Patrimoine

Dans les coulisses de la rénovation du Béguinage d’Anderlecht

Dans les coulisses de la rénovation du béguinage d’Anderlecht

© Johan Rennotte

Par Johan Rennotte

Le béguinage d’Anderlecht est le plus petit de Belgique. Il ne pouvait abriter que huit béguines en même temps. Fondé en 1252, ses bâtiments ont connu de nombreuses transformations. De délicats travaux de restauration ont eu lieu pour permettre à cet héritage local d’affronter l’avenir.

Un petit béguinage à la longue histoire

Alors qu’ils sont nombreux en Flandre, on trouve peu de béguinages en région bruxelloise. Celui d’Anderlecht est donc un vrai petit trésor culturel.

Imaginez-vous, il y a plus de 500 ans de cela. Anderlecht ressemble alors plus à un hameau qu’à l’actuelle commune très peuplée que nous connaissons. Nous sommes dans une campagne paisible et verdoyante, où le penseur Erasme a aimé trouver refuge, loin de l’agitation du monde.

C’est dans ce décor rural que se tient notre béguinage. Depuis le milieu du 13e siècle, il abrite une poignée de femmes qui vivent en communauté. Elles prient et suivent une règle de vie (comme le font moines et nonnes), mais ne sont pas religieuses. C’est-à-dire qu’elles n’ont pas prononcé de vœux. Célibataires, souvent veuves, rien ne les empêche de quitter le béguinage pour retourner à la vie laïque, se marier, avoir des enfants, etc. Ces communautés, apparues dans les environs de Liège au Moyen-Âge, sont alors très fréquentes dans nos régions (Belgique, Pays-Bas, nord de la France). En Flandre, certains des béguinages les plus importants sont classés sur la Liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO.

Gravure représentant le béguinage (par Etienne Cuyt)

On ne sait pas très bien à quoi ressemblait le premier béguinage, celui de 1252, ni son emplacement exact. Les bâtiments actuels sont plus tardifs, datant surtout du 18e siècle, avec des parties plus anciennes du 15e. Situé à deux pas de la collégiale Saints-Pierre-et-Guidon, il a d’ailleurs eu, à un moment, un accès privilégié à l’église spécialement conçu pour les béguines. En passant par un porche, qui n’existe plus, les femmes pouvaient accéder directement à la collégiale après avoir marché quelques mètres.

Les deux bâtiments ont gardé leur charme d’antan. Se faisant face, ils sont séparés par une cour où se tient un puits, et entourés par un petit mur de clôture. Jusqu’à il y a peu, l’ensemble était encore en briques apparentes. On pouvait bien imaginer à quel point le lieu paisible devait être idéal à la prière. Pourtant, ce n’est pas tout à fait comme cela que les béguines d’alors l’ont connu. Car depuis, il a subi de grands changements.

Gravure représentant le béguinage vers 1787 (JB Bodumont)

En 1797, la Révolution française passe par là. Les fonctions religieuses du béguinage sont supprimées, et il accueillera désormais des femmes vivant dans la pauvreté. Il subit probablement de gros aménagements à cette période.

À partir des 1930, le lieu abrite un musée de la vie locale et d’art religieux. Une fonction qu’il a gardée depuis, et qu’il continuera d’exercer à l’avenir. En 1970, le béguinage d’Anderlecht subit une première grosse rénovation. Il faut remplacer certains murs vétustes des bâtiments conçus, à l’origine, comme des bâtiments ruraux. La ville ayant gagné du terrain, l’activité humaine et la pollution ont abîmé les torchis et charpentes anciennes. On isole également les toitures… à l’amiante. Un élément qu’il a fallu évidemment prendre en compte dans la rénovation actuelle.

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À force de rénovations pas toujours heureuses, et d’exposition aux éléments, le béguinage entre dans le 21e siècle avec un constat alarmant : il a rapidement besoin de soins. Une rénovation est indispensable pour lui permettre de retrouver son aspect d’antan, mais surtout pour lui permettre de résister aux affres que lui réserve l’avenir.

Une rénovation soigneusement préparée

En 2010, des archéologues du CReA-Patrimoine de l’ULB ont entamé une première étude du bâtiment. L’importance des découvertes a donné lieu à un projet d’analyse du site associant Urban.brussels, l’ULg et l’IRPA. C’est qu’on ne restaure pas un patrimoine si ancien sans savoir exactement à quoi on a affaire. Il ne faut pas commettre d’impair, détruire par inadvertance ou utiliser des techniques et matériaux inappropriés.

Plusieurs études s’étaleront sur dix ans. Stratigraphie, dendrochronologie (soit la datation des éléments en bois) rien n’est oublié pour analyser au mieux le béguinage, et ainsi conserver au mieux les matériaux originaux, mais aussi ceux rajoutés avec le temps, qui font partie de l’histoire du lieu. Dans un tel projet, l’idée n’est jamais de terminer une rénovation avec des bâtiments dans un état impeccable, comme s’ils étaient neufs, mais bien de préserver ce qui existe, en ce compris parfois les imperfections.

