"Dangerous" de Michael Jackson a 30 ans : pourquoi c’est un album charnière dans l’histoire de la musique et la carrière du King of Pop

La pochette iconique de "Dangerous" de Michael Jackson a 30 ans.

© SONY

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Par Karim Fadoul

14 novembre 1991, au temps où internet, Youtube et TikTok n’existaient pas. C’était il y a trente ans, lorsque la télévision était le média tout puissant. Ce jour-là, des millions de personnes dans le monde (500 millions selon les estimations dans 27 pays) sont simultanément rivées devant leur petit écran pour découvrir "Black or White", le nouveau clip de Michael Jackson. L’artiste marque son grand retour après plusieurs années d’absence et le succès planétaire de l’album "Bad" sorti en 1987 et "Thriller", le disque le plus vendu de tous les temps, publié en 1982.

Les téléspectateurs ne seront pas déçus : comme avec "Thriller" ou "Smooth criminal", Michael Jackson propose un court-métrage musical de onze minutes avec en "guest stars", les Simpson et Macaulay Culkin ("Maman, j’ai raté l’avion"). Audience explosée et buzz réussi !

"Black or White" annonce surtout la sortie de "Dangerous", le nouveau CD de Michael Jackson attendu dans les bacs (comme on disait alors) le 26 novembre suivant. Un disque vendu à plus de 30 millions d’exemplaires et charnière à plus d’un titre dans la carrière de Michael Jackson. Le produit révolutionne aussi la musique et son industrie. Voici les principales raisons.

  • En raison du clip vidéo "Black or White" et ses séquences de morphing

Michael Jackson a fait de "Thriller" un clip culte de 14 minutes mêlant danse, horreur et ascensions dramatiques. De "Bad": une version "ghetto" de West Side Story. Il fera de "Black or White" un concentré de prouesses informatiques. Réalisé par John Landis ("Thriller", "Le Loup-garou de Londres"…), le clip est principalement connu pour ses deux séquences de morphing. C’est du jamais vu (ou presque) à cette période.

Le morphing consiste à enchaîner plusieurs images ou vidéos sans coupure, en les juxtaposant dans une sorte d’animation fluide et dynamique. Le film "Terminator 2" avait déjà utilisé cette technique à sa sortie en juillet 1991 dans les cinémas. "Black or White" est le premier clip à y avoir recours et a la partager avec le grand public.

La première séquence de morphing montre un enchaînement de visages d’origines différentes illustrant le propos de la chanson : "On s’en fout si tu es noir ou blanc". Elle dure 45 secondes. Il a fallu six mois pour la finaliser.

La deuxième intervient à la fin du clip, lorsqu’une panthère noire (une référence au mouvement noir des "Black Panthers" selon certains observateurs musicaux) prend l’apparence d’un Michael Jackson qui se met à danser, saccager une voiture, toucher son entrejambe et remonter sa tirette. De quoi créer une polémique pour les ligues moralisatrices américaines. La dernière partie du clip sera d'ailleurs censurée.

N'en demeure pas moins que le morphing deviendra rapidement une norme dans le monde de l'image.

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  • En raison de sa pochette complexe

Lorsque "Dangerous" sort le 26 novembre 1991, avant la première écoute, les regards se portent sur la "cover". Seul le regard de Michael Jackson apparaît. Tout autour, comme en mouvement, un univers complexe truffé de références.

Réalisée par Mark Ryden, l’œuvre nous emmène dans un cirque avec au-dessus des yeux, la tête d’un chimpanzé, des éléphants de part et d'autre, un chien en monarque et un volatile en reine, des colonnes humaines, le visage de P.T. Barnum, le créateur du célèbre cirque Barnum, un Michael Jackson enfant et un squelette vivant (allusion à celui d’Elephant Man que Michael Jackson voulait prétendument acquérir) dans une attraction de foire… Au centre de ce tableau coloré, un décor industriel sombre et peu accueillant.

