Groupe d’experts Psychologie et Corona au sein de l’UCLouvain, qui était l’invité de François Heureux dans Matin Première.

Extrait de "Matin Première" de ce mercredi

Une « quatrième vague » de trop ?

" C’est sans doute la vague de trop parce que, en fait, à chaque fois, les gens ne s’y attendent pas. À chaque fois, on se dit : "c’est fini. Cette fois-ci, on est bon". Et puis ça recommence. Et en fait, on est pris par ce problème de prévisibilité qui est très coûteux au niveau psychologique. C’est que quand les choses deviennent imprévisibles, ça génère énormément d’anxiété. Et je pense que c’est ce qui est en train de se passer pour le moment, c’est que les gens ne voient plus très bien quelle est la suite de la situation" explique Olivier Luminet.

Ce problème de prévisibilité est très coûteux au niveau psychologique

Des "va-et-vient" difficiles à gérer

Il y a quelques mois, de nombreux d’experts et les autorités avaient avait pris l’image du marathon, de la course à pied. On sait à quel kilomètre on est. On sait combien il en reste avant la ligne d’arrivée. Ici, on ne la verrait donc plus, cette " ligne d’arrivée ".

" L’année dernière, on était justement dans une situation très difficile aussi, même encore plus difficile. Et à un moment donné, on a donné une espèce de ligne de conduite pour les mois qui suivaient " résume Olivier Luminet. " Malgré ces difficultés, les gens voyaient cette ligne de conduite pour plusieurs mois. Il y a une stabilité dans les mesures. Ici pour le moment, on va un peu dans tous les sens et c’est ça qui est difficile à gérer pour la population : ces va-et-vient constants. Quand il y a une prévisibilité, quand il y a une constance, comme l’année dernière, quand on déclarait en octobre que les mesures vont continuer pendant plusieurs mois. Et quand on descendra en dessous d’un seuil, on va alléger les mesures, les gens étaient prêts à faire cet effort. On l’a vu dans notre baromètre de la motivation. Pendant plusieurs mois, les gens étaient tout à fait prêts à faire des efforts, y compris pendant les fêtes de Noël l’année dernière ".

Pour le moment, on va un peu dans tous les sens

De nouvelles exigences

Peut-on dès lors encore espérer aujourd’hui obtenir une large adhésion de la population si on demande aux Belges, cet après-midi par exemple, de réduire leurs contacts ?

" Sur certaines mesures, tout à fait " estime le psychologue de la santé. " On voit effectivement que les gens sont encore prêts à faire certains efforts. Mais dès que ça va toucher leur sphère plus privée, ça va être beaucoup plus difficile. Donc, par exemple, les mesures faciles, c’est clairement ce dont on a parlé au niveau de la ventilation, au niveau du respect de la quarantaine. On voit que c’est des choses que les gens continuent à faire, mais dès qu’on descend dans une sphère plus intime, et qu’on a des exigences à ce niveau-là, par exemple revenir à la bulle, par exemple, ça, c’est des choses que les gens ne sont plus prêts à faire parce que c’est trop coûteux. C’est beaucoup trop coûteux, notamment en termes relationnels, quelque chose qui est absolument indispensable pour notre équilibre et notre bien-être ".

Dès qu’on descend dans une sphère plus intime […] c’est trop coûteux

Et concernant le port du masque ?

" Le port du masque, les gens sont prêts à le faire dans certaines conditions. De nouveau, quand on explique bien aux gens pourquoi c’est nécessaire de le faire. Ce qui est plus compliqué avec le port du masque, c’est quelque chose qui est devenu presque un enjeu idéologique. Et donc là, même si la majorité des gens continuent à le faire, on voit bien, notamment chez les gens non vaccinés, que chez certains, le fait de ne pas porter le masque est aussi une manière de dire "je suis contre les mesures actuelles" " pense Olivier Luminet.

Quelque chose qui est devenu presque un enjeu idéologique

Une liberté bafouée ?

Autre aspect de la question de la psychologie en ces temps de crise, avec le renforcement du Covid Safe Ticket par exemple. Assiste-t-on à un clivage dans la société, une division entre vaccinés et non vaccinés ?

Très clairement, pour l’expert : "on a repris des données hier et avant-hier sur plus de 2500 Belges. On voit très clairement qu’il y a un risque et que cette idée de vaccination obligatoire pour toute la population, c’est un risque de cliver la population. Au contraire du Covid Safe où là, même chez les gens qui ne sont pas vaccinés, ils peuvent comprendre que c’est un moyen d’encore réfléchir à la situation et peut-être de se faire vacciner. Mais ça offre aussi, ce Covid Safe – que l’on préfère appeler le Corona passe —, une plus grande liberté. Quand vous le présentez, on ne sait pas très bien si c’est parce que vous êtes vacciné ou parce que vous avez fait un test ou parce que vous avez été infecté récemment. Et le fait de laisser cette liberté de pouvoir faire un test, c’est quelque chose d’extrêmement important. On n’a pas à entrer dans l’intimité des gens pour leur dire "êtes-vous vacciné ?", on entre dans un monde très binaire, en fait ".


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Reportage JT du 27 septembre :

Fracture entre vaccinés et non-vaccinés

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« Bombe à retardement épidémiologique et sociétale »

La vaccination obligatoire pour tous serait est en quelque sorte contre-productif pour notre psychologie ? Ceux qui n’ont pas envie de se faire vacciner en auront encore moins envie si on les y oblige ?

" C’est absolument contre-productif " estime Olivier Luminet. " En plus du fait que ça semble difficilement applicable, il faudra peut-être voir ça au niveau juridique. Au niveau psychologique, c’est contre-productif, car on va faire vacciner des gens qui auront encore moins envie de suivre les gestes barrières et on sait bien que c’est un ensemble de mesures. Donc si vous allez contraindre des gens à être vaccinés et qu’en réaction, ils vont d’autant moins porter le masque et faire d’autant moins attention à la distanciation, c’est une bombe à retardement épidémiologique, et une bombe à retardement sociétale ".


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Et le scientifique de l’UCLouvain de préciser sa pensée : " Vous allez cliver encore plus ce groupe de personnes et on doit sortir de cette logique binaire. Il n’y a pas les "bons vaccinés" et les "mauvais non-vaccinés". Il y a des gens qui ne sont pas vaccinés, mais qui font attention, qui respectent les gestes barrières et qui comprennent bien que c’est une décision individuelle, mais qu’ils ont aussi une responsabilité collective qu’ils doivent faire attention ".

On doit sortir de cette logique binaire

Plan jusqu’au printemps

Le conseil aux autorités cet après-midi pour leurs prises de décisions serait d’avoir une vision à moyen terme, pour l’expert en psychologie. "Il faut établir un plan jusqu’au printemps à partir de maintenant " plaide Olivier Luminet.

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