Les travaux sont lancés, la commune en est le maitre d'ouvrage, sous les subsides d'Urban.brussels, et avec le concours du bureau d'étude Arter. Un tel chantier n’est pas à la portée de tous les corps de métier. Il a fallu sélectionner des entrepreneurs spécialisés dans la restauration du patrimoine, ainsi que des professionnels sélectionnés pour leur expérience en matière de bâtiments anciens. Même chose pour les matériaux à utiliser, qui ont dû être validés par la Direction du Patrimoine culturel d’Urban.brussels, avant de pouvoir être utilisés, chaque enduit a été testé au préalable pour voir s’il convenait aux enduits déjà présents. Ainsi, on évite les incidents malheureux : un matériau inadapté qui ne tiendrait pas assez longtemps, ou pire, qui endommagerait les matériaux historiques.

Redonner son lustre d’antan

Les travaux ont débuté avec l’extérieur. Il a fallu analyser chaque brique de chaque mur. Le but de ce travail laborieux : pouvoir en garder un maximum, même s’il a fallu en remplacer certaines trop endommagées par le temps et qui menaçaient l’intégrité des murs. Aux yeux des néophytes, certaines briques peuvent paraître moins " propres ". C’est que les experts ont estimé qu’elles étaient des traces historiques qu’il fallait conserver. Le choix d’en remplacer certaines est surtout dicté par leur état sanitaire. On n’a conservé que les briques qui ne partaient pas en poussière.

Le béguinage d'Anderlecht revêt une nouvelle couleur

Les murs extérieurs ont été recouverts de chaux. Une décision qui a fait réagir, tant les riverains étaient habitués à l’aspect naturel des briques. Mais la mesure n’est pas esthétique. Il fallait recouvrir les briques pour les protéger, car elles n’ont pas été conçues pour rester à nu. Elles s’abîmaient à cause des intempéries et du climat.

Les recherches ont montré que de la chaux avait auparavant été enduite sur la plupart des murs. La peinture à la chaux véritable a la particularité de devoir être repeinte régulièrement sinon, avec le temps, elle s’écaille et s’efface progressivement. Il est possible que ce soit le cas ici.

La charpente du béguinage d'Anderlecht

Ensuite, ce fut au tour des toitures et des combles. Ces dernières renferment d’ailleurs une exceptionnelle charpente en bois, dont une partie importante date du 15e siècle, et qui a rarement été montrée au public. On s’est très vite rendu compte qu’avec une toiture si ancienne, il ne serait pas possible d’atteindre les normes PEB en vigueur à moins d’altérer l’aspect patrimonial du bâtiment. La toiture ancienne n’est d’ailleurs pas le seul facteur qui pourrait empêcher d’obtenir une meilleure isolation : les portes, châssis anciens, les vitraux etc sont à prendre en compte.

L’intérieur des bâtiments a subi de nombreuses modifications au fil des agrandissements successifs qui émaillent la vie de l’endroit. Certains des murs datent également du 15e, tandis que d’autres sont des ajouts des 16e et 18e siècles. Ce qu’ils ont d’exceptionnel, c’est qu’ils sont en torchis, un matériau de construction dont les traces sont rares à Bruxelles. S’il a fallu en ôter certaines parties, pour assurer la stabilité de l’ensemble, les scientifiques ont étudié la technique de fabrication pour pouvoir la reproduire et ainsi reconstituer le plus fidèlement possible sans appliquer des techniques contemporaines qui nuiraient aux torchis originaux.

Détail d’un mur en torchis, matériau ancien rare à Bruxelles
Détail d’un mur en torchis, matériau ancien rare à Bruxelles © Johan Rennotte

Sur certains pans, les archéologues ont eu la surprise de découvrir des fragments de peintures murales, datant probablement du 18e. Si ces pans de murs étaient censés être repeints dans les projets originaux, il a été décidé de garder quelques fragments visibles, comme des témoins précieux de l’époque où les béguines arpentaient encore ces salles décorées.

Des fragments de peintures murales, représentant des motifs végétaux
Des fragments de peintures murales, représentant des motifs végétaux

La rénovation se veut aller au plus proche de ce que les béguines de cette époque ont pu connaître. Même les couleurs des châssis et des portes ont été soigneusement choisies pour être les plus semblables possible à celles que l’on pense être d’origine, grâce aux traces picturales retrouvées sur le bois. Ainsi, le minutieux travail des scientifiques et des corps de métier a totalement changé l’aspect du béguinage auquel Anderlecht s’était habitué, mais va surtout lui permettre de perdurer sans encombre, pour que de futures générations puissent également admirer cette petite perle de l’histoire bruxelloise.

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Lorsque les travaux seront terminés, dans les semaines à venir, il faudra encore aménager les nouveaux espaces muséaux. En septembre 2022, l’inauguration de la première phase aura lieu lors des Heritage Days. Ce sera l’occasion de visiter les salles encore vides, et d’en apprendre plus sur l’histoire du bâtiment et son archéologie. Au programme de ce week-end (samedi 17 et dimanche 18 septembre) : des visites guidées et des performances d’artistes.

En attendant, le béguinage ouvrira ses portes aux visites guidées le 18 juin prochain, à l’occasion des Urban Archaeology Days.

Retrouvez toutes les informations sur le béguinage et les activités en lien celui-ci sur le site web Maison d'Erasme & béguinage.

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