Cette pochette a une signification, voire plusieurs. Et si le message principal que voulait transmettre Michael Jackson avait été le suivant : "Je suis la star la plus connue au monde mais le show-business n’est qu’un cirque et une ménagerie".

Cette pochette reste en tout cas l'une des plus iconiques de l'histoire de la musique entre autres celle d'"Abbey road" des Beatles ou "Nevermind" de Nirvana.

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  • Parce que "Dangerous" popularise un courant musical peu connu en Europe

Après avoir demandé au génie du jazz Quincy Jones de produire ses albums "Off the Wall" (1979), "Thriller" (1982) et "Bad", Michael Jackson décide de rompre avec celui-ci pour se tourner vers la jeune génération. Teddy Riley, compositeur de 22 ans, se voit confier par Jackson la réalisation de plusieurs morceaux de "Dangerous".

Teddy Riley est inconnu ou presque en Europe. Mais aux Etats-Unis, c’est déjà quelqu’un. On lui doit un courant musical qui cartonne chez les jeunes afro-américains : la New Jack Swing, mélange de r’n’b, funk et hip-hop. Les tubes qu’il a réalisés se nomment "Her" de Keith Sweat, "My prerogative" de Bobby Brown ou encore "Groove me" et "Wanna get wit u" avec son propre groupe Guy.

La barre est haute lorsqu’il entre en studio avec Michael Jackson. Mais ça matche : la fougue de Riley et le perfectionnisme de Jackson donnent naissance à sept des 14 plages de "Dangerous", de l’envoûtant "Remember the time" au sensuel "In the closet" au percutant "Jam" au sombre morceau éponyme "Dangerous".

L’album est un laboratoire techno dans lequel le duo va incorporer de vrais bruits de mécanique comme sur "She drives me wild". Riley va également convaincre l’auteur de "Billie jean" de s’essayer au rap, lui-même comme sur "Jam" et "Can’t let her get away" ou en invitant des pros (Heavy D, Aqil Davidson…).

Moins fréquente : la combinaison du rock (avec le solo du guitariste Slash des Guns N’Roses) et de la funk sur "Why you wanna trip on me" dans laquelle Michael Jackson demande à ses détracteurs de s’occuper de la faim dans le monde, des épidémies et de l’analphabétisme plutôt que de sa propre personne et ses excentricités.

Si les musiques rap et r’n’b ont envahi le monde à partir des années 90, on le doit à Michael Jackson et à Teddy Riley. Fort de son travail sur "Dangerous", Riley formera et influencera ceux qui deviendront les plus prolifiques beatmakers de la musique pop/r’n’b des années 1990, 2000 et 2010 : Pharrell Williams (Jay Z, Snoop Dogg, Justin Timberlake, Britney Spears…), Rodney Jerkins (Whitney Houston, Jenifer Lopez, Beyonce, Justin Bieber, Toni Braxton…) et Timbaland (Madonna, Missy Elliott, Aaliyah, Nelly Furtado…).

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  • Parce que Michael Jackson fait chanter une princesse

Non, ce n’est pas la mannequin britannique Naomi Campbell qui répond à Michael Jackson sur "In the Closet", troisième plage de "Dangerous". Le clip induit pourtant tous les fans en erreur. La star des "catwalks" y apparaît dans ce qui est considéré comme la vidéo la plus sexy de Michael Jackson.

Dans la pochette de l’album, la voix féminine n’est pas attribuée à Naomi Campbell, mais à la "Mystery girl", la fille mystérieuse. C’est un des secrets les mieux gardés à la sortie du disque : c’est la princesse Stéphanie de Monaco qui a enregistré ces passages. Connue pour son titre princier et sa carrière musicale limitée au hit du Top 50 "Comme un ouragan", Stéphanie de Monaco collabore avec la plus grande star planétaire et dans la plus grande discrétion, au grand dam de la presse people.

A l’origine, "In the Closet" devait être un duo avec Madonna. Mais le projet fut abandonné.

