Guerre en Ukraine

De Guernica à Boutcha, la liste interminable des crimes de guerre avec les civils pour victimes

Ruines de Guernica, ruines et corps de Boutcha.

© AFP / Getty / RTBF

Par Benoît Feyt (RTBF Info)

Les accusations de crimes de guerre se multiplient à Boutcha depuis le départ précipité de l’armée russe le week-end dernier. Les corps d’au moins 300 civils y ont été découverts, certains gisants à même la rue avec une balle dans la tête, les mains attachées derrière le dos. Selon les autorités ukrainiennes, ils auraient été massacrés délibérément par les troupes russes juste avant leur retraite.

Mais Moscou dément toute implication dans ces meurtres et parle de "mise en scène pour accuser la Russie". L’Union européenne, par la voix de la Présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a annoncé qu’une équipe d’enquête conjointe avec l’Ukraine serait prochainement mise en place pour recueillir des preuves et enquêter sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité qui se seraient déroulés à Boutcha.

Qu’est-ce qu’un crime de guerre ?

"Le droit humanitaire international stipule que l’on ne peut pas tuer les civils qui ne participent pas aux combats en temps de guerre, explique Pieter Lagrou, professeur d’Histoire contemporaine à l’Université Libre de Bruxelles. Cette notion a été développée durant la guerre civile américaine (1861-65). Elle a ensuite été codifiée dans la Convention de La Haye en 1907 et mise à jour dans la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre en 1949."

En principe, si un soldat commet un crime de guerre, c’est à sa propre justice d’établir les faits et de punir le responsable. Mais dans la pratique les armées ont souvent tendance à couvrir les crimes commis par leurs propres soldats, quand elles ne sont pas elles-mêmes responsables des ordres qui ont été donnés.

"C’est notamment pour cela qu’on a mis en place la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye, rappelle Pieter Lagrou. L’idée étant que la justice doit être rendue de manière indépendante, en organisant des enquêtes pour établir les faits et identifier les coupables. Mais la CPI ne juge pas par contumace. Il faut donc que les accusés soient extradés, ce qui dans le cas de Boutcha semble irréaliste car la Russie n’est pas signataire du traité qui organise la CPI, pas plus que les Etats-Unis et la Chine d’ailleurs.

Un principe régulièrement bafoué

Vue de Guernica après le bombardement de l’aviation allemande le 26 avril 1937.
Vue de Guernica après le bombardement de l’aviation allemande le 26 avril 1937. © Tous droits réservés

Depuis le 19e siècle, le droit de la guerre stipule donc que les civils doivent être épargnés en cas de conflit armé. Un principe dont on retrouve même des traces dans l’Antiquité. Mais force est de constater que ce principe est loin d’être respecté, comme l’illustre cette liste non exhaustive de crimes de guerre commis durant ces 100 dernières années.

Guernica

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Le 26 avril 1937, l’aviation allemande bombarde la petite ville de Guernica dans le Pays basque espagnol. L’attaque est menée sur ordre d’Hitler en soutien au général Franco, au plus fort de la guerre d’Espagne. Il s’agit du premier bombardement de civils de l’histoire militaire en Europe. On dénombre au moins une centaine de victimes.

Il s’agit d’un des crimes de guerre le plus emblématique du 20e siècle qui inspirera un célèbre tableau au peintre Picasso, républicain engagé contre le régime de Franco. Une reproduction de l’œuvre, qui dénonce l’horreur de la guerre et du totalitarisme, a été installée dans le bâtiment des Nations-Unies à New-York.

Oradour-sur-Glane

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Le bombardement de Guernica fut malheureusement suivi d’un nombre incalculable d’autres massacres délibérés de civils par le régime nazi dans toute l’Europe pendant la deuxième guerre mondiale. Varsovie, Leningrad, Marzabotto, Distomo, … Il serait impossible d’en faire ici une liste exhaustive. Mais un nom revient souvent, comme un symbole : Oradour-sur-Glane. Le 10 juin 1944, une unité SS a massacré près de 700 civils dans ce petit village français, situé près de Limoges, en représailles aux actes de sabotage orchestrés par des résistants dans la région. La cruauté de ce crime qui a notamment vu 350 femmes et enfants enfermés dans l’église du village avant d’y être abattus, reste encore dans les mémoires.

