Les Grenades

De la Méduse à Britney Spears : quand les "mauvaises femmes" deviennent les personnages centraux de nos histoires

© Editions Presque Lune

En exergue de ce livre, une citation de Gloria Steinem provoque déjà un petit remous interne : "Nous sommes les femmes contre lesquelles nos parents nous mettaient en garde. Et nous en sommes fières". Et si on ressent cela, c’est peut-être que cette phrase se rapproche du slogan féministe "Nous sommes les petites filles des sorcières que vous n’avez pas pu brûler".

Ces femmes-sorcières, ces mauvaises femmes qu’il était interdit d’approcher et auxquelles il ne fallait pas ressembler. Des siècles et des siècles ont dû passer pour qu’enfin des historiens et historiennes se penchent sur leurs histoires et démêlent le vrai du faux, mettent en avant la vérité sur ces femmes bien trop longtemps considérées comme des monstres.

D’une histoire personnelle…

De ce postulat est partie Maria Hesse, illustratrice et autrice espagnole, avec son nouveau livre au titre provocateur Ces mauvaises femmes. Si nous pensions lire un ouvrage de portraits de femmes, il n’en est rien, ici pas de pages consacrées à une seule femme en particulier mais un recensement de personnalités à travers les époques qui ont marqué grâce leur caractère fort et qui souvent leur a valu des destins semés d’embûches.

L’autrice commence à évoquer son histoire personnelle et nous livre son traumatisme d’enfant harcelée dont le surnom était "foldingue". Tout en évoquant cette blessure, elle effectue une analogie avec la chanteuse espagnole Zahara que les camarades de classe surnommaient Merichane (prostituée du coin). En est sorti un album très personnel Puta et cette chanson "Canción de muerte y salvación" (Chant de mort et de salut) qui résonne comme une libération pour toutes celles qui un jour ont été affublées de mots qui ne les représentaient aucunement.

Maria Hesse parle d’elle pour évoquer le poids des mots dont on charge les femmes depuis des millénaires et pour parler de la difficulté de se départir de ce spectre de mauvaises femmes dont on ne sait pas réellement ce qu’il recouvre. Car sous couvert de ces mots maltraitants se trouve une multitude d’autres adjectifs donnés aux femmes : folle, hystérique, vengeresse, immature, … tout autant de démonstrations pour rabaisser, détruire et réduire au silence.

© Editions Presque Lune

… à des histoires universelles

En exposant des histoires venues des temps les plus anciens, Maria Hesse distille des portraits de femmes provenant de l’Antiquité à l’époque contemporaine. De la figure de Marie aux portraits de reines espagnoles, on découvre des femmes adulées pour leur pureté ou au contraire bannies car soi-disant mauvaises.

Folles, folles, toujours folles.

Les deux reines espagnoles mises à l’honneur par l’autrice sont Uraque (11e siècle) et Jeanne 1re, dite Jeanne la Folle (15e siècle). Elles sont toutes deux héritières de la couronne, pourtant aucune n’a véritablement régné sans le contrôle opprimant d’un père ou d’un mari qui ont à chaque fois réduit leur pouvoir d’exécution. "Folle ou détestée, maudite et presque toujours seule : voilà semble-t-il, le destin de toutes les femmes qui se hissent jusqu’au pouvoir."

Maria Hesse explore aussi bien les histoires des siècles passés que celles qui se jouent encore à notre époque contemporaine. Les cas sont légion de ces femmes considérées comme l’antithèse de ce qui est attendu par la société patriarcale. Britney Spears d’abord considérée comme l’enfant de la nation américaine, qui au fur et à mesure d’un succès grandissant commence à être perturbée de toute cette attention. Le cas de Britney n’est pas anodin et l’histoire nous le rappelle sans cesse.

Les différences établies entre "mauvaises-femmes-artistes-perturbées" et "hommes-artistes-sensibles" continue à se perpétrer. "Folles, folles, toujours folles. Si David Bowie se drogue pour se provoquer des hallucinations, on le qualifie d’excentrique, d’artiste. Si Amy Winehouse fait de même, c’est une junkie. Kurt Cobain s’est suicidé parce qu’il était hypersensible. Marilyn Monroe s’est donné la mort car elle était dingue."

Les mauvaises femmes et les mythes

Les femmes présentes dans les mythes de l’Antiquité ne sont pas en reste et l’autrice nous raconte les histoires sanglantes où les déesses, magiciennes et autres oscillent entre le rôle de femme-objet et celui d’ennemie qu’il faut annihiler. A l’instar de Méduse qui "personnifie un autre symbole, cette fois à l’échelle politique : celui de la femme de pouvoir, agressive, vilaine et peu féminine."

Dans ces histoires, qu’elles soient réelles ou inventées, se joue un choix auxquels la femme doit participer malgré elle : "Elle peut être soumise à l’homme et lui obéir, ou bien incarner pour lui une ennemie féroce."

Les mauvaises femmes et la pop culture

Maria Hesse livre quelques exemples présents dans la pop culture. Ceux-ci prouvent que les lignes bougent afin d’offrir des personnages féminins différents et complexes ne répondant plus à des normes bien cadrées mais qui montrent l’étendue d’une diversité.

Comme l’autrice l’évoque, les mauvaises femmes des séries et films des années 40-50 deviennent avec le temps des femmes qui ne se font plus marcher sur les pieds et prennent en main leur destin, se débarrassant des diktats et de cages dorées. "Lorsque nous nous racontons nous-mêmes, nos protagonistes s’écartent de la norme, dérangent, non seulement par leur physique mais aussi parce qu’aucune de nos héroïnes n’est complaisante : désormais, les mauvaises filles, les putes, les folles deviennent les personnages centraux de nos histoires, elles existent par elles-mêmes, sans que l’on ait besoin de le justifier. Et c’est un grand pas en avant, un véritable triomphe."

Ces mauvaises femmes qui nous ressemblent

Si Maria Hesse aime raconter des histoires et nous les partager, elle nous offre aussi sa casquette de dessinatrice en illustrant chaque page de Ces mauvaises femmes avec des illustrations aux traits bien reconnaissables. Ce livre regorge à la fois de sublimes dessins et de documents passionnants.

© Editions Presque Lune

Plus les récits, les destins racontés, seront ceux de femmes puissantes et non plus "mauvaises", plus les normes changeront et nous pourrons enfin sans crainte vivre dans un monde plus égalitaire en se soutenant toutes et tous.

Ces mauvaises femmes, María Hesse, traduction de l’espagnol par Éloïse de la Maison, Editions Presque Lune, 168 pages, octobre 2022, 23 €

Sur les traces de ces femmes invisibilisées dans l’histoire - Les Grenades, série d'été

Les Grenades - Série d'Eté

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*Fanny De Weeze est une lectrice passionnée qui tient un blog littéraire (Mes Pages Versicolores) depuis 2016 sur lequel elle chronique des romans, des essais et des bandes dessinées.

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Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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