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  • Pour la popularisation des "cameos"

Michael Jackson va sortir plusieurs clips pour la promotion de "Dangerous". Dans chacun de ceux-ci ou presque, l’artiste use de "cameos", de plus ou moins brefs passages de vedettes internationales. Privilège que de figurer au côté du Roi de la Pop lequel profite de la notoriété de ces invités pour élargir son public, si cela est encore nécessaire.

Sur "Black or White", comme déjà dit, les invités se nomment Macaulay Culkin, les Simpson ainsi que l’acteur de séries télévisées George Wendt et la jeune top-modèle Tyra Banks. Pour "In the closet", la partenaire de jeu se nomme, pour rappel, Naomi Campbell.

Pour le court-métrage de "Remember the time", deuxième single de l’album, trois pointures donnent la réplique au chanteur : Eddy Murphy, la mannequin et épouse de David Bowie Iman et le basketteur des Lakers Magic Johnson. Le clip embarque cette distribution cinq étoiles en Egypte au temps de pharaons. Un symbole pour le magazine afro-américain "Jet" qui en fera sa une sous le titre "Souviens toi quand les noirs étaient des rois et des reines".

Dans "Jam", outre le rappeur Heavy D et les deux membres de Kriss Kross ("Jump"), on retrouve le pilier des Chicago Bulls Michael Jordan. A lui la tâche d’apprendre à Jackson à "dunker" et à Jackson de lui enseigner le moonwalk.

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  • Parce que c’est la concrétisation d’un contrat record avec Sony

En mars 1991, quelques mois avant la sortie de "Dangerous", la presse se pince en relatant la signature du contrat historique entre Michael Jackson et Sony, le géant japonais, acquéreur de la maison de disques américaine CBS trois ans plus tôt. Le "deal" prévoit la sortie de six albums, la création d’un label musical, des projets cinématographiques et surtout des royalties sans précédent à verser au chanteur. Le contrat est chiffré, selon les experts de l’époque, à un milliard de dollars. Du jamais vu !

De quoi donner des idées aux autres artistes "bankables". Les années qui suivront pousseront certaines pointures comme Mariah Carey, Beyonce ou encore U2 à taper du poids sur la table quand il s’agira de renégocier leur contrat pour s’assurer des rentrées plus confortables. Mais c’était avant l’avènement du web, du téléchargement et de la redéfinition du "business model" des maisons de disques.

Un bouleversement que Jackson avait semble-t-il anticipé en rachetant dès les années 80 des catalogues entiers de chansons dont ceux des Beatles ou de Little Richards, ce qui lui a permis de s’assurer des rentrées plus que confortables même lorsque ses propres ventes déclineront. Des catalogues qui comprendront sur la fin de sa vie des titres d’Eminem, de Beyonce et de Lady Gaga.

  • Pour cette interview confession avec Oprah Winfrey

Le 10 février 1993, nouveau grand moment de télévision. Michael Jackson, avare en interview, reclus selon ses détracteurs dans son ranch de Neverland aménagé en parc d’attractions, décide de parler à Oprah Winfrey, la journaliste numéro 1 de la télé US. Deux stars, face à face, pour un prime inédit. En marge de la visite exclusive du ranch, les téléspectateurs retiendront trois moments.

Le premier, c’est la révélation de la maladie dont souffre Michael Jackson depuis plusieurs années, le vitiligo. "Je suis un noir américain, je suis fier de ma race, je suis fier de ce que je suis", clame Jackson. "J’ai un problème de peau qui détruit la pigmentation de ma peau. Je n’y peux rien. Quand les gens racontent que je ne veux pas être qui je suis, ça me fait mal." Michael Jackson reconnaît aussi avoir eu recours à la chirurgie pour son nez et son menton.

Deuxième moment : ses révélations sur les violences psychologiques et physiques que lui faisait subir son père Joseph. Dernière séquence, plus musicale, ce sont ces 20 secondes de "human beat-boxing" à la manière d’un rappeur. Utilisant son palais, sa langue, sa bouche, Jackson livre un instant suspendu de percussion vocale en introduisant une prestation a capella de "Who is it", la plage 9 de "Dangerous". La star n’est pas issue du monde du hip-hop, mais y fait son entrée en tuant le game.

