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"Dalva" d’Emmanuelle Nicot : "Je voulais raconter une histoire de reconstruction"

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(Attention, cet article et le film abordent le sujet de l’inceste.)

Quand les policiers arrivent, Dalva ne comprend pas pourquoi on la sépare de son papa. Du haut de ses 12 ans, la jeune fille proteste et se débat. Comment la justice peut-elle la séparer de son père, avec lequel elle vit seule depuis toutes ces années ?

Dans le foyer où elle va être placée, les premiers jours sont difficiles. Mais avec l’aide de Jayden, un éducateur bienveillant, et la complicité de Samia (jouée par Fanta Guirassy), une jeune fille de son âge, Dalva va peu à peu apprendre à s’ouvrir, et à déconstruire ce qui lui est arrivé. Un apprentissage difficile mais nécessaire de l’amour, de l’enfance, et de la reconstruction de soi.

Si le mot "inceste" n’est pas explicitement prononcé dans le film, ce sujet est le point de départ délicat du premier long-métrage d’Emmanuelle Nicot. A travers la fiction, Dalva aborde la question intime et hautement politique des violences sexuelles – des violences fréquentes et liées au genre, comme Les Grenades l’ont souligné.

Selon un rapport de l’ARES avec l’ASBL SOS Viol datant de 2016, on estime à 18 en moyenne, le nombre de viols commis chaque jour en Wallonie, et dans les affaires liées au viol, 97% des suspects sont des hommes et une victime sur deux (53%) est mineure d’âge. En Belgique, des associations telles que Femmes de Droit et L’Université des Femmes luttent activement contre l’inceste.

Derrière les chiffres, un film comme Dalva aborde l’inceste, mais aussi l’emprise et le déni qui l’accompagnent, avec un point de vue sensible et pertinent : celui de l’enfance. Le film est raconté entièrement du point de vue de son héroïne, accompagnée par la caméra qui la suit de près dans son cheminement vers l’enfance retrouvée.

Récompensé à la Semaine de la Critique et au Festival de Namur, Dalva d’Emmanuelle Nicot sort en salles ce 22 mars.


Save the date : le 28 mars au cinéma Vendôme à Bruxelles, Les Grenades vous invitent à une séance spéciale du film en collaboration avec la revue belge de cinéma Surimpressions, le magazine féministe axelle et les associations féministes Université des femmes et Femmes de droit.

Lien Facebook de l’événement ici.


Les Grenades ont rencontré la réalisatrice du film.

Pourquoi avez-vous choisi de raconter l’histoire de Dalva ?

C’est un mélange de plusieurs choses. D’une part, la thématique de l’emprise est quelque chose qui m’est familier. D’autre part, mon frère est éducateur, mon père l’a été aussi, et la question des enfants placés est un sujet qui m’intriguait. Il y a quelques années, j’ai passé deux semaines en immersion dans un centre d’accueil d’urgence pour adolescent·es en France. J’ai rencontré des enfants qui avaient été retirés de leur famille pour cause de maltraitance avérée, et qui continuaient à faire bloc avec celle-ci, en pensant que c’est la justice qui était injuste de les avoir placé·es. Leur souffrance était davantage due au fait d’être placé·es, qu’à ce qu’ils et elles avaient vécu.

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Ce déni tellement profond, il est là pour se protéger de l’emprise, c’est un mécanisme de défense, mais j’ai été étonnée de voir jusqu’où ça peut aller dans une relation parent-enfant. Enfin, dans mon processus de recherche, on m’a fait part d’une histoire, celle du père d’une copine, qui était éducateur. Il a été un jour appelé pour retirer une enfant d’une famille où il y avait suspicion de maltraitance. Il s’est retrouvé face à une petite fille très jeune, et très sexualisée, dans un jeu de séduction avec lui. C’est tout ce que je sais de cette histoire, mais je me suis demandé à quoi ressemblerait cette petite fille à douze ans, à l’âge des premiers amours, des premiers émois ? Tous ces éléments se sont mélangés, et c’est comme ça que j’ai eu envie de raconter l’histoire de Dalva.

© O’Brother Distribution

Le film est entièrement raconté du point de vue Dalva, qui est sous l’emprise de son père au départ, mais va en sortir progressivement.

Oui, Dalva vit seule avec lui, sans présence maternelle. Elle est déscolarisée, sans contact extérieur. En fait, son père en a fait sa femme. Elle est dans un déni très puissant, qui la protège de toute lucidité face à sa situation. Elle se raconte qu’elle et son père vivent une histoire d’amour que personne ne comprend. Mais le thème de l’inceste est un point de départ, je ne voudrais pas que mon film soit réduit à cela. Ce que je voulais avant tout, c’est raconter une histoire de reconstruction, d’émancipation. Un chemin vers la lumière.

Comment avez-vous trouvé votre Dalva en la personne de Zelda Samson ?

C’était un énorme casting sauvage. (NDLR : contrairement au casting ‘classique’, le casting ‘sauvage’ implique de trouver des acteur·ices non-professionnel·les, NDLR) Je cherchais une jeune fille qui vienne d’un milieu social de classe moyenne, voire aisée, qui ait une certaine maîtrise du langage. Quelqu’un qui ait un port de tête, une grâce… En Belgique comme en France, on a déposé des annonces dans des centres équestres, des écoles de danse classique, des écoles de musique, des académies de théâtre… En tout, on a reçu 5000 candidatures ! Parmi tout ça, il y avait la vidéo de Zelda.

