Monde Amérique du Nord

Dans la ville d’El Paso, tous les endroits ne se valent pas pour les réfugiés

© Brian Widdis

Depuis la fin des années 1990 et les nouvelles lois sur l’immigration restrictives passées sous la présidence de Bill Clinton, nombre de réfugiés d’origine latino-américaine tentent chaque année de traverser la frontière illégalement entre le Mexique et les États-Unis pour se ménager une vie meilleure.

Alors qu’auparavant, les travailleurs allaient et venaient au gré des opportunités économiques, la fermeture de la frontière et la détérioration des conditions économiques dans certains pays latino-américains ont entraîné une hausse spectaculaire des entrées sur le territoire dites "illégales".

C’est notamment le cas à El Paso, au Texas. Dans cette ville méridionale de l’État, coincée entre le Mexique et le Nouveau-Mexique, les migrants, venus en écrasante majorité d’Amérique centrale et du Venezuela, s’ils parviennent à passer l’imposant mur de métal et de barbelés qui sépare le Mexique et les États-Unis, n’ont d’autres choix que de rapidement trouver un endroit où ils pourront échapper à la police des frontières.

Même pour ceux qui parviennent à franchir l’autoroute et atteindre la ville, la partie n’est pas pour autant gagnée. Ils doivent ainsi éviter de croiser le chemin de l’ICE (Immigration and Customs Enforcement) qui mène en effet régulièrement des raids dans les différents endroits où les migrants ont l’habitude de se réunir. Pour ceux qui peuvent effectuer une demande d’immigration en bonne et due forme, le centre de convention de la ville a ouvert ses portes, déployant au total mille lits en ses murs. Mais c’est là bien trop peu.

Des "zones refuges"

Pour les autres, en grande partie Vénézuéliens, qui ne peuvent introduire de demande de naturalisation en raison des restrictions sanitaires ou à cause d’une convention cadre contraignante entre les États-Unis et leur pays, le seul espoir consiste à se rendre en zone protégée, en l’occurrence un endroit où l’ICE renonce à déployer ses agents, dans des endroits déclarés "zones refuges".

L’Église du Sacred Heart en est une. Tout autour de cet imposant édifice religieux jésuite construit en 1893, des centaines de migrants dénués de tout se sont réunis pour profiter de la sécurité que le lieu leur procure. En plus de cela, la paroisse, des associations ainsi que des citoyens de la ville distribuent des repas et veillent à assurer un service sanitaire minimum ainsi qu’à loger, dans la mesure des possibilités femmes et enfants dans le gymnase attenant à l’édifice.

Comme l’explique Jackson, 24 ans, arrivée récemment à El Paso avec sa femme enceinte, "la priorité consiste à trouver du travail et à se procurer assez d’argent pour se rendre dans (sa) ville de destination privilégiée". Pour ce dernier, c’est Boston, "puisqu’(il) y connaît de la famille", mais New York constitue également une possibilité.

Jackson dort avec trois de ses amis, sa femme et un jeune chien trouvé sur la route de l’autre côté de l’Église, à l’extérieur, mais sous un haut-vent. Le propriétaire de la maison a accepté qu’ils occupent cet espace protégé de la pluie. En ce jeudi, la chance est au rendez-vous : "J’ai en effet été embauché ce matin à quelques rues de l’Église par un entrepreneur en construction, et j’ai pu mettre 80 dollars en poche", déclare-t-il. Il en faudra cinq cents en plus pour qu’il rejoigne en bus avec sa femme les grandes villes de la côte est.

Une nouvelle aventure

Tout autour de l’Église, même si l’ambiance est à une certaine fraternité encouragée par des chants religieux, un certain chaos règne. Tous les migrants partagent la même incertitude face à leur sort. Un migrant vénézuélien, José, nous assure ainsi "vouloir aller aussi vite que possible au Canada, histoire de pouvoir envoyer de l’argent à sa compagne et ses deux enfants". Les quelques centaines d’individus présents, dormant à même le sol, ne peuvent compter que sur la générosité d’autrui pour subvenir à leurs besoins les plus primordiaux.

De l’autre côté de la rue, en plus de toilettes mobiles, des robinets mobiles permettent d’assurer l’essentiel. Les mines sont sombres, même si on sent chez d’aucuns le soulagement d’être passé de l’autre côté de la frontière. Demain, la semaine prochaine, une autre aventure commencera, celle consistant à pouvoir se mouvoir vers une autre ville sans attirer l’attention de la police des frontières. Avec toujours, la même interrogation : la vie sera-t-elle un jour prospère ? Et stable.

Joe Biden, qui ce dimanche s’est pour la première fois de sa présidence rendu à la frontière, détient en ses mains la réponse à ces questions. Il lui appartiendra de dire qui de Jackson, de José et des autres, pourra, et dans quelles conditions, réaliser son rêve d’une vie nouvelle, loin de la misère du pays.

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