Cette interview demeure encore à ce jour un des programmes les plus regardés de l’histoire de la télévision américaine.

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  • Pour la mi-temps du Superbowl en 1993

Quelques jours avant son interview avec Oprah Winfrey, Michael Jackson accepte d’assurer, le 31 janvier 1993, le show prévu à la mi-temps du Superbowl, la finale du championnat de football américain entre les Buffalo Bills et les Dallas Cowboys. Cette finale est LE rendez-vous sportif de la saison aux Etats-Unis et la garantie d’un succès d’audience.

Si les finales sont suivies de bout en bout, les mi-temps font fuir les téléspectateurs qui partent se ravitailler en boissons et en pizzas. Depuis 1990, la NFL, la fédération américaine, tente de retenir le public en invitant des stars à performer sur scène.

Les New Kids on the Block acceptent en 1991, Gloria Estefan en 1992 avant que ce ne soit le tour de Michael Jackson en 1993. Plus de 133 millions de personnes, record absolu, resteront devant leur téléviseur pour regarder le mini-concert du chanteur, catapulté devant ses danseurs avant les premières notes de "Why you wanna trip on me" et "Jam". Michael Jackson chantera également un medley "Billie Jean", "Black or white", "We are the world" et "Heal the world", septième morceau de l’album "Dangerous".

Pour le New York Times, c’est bien simple, Jackson a redéfini le Superbowl.

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  • Parce que c’est le début de ses ennuis judiciaires

La promotion de "Dangerous" ne passera pas que par la réalisation de clips et des passages télévisés. Une grande tournée mondiale accompagnera le projet, le Dangerous world tour, entamé le 27 juin 1992 à Munich en Allemagne et terminée le 11 novembre à Mexico dans un contexte particulier : Michael Jackson accusé d’agressions sexuelles sur un enfant au mois d’août doit annuler plusieurs de ses dates. La plainte émane du père d’un jeune ami de la star, Jordan Chandler, 13 ans.

Cette plainte au civil (et non au pénal) marque le début des ennuis judiciaires de Michael Jackson, alors régulièrement entouré d’enfants. Sauf que cette affaire, soldée par un accord à l’amiable entre les deux parties et le versement d’une somme de 22 millions de dollars, révélera des éléments troublants : le refus de Jackson, quelque temps auparavant, de financer un projet cinématographique du père de Jordan Chandler (dentiste et divorcé de la mère de l’enfant), un enregistrement audio dans lequel le père menace de faire chanter le chanteur ou encore la rupture quelques années plus tard entre Jordan Chandler et son père.

Le documentaire "Square one" sur Prime Amazon relate les dessous de ce dossier qui a conduit Jackson à sombrer dans la dépendance aux antidépresseurs.

Si l’artiste clamera son innocence à plusieurs reprises et dénoncera les tentatives d’escroquerie, lors d’auditions filmées devant la justice et dans les paroles de plusieurs chansons de son album suivant "HIStory", de nouvelles plaintes pour agressions sexuelles sur mineurs feront surface. D’abord en 2003 avec la plainte du jeune Gavin Arvizo, 13 ans qui donnera lieu à un procès en 2005 à l’issue duquel le chanteur sera acquitté (enquête du FBI à lire ici).

Début 2019, à l’approche des dix ans de la mort de la star, Wade Robson et James Safechuck, anciens proches, raconteront dans un documentaire "Leaving Neverland" les agressions qu’ils disent avoir subies de la part du chanteur pendant de longues années lorsqu'il était enfant. Le clan Jackson, principalement ses frères, sa nièce (ex-petite amie de Robson) et son neveu Taj, montera au créneau pour dénoncer une nouvelle tentative de salir la mémoire du Roi de la Pop et de soutirer de l’argent aux gestionnaires de son héritage.

La vidéo amateur qui suit est une des dépositions filmées par la justice américaine en 1996 (et révélée par le Daily Mail) dans laquelle Michael Jackson répond aux premières accusations de pédophilie.

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