Santé physique

De l'ADN humain capturé dans l'environnement

De l'ADN humain capturé dans l'environnement.

© Yuichiro Chino

Par RTBF avec ETX

Pister des personnes en suivant l'empreinte génétique qu'elles ont semée dans l'environnement : ce sera un jour possible selon des scientifiques qui ont capturé de l'ADN humain dans le sable, l'eau et même l'air, et redoutent des dérives.

Cette découverte pourrait déboucher sur des applications pour la médecine, l'environnement ou la criminalistique. Mais elle pose un problème éthique au vu de la facilité avec laquelle ces traces de vie humaine ont été récoltées, avertissent les auteurs de l'étude parue lundi dans Nature Ecology and Evolution. Eux-mêmes surpris par les résultats de leurs travaux, ils appellent à poser des "garde-fous" contre des atteintes à la vie privée.

"Prise involontaire de génome humain" : des zoologues ahuris !

Développée récemment, la technique d'ADN environnemental est utilisée pour traquer des espèces sauvages et mieux connaître la biodiversité. Elle consiste à prélever des échantillons dans les milieux naturels des animaux, qui laissent des traces génétiques dans leur sillage via les cellules (peau, poils, écailles...) qu'ils perdent en permanence. 

L'être humain n'échappe pas à la règle, répandant son ADN (le support de l'information génétique propre à chaque individu) partout où il passe : en foulant la plage, en se baignant, en toussant et postillonnant dans l'air ou en tirant la chasse d'eau...  Des empreintes habituellement furtives, que les scientifiques ne s'attendaient pas à capturer à si grande échelle selon l'étude.

Cette "prise involontaire de génome humain" a commencé dans le laboratoire Whitney de biodiversité marine de l'Université américaine de Floride avec des prélèvements de sable pour étudier l'ADN environnemental de tortues marines. Les chercheurs s'attendaient bien à trouver un peu d'ADN humain dans les échantillons, souvent contaminés par les personnes qui les manipulent.

Mais pas en aussi grande quantité et d'une qualité "presque équivalente à celle d'un échantillon prélevé sur une personne".

Sur le terrain, lui et son équipe ont trouvé des empreintes génétiques humaines presque partout : dans l'océan et les rivières autour du laboratoire, près des centres urbains comme dans des lieux moins peuplés, sur le sable de plages isolées...

L'ADN récolté s'est révélé particulièrement "bavard"...

Le Pr Duffy a testé la technique dans le climat plus frais de l'Irlande, son pays d'origine, et débusqué de l'ADN humain en remontant le cours d'une rivière sauf à sa source, loin de toute civilisation. Dans un hôpital vétérinaire, la collecte d'échantillons d'air ambiant a révélé la présence d'ADN correspondant au personnel et à des virus animaux, précise l'Université de Floride dans un communiqué.

Les séquences d'ADN récoltées étaient suffisamment longues pour être "lisibles", permettant d'identifier des mutations associées à des maladies comme le diabète et de déterminer des ascendances génétiques, a précisé Mark Mc Cauley, l'un des principaux auteurs. Ils ont même pu séquencer des parties du génome de participants volontaires ayant accepté le prélèvement de leur ADN à partir de leurs empreintes dans le sable.

"Pour des raisons éthiques, nous n'avons pas examiné nos séquences de manière à pouvoir identifier des individus spécifiques. Mais il est certain que cette étape sera franchie un jour. La seule question est de savoir quand", a commenté Mark Mc Cauley lors d'une conférence de presse.

Comment protéger la vie privée génétique ?

A l'avenir, la collecte d'ADN environnemental humain pourrait "être bénéfique à la société" en aidant par exemple à détecter des mutations cancéreuses dans les eaux usées ou à identifier le suspect d'un crime n'ayant pas laissé de trace plus tangible comme de la salive ou du sang, selon ce chercheur au laboratoire Whitney.

Mais cela soulève autant d'espoirs que de "vives inquiétudes quant à la protection de la vie privée génétique et aux limites du maintien de l'ordre", relève Natalie Ram, professeure de droit de l'Université du Maryland.

Elle pointe un risque "de surveillance génétique perpétuelle".

Des préoccupations partagées par les auteurs, qui redoutent une utilisation de la technique à mauvais escient pour notamment "traquer des individus ou cibler certaines minorités ethniques". Se pose aussi la question du consentement pour récolter des données qui "flottent librement dans l'air", souligne Mark Mc Cauley.

"C'est pourquoi nous alertons dès maintenant les scientifiques et la société à considérer nos résultats et développer la régulation nécessaire pour encadrer les recherches sur l'ADN humain", insiste le Pr Duffy.

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