La principale conseillère de Kamala Harris, Symone Sanders, quitte son poste, annoncent les médias américains, ajoutant que "c’est la deuxième personne qui quitte le bureau de la vice-présidente depuis le début de son mandat". Le sous-entendu est clair : il y aurait des soucis dans le fonctionnement de son équipe.
La semaine dernière, c’était CNN qui sortait une longue enquête intitulée "Exaspération et dysfonctionnement : les débuts frustrants de Kamala Harris en tant que vice-présidente". La chaîne d’informations y donne la parole à des sources au sein de la Maison Blanche et met en avant les tensions qu’il y aurait entre les conseillers de Biden et ceux de Harris.
Ces reproches n’ont pas échappé à l’œil de Tanguy Struy, professeur de relations internationales à l’UCLouvain et spécialiste des Etats-Unis. "Il semblerait que ce soit Biden qui ait pris les choses en mains et qu’il lui ait donné des rôles secondaires, ce qui ne lui plaît pas trop et il y aurait des tensions entre les deux équipes."
Autre élément souligné par Tanguy Struye que l’on retrouve dans l’enquête de CNN : "Elle s’entourerait surtout de sa famille et non pas d’autres conseillers, ce qui ne facilite pas la gestion de son équipe décisionnelle. Et c’est quelque chose qui semble être répétitif. Quand elle était sénatrice en Californie et puis juge, ce problème était récurrent."
Enfin, "on l’a attaquée sur sa gestion du dossier migratoire à la frontière sud où elle a eu une interview malheureuse qu’elle traîne encore aujourd’hui." Une attaque que certains qualifient d’injustifiée, comme la correspondante du journal Le Monde, expliquant que Joe Biden avait lui aussi hérité de ce dossier à l’époque où il était vice-président d’Obama mais que personne ne lui a reproché l’afflux de migrants à la frontière.
Une vice-présidente finalement comme les autres
Alors, Kamala Harris serait-elle en difficulté en tant que vice-présidente des États-Unis ? "Non", répondent d’une seule voix les deux observateurs que nous avons contactés. "Il est tout à fait normal qu’une vice-présidente ait un rôle secondaire", commence Tanguy Struye. "Elle n’est pas plus en difficulté que les autres vice-présidents", complète Serge Jaumain, codirecteur d’Americas, le Centre interdisciplinaire d’étude des Amériques de l’ULB.
Nos deux spécialistes ne nient pas qu’elle est moins présente qu’il y a quelques mois quand Biden la mettait sur le devant de la scène. "Beaucoup de personnes sont un petit peu surprises mais c’est lié à la fonction même du vice-président", analyse Serge Jaumain.
"Elle est d’abord quelqu’un qui est là pour former un ticket avec le président au moment de l’élection. Et puis, son rôle dépend entièrement du président et de la place qu’il lui donne." Et de prendre l’exemple de Mike Pence avec Donald Trump. "Il a été très très peu présent."
Surmédiatisée et dénigrée
Mais la différence entre Kamala Harris et les autres vice-présidents, c’est qu’elle est une femme issue de la diversité. "La toute première", comme aiment le rappeler les médias américains mais aussi les démocrates.
"Pour la première fois, les États-Unis ont une femme, jeune, qui représente les minorités ethniques comme vice-présidente alors que le président est âgé. On a tout de suite pensé qu’elle jouerait un rôle de premier plan mais finalement, elle joue un rôle habituel de vice-président, d’être là au cas où et de répondre aux missions que le président lui confie", continue Serge Jaumain.
"Elle a été complètement surmédiatisée", analyse-t-il. "Ses moindres faits et gestes sont épiés." Dernier exemple en date : lors de sa dernière mission en France où elle a été critiquée pour une virée shopping trop onéreuse. "C’est horriblement sexiste", réagit Serge Jaumain. "Il est clair qu’elle est victime de discriminations sur base du genre et de sa couleur de peau. Barack Obama était déjà coutumier de critiques très violentes. Avec Kamala Harris, s’ajoute le sexisme."
"Qu’il y ait des dysfonctionnements dans son cabinet, c’est difficile à dire mais c’est tout à fait possible, continue le professeur à l’ULB. Mais dans ce cas-ci, on en fait beaucoup plus que pour les autres. Il faut prendre du recul."
Candidate en 2024 ? C’est là qu’elle est en difficulté
Si Kamala Harris a été présentée comme la relève naturelle de Biden en tant que vice-présidente, elle n’est aujourd’hui pas certaine d’être la candidate démocrate des prochaines élections américaines en 2024. Et pour cause : Biden s’affiche publiquement comme candidat pour les futures présidentielles. "Mais ce n’est pas du tout certain qu’il a réellement l’intention de l’être. D’autant plus que son âge, 82 ans en 2024, ne va pas jouer en sa faveur", selon Tanguy Struye.
En fait, Biden est obligé de s’afficher candidat à sa propre succession. "S’il disait aujourd’hui qu’il ne se représente pas, cela ferait de lui un 'lame duck' (canard boiteux en français). Il serait vu comme faible et perdrait en crédibilité dans les négociations avec les autres composantes de la politique américaine." Une position qui freine Kamala Harris dans sa fulgurante ascension depuis son poste de Sénatrice en Californie jusqu’à la Maison Blanche.
Une ascension qui, soit dit en passant, lui est aussi reprochée par ses détracteurs qui la jugent trop peu expérimentée pour accéder au poste de présidente. Success story ou manque d’expérience ? Tout est une question de point de vue donc.
Bref, le duo Biden-Harris est donc finalement coincé. La vice-présidente doit rester loyale envers son président et ne peut pas aller plus loin que les missions que son "patron" lui confère. Et le président ne peut pas la mettre trop sur le devant de la scène en la présentant comme future candidate de peur de perdre en légitimité.
"Ce sont les élections de mi-mandat dans tout pile un an qui définiront davantage la place de chacun", conclut Tanguy Struye. "On saura alors si les démocrates gardent la majorité à la Chambre et au Sénat. C’est mal parti. S’il y a une défaite, alors, c’est là qu’il pourra y avoir de vraies remises en question au sein du parti démocrate et de sa vision pour 2024."