ORADOUR-SUR-GLANE
Plaque commémorative à Oradour-sur-Glane

My Lai

Les massacres de civils ont jalonné toute la guerre du Vietnam. Les troupes communistes du Nord Vietnam et leurs alliés du Sud ont régulièrement procédé à l’exécution de civils soupçonnés de pactiser avec le régime pro américain de Saïgon. A l’inverse, le régime de Saïgon a lui aussi exécuté sans discernement ceux qu’il accusait de collusion avec les rebelles communistes. Et pendant ses 20 ans de guerre au Vietnam, l’armée américaine a elle aussi commis de nombreux crimes de guerre.

Le massacre de My Lai a causé la mort de 504 personnes non-armées, parmi lesquels une majorité de femmes et d’enfants.
Le massacre de My Lai a causé la mort de 504 personnes non-armées, parmi lesquels une majorité de femmes et d’enfants. © Tous droits réservés

Celui commis dans le village de My Lai a particulièrement marqué l’histoire. Le 16 mars 1968, une unité de soldats américains y a exécuté plusieurs centaines de civils non-armés. Des femmes, des enfants et des vieillards. Un crime gratuit qui a ensuite fait l’objet d’un procès aux Etats-Unis. Sur la vingtaine de soldats inculpés, un seul fut condamné… assigné à résidence pendant 3 ans.

Halabja

Le 16 mars 1988, l’armée irakienne bombarde à l’arme chimique le village d’Halabja situé dans Kurdistan irakien. L’opération est officiellement menée pour déloger des troupes iraniennes présentes dans le village, alors que la guerre Iran-Irak (1980-1988) touche progressivement à sa fin. Près de 5000 civils kurdes périront au cours de l’attaque.

Ce massacre n’est malheureusement qu’un chapitre parmi d’autres de l’opération Anfal lancée par Saddam Hussein contre la population kurde d’Irak début 1988, qui finira par raser près de 90% des villages de la région en causant la mort de 182.000 personnes. L’attaque à l’arme chimique de Halabja suscitera peu de réactions des pays occidentaux qui considéraient à l’époque Saddam Hussein comme un allié. Le gouvernement irakien finira par reconnaître le massacre de Halabja comme un acte de génocide en 2010, soit quatre ans après la mort de Saddam Hussein.

Les rues de Halabja au lendemain de l’attaque chimique contre la population kurde du village.
Les rues de Halabja au lendemain de l’attaque chimique contre la population kurde du village. © ESLAMI RAD/GAMMA-RAPHO

Srebrenica

 

Le massacre de 8000 hommes et garçons musulmans bosniens par les forces nationalistes serbes de Bosnie, entre le 11 et le 16 juillet 1995, est toujours considéré aujourd’hui comme le pire crime de guerre commis en Europe depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Exécutées pour leur appartenance ethnique et religieuse, les victimes auraient dû bénéficier de la protection des 400 Casques bleus néerlandais présents sur leur terrain. Mais au lieu de protéger ces civils, les représentants de l’ONU sur place ont accepté de trier hommes et femmes sous la pression des soldats serbes, qui les ont ensuite exécutés. Ce crime de masse a été qualifié de génocide par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et la Cour internationale de justice (CIJ).

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Srebrenica, quelques heures avant le massacre ciblé des hommes et garçons musulmans, la population implore les Casques bleus de les protéger.
Srebrenica, quelques heures avant le massacre ciblé des hommes et garçons musulmans, la population implore les Casques bleus de les protéger. © Tous droits réservés

Une liste interminable

A cette liste non exhaustive de crimes de guerre, il faut évidemment ajouter les millions de victimes civiles des génocides du 20e siècle (le génocide des Arméniens par le régime Jeunes-Turcs en 1915-16, le génocide des Juifs par les Nazis pendant la deuxième guerre mondiale et le génocide des Tutsis du Rwanda par les Hutus extrémistes entre avril et juillet 1994), les victimes civiles des dictatures en tout genre qui se sont succédé au cours du 20e siècle et qui survivent encore aujourd’hui.

Et puis, il y a toutes les autres victimes, les populations civiles qui subissent ces guerres dites "non conventionnelles" aujourd’hui dans une indifférence quasi généralisée. On pense notamment aux populations de l’Est de la République démocratique du Congo qui subissent quasi quotidiennement des exactions d’une cruauté sans nom, sans témoins ni procès, depuis près de 25 ans.

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