J’ai eu un coup de foudre absolu devant cette fille de 11 ans qui se filmait toute seule dans sa chambre. Elle avait une grande maîtrise du langage, elle parlait avec un vocabulaire très soutenu. Elle expliquait qu’elle voulait devenir astrophysicienne spécialisée dans la matière noire, elle se voyait prix Nobel, elle avait un discours très féministe sur les garçons de sa classe. Et elle avait une aisance aussi, alors que d’habitude on est tellement gêné à cet âge-là. Son visage est très "cinégénique", sans être d’un âge précis. J’ai été touchée par ce mélange de candeur et d’assurance.

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Vous avez senti que c’était elle ?

Je travaille aussi beaucoup dans le casting, et quasiment uniquement dans le casting sauvage, parce que j’adore ça, c’est profondément ça qui m’intéresse. Et oui, de mon expérience, je crois que c’est comme une histoire d’amour, la personne que tu trouves, c’est une évidence, ça te touche au cœur. Mais il fallait ensuite convaincre les productrices, parce qu’il fallait quand même une certaine dose d’imagination pour voir Dalva là-dedans. Il faut savoir que quand je trouve Zelda, on est au deuxième jour du casting, sur un processus qui a duré en tout 4 mois. Je ne regrette pas d’avoir été jusqu’au bout de ce processus, parce que c’est le rôle-titre, elle porte tout le film, donc il ne faut pas avoir de regret !

A quel point c’était important pour vous que la comédienne qui joue Dalva ait une distance, soit protégée par rapport au sujet du film ?

Jamais je n’aurais eu l’idée de travailler avec une jeune fille qui aurait vraiment vécu un inceste, par exemple. Pendant le processus de casting, quand je contactais les jeunes filles, je discutais aussi avec leurs parents, pour leur expliquer que le film parlait d’inceste. La plupart disaient que leur fille ne connaissait pas ce mot, qu’ils et elles leur en parleraient. Avant de tourner, Zelda a eu une longue discussion avec ses parents, elle a compris de quoi il s’agissait. Ensuite, elle a été suivie pendant le tournage par une psychologue.

© O’Brother Distribution

Dalva est votre premier long-métrage. Un mot sur votre parcours, vos envies de cinéma ?

Je suis née à Sedan, dans les Ardennes, et à la base dans ma famille, on n’allait jamais au cinéma. Mais une fois par an, il y avait ce festival, "Les Enfants du Cinéma" à Charleville-Mézières, avec des films où les enfants sont les héros. Alors une semaine par an, mes parents nous emmenaient tous les soirs là-bas, et j’ai vu des films qui m’ont éblouie. Mon premier bouleversement c’était Le tombeau des lucioles : je n’ai pas dormi de la nuit ! A ma sœur de Catherine Breillat ou Después de Lucia de Michel Franco sont des films qui ont marqué mon adolescence. Ma passion du cinéma est arrivée via une amie cinéphile, qui m’a éveillée à ça. C’était une période nébuleuse de ma vie, et ça a été comme une porte qui s’ouvrait, pour renaître. C’est comme ça que je me suis lancée, vers 23 ans. J’ai commencé par une option cinéma dans ma fac de lettres à Reims. Pour la première fois, j’ai eu des bonnes notes (rires). Ensuite j’ai fait une licence de cinéma à Lille, où j’ai tourné mes premiers courts-métrages avec une caméra prêtée… Puis j’ai eu vraiment envie de pratiquer, et je me suis inscrite à l’IAD à Louvain, où j’ai passé 5 ans. Je suis sortie en 2012 avec mon court métrage ‘RAE’. 

C’était merveilleux de faire ce film avec autant d’amour autour de moi
 

Qu’est-ce qui a été le plus difficile, et le plus agréable, dans la création de Dalva ?

Je ne sais pas si c’est la réponse la plus intéressante, mais c’est la vérité : j’ai fait mon premier bébé et mon premier film en même temps. Le plus difficile, c’était d’aller au front tous les matins, alors qu’à côté j’avais un enfant de 5 mois que je continuais à allaiter, et qui se réveillait six fois par nuit. Niveau fatigue, c’était intense (rire). Mais en même temps, je suis immensément heureuse de la manière dont ça s’est mis. J’étais tout le temps sur un fil de funambule, mais je me suis sentie très bien dessus. C’était très dur, mais cet équilibre s’est imposé à moi. Le plus facile ? Faire ce film accompagnée de mes meilleures amies : ma cheffe opératrice Caroline Guimbal, et ma scripte Agathe Hervieu, avec qui j’ai énormément grandi et appris, ainsi que mes productrices Julie Esparbes et Delphine Schmit. Et même tout le reste de l’équipe, que je ne connaissais pas à la base. C’était merveilleux de faire ce film avec autant d’amour autour de moi.

Dalva d’Emmanuelle Nicot. Avec Zelda Samson, Alexis Manenti, Fanta Guirassy… En salles dès le 22 mars.

 

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