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Créateurs de mode : l'âge d'or des profils bas

Créateurs de mode : l'âge d'or des profils bas.

© Miguel MEDINA/AFP

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Par RTBF avec ETX

John Galliano, Karl Lagerfeld : l'époque du règne des créateurs stars dans la mode est révolue. Et si les géants du luxe engagent encore des personnalités hors norme pour se repositionner, c'est la discrétion qui fait vendre. 

Ce sont les studios qui conçoivent les collections Louis Vuitton homme un an après le décès de l'Américain Virgil Abloh, designer noir engagé qui a insufflé un vent de streetwear, culture rap et NBA à la maison historique française du groupe LVMH.

Ce sera jusqu'à nouvel ordre le cas de Gucci, du groupe concurrent Kering, après le départ, fin novembre, du fantasque Alessandro Michele. En sept ans, le créateur artistique a érigé la marque italienne au rang des monstres du secteur et, victime de son propre succès, a été remercié lorsque les ventes ont commencé à baisser par rapport à Vuitton ou Hermès. 

"Les situations sont différentes" mais elles révèlent une tendance : "C'est l'âge d'or des profils bas", analyse Arnaud Cadart, gérant de portefeuille pour la société de gestion d'actifs Flornoy Ferri.

"L'identité de la marque n'est plus dans le créateur"

Le créateur de mode a perdu son "rôle christique", soutient Eric Briones, auteur de "Luxe et digital". Et Vuitton, qui "s'en sort très bien" sans directeur artistique, est "un cas d'école"

"L'identité de la marque n'est plus dans le créateur, les créateurs sont des interprètes de l'identité de la marque", déclare Julie El Ghouzzi, de l'agence de conseil Cultz. Hermès, Chanel, Dior, Vuitton : les exemples sont nombreux.

"Les maisons qui fonctionnent le mieux ces dernières années sont celles où le directeur artistique est discret", souligne Arnaud Cadart.  

"Essayez de citer les noms des designers d'Hermès (Nadège Vanhee-Cybulski pour les collections femme et Véronique Nichanian pour l'homme, ndlr). Quelle proportion des clients d'Hermès connaissent leur nom ?"

"Virginie Viard de Chanel, vous ne la voyez pas tous les quatre matins dans les journaux", poursuit-il. Chez Chanel, remplacer Karl Lagerfeld, star planétaire décédée en 2019, "est une mission impossible. Ils ont pris son bras droit, qui perpétue le travail, qui n’est pas mis en avant", dit Eric Briones.

Le bad buzz des fortes têtes de la couture

En revanche Demna Gvasalia, maître des provocations chez Balenciaga (Kering) cité parmi les 100 personnalités les plus influentes au monde par Time, est sur la sellette après une campagne mêlant enfants et accessoires sexuellement connotés. Son avant-dernier défilé en mars, un vibrant hommage à l'Ukraine dans lequel il a mis en scène des "réfugiés", a divisé. Certains ont apprécié le message émotionnel, d'autres étaient froissés par la façon de présenter les "sacs-poubelles" vendus ensuite à plus de 1500 euros. 

En octobre, Kanye West avait ouvert son défilé dans la boue, quelques semaines avant que Balenciaga ne rompe toute relation avec le rappeur en réaction à ses propos antisémites. "Cela crée du buzz négatif. Il est difficile d'imaginer que cela ne casse pas l'élan de la marque, qui fonctionnait très fort", souligne Arnaud Cadart.

L'affaire John Galliano, remercié en 2011 par Dior après une vidéo où il proférait sous l'emprise de la drogue des injures antisémites, a marqué le début de la fin des designers vedettes.

Et l'indispensable grain de folie de la mode ?

"Plus les maisons grandissent, plus le luxe devient un marché de masse. On va chercher des directeurs artistiques plus consensuels", souligne Benjamin Simmenauer, professeur à l'Institut français de la mode. "Cela comporte un autre risque : que les gens s'ennuient. La mode est censée divertir et poser des questions."

L'équation est délicate, comme le montre le cas d'Alessandro Michele. L'engouement pour ses défilés baroques et décalés ou pour ses créations ne convainc pas les milieux financiers, qui n'ont pas caché leur satisfaction à l'annonce de son départ. "Les marchés veulent que Gucci vende des sacs à main noirs au monde entier et pas des trucs roses bardés de fanfreluches que M. et Mme Tout-le-Monde n'oseraient pas porter en ville", souligne Arnaud Cadart. 

Pour Benjamin Simmenauer, faire de l'"intemporel" nuirait toutefois à Gucci, dont l'ADN est "profondément dans la transgression" : "Il faut une forme de séduction baroque, un peu de folie"

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