Cette semaine, dans " Retour aux sources ", Élodie de Sélys reçoit l’historien Alain Colignon et l’ancien grand reporter de la RTBF, Josy Dubié pour évoquer, à l’issue du documentaire " Salazar, le Portugal à quitte ou double ", ce que fut la dictature au pays du bacalhau.
Si c’est bel et bien la personne d’Antonio de Oliveira Salazar qui, à son titre de Président du Conseil des ministres, domine le régime autoritaire portugais de 1932 à 1968, c’est dès 1926 qu’un putsch militaire mène le Portugal à la dictature. C’est d’ailleurs Oscar de Fragoso Carmona (1869-1951) qui sera le premier des trois présidents mis à la tête de l’État par la junte militaire, à l’époque de la " Dictature nationale ".
Dès 1927, Carmona nomme Salazar au poste de ministre des Finances, avant de le propulser Président du Conseil cinq ans plus tard, le plaçant de la sorte à un poste supérieur à celui de Président de la République ! C’est de cette montée au pouvoir de Salazar que sortira la nouvelle constitution du désormais " Estado Novo ", nom que portera le régime dictatorial jusqu’en 1974, ce que les historiens nomment la Deuxième République portugaise.
Car, avant ces décennies de tyrannie, le Portugal s’était mué en République à la suite de la Révolution du 5 octobre 1910, un coup d’État parfaitement mené par le Parti républicain portugais. Cette Première République est allée puiser ses germes dans la déliquescence du pays, depuis quelques décennies, l’État est instable, tant socialement que politiquement : les deux grands partis politiques alors présents, " progressistes " et " régénérateurs ", jouent à l’alternance…
Si l’on ajoute à cela les dépenses de la famille royale – le Portugal est alors une monarchie constitutionnelle – à la puissance de l’Église et les problèmes entraînés dans l’expansion de l’empire colonial portugais en Afrique à la suite de l’ultimatum britannique de 1890, tout est prêt pour la révolution qui mènera à l’exil du roi Manuel II et de sa famille.
Bien avant ces événements, depuis qu’en 1139, Alphonse Ier avait été couronné, le Portugal était une monarchie absolue. C’est en 1484 que le 13e roi, Jean II (1455-1495), refusera le projet d’un certain Christophe Colomb (1451-1506), souhaitant atteindre les Indes en naviguant à travers l’Atlantique, vers l’ouest… Dès lors, le futur découvreur de l’Amérique ira voir du côté des rois d’Espagne, mais ce ne sera pas un succès immédiat car il devra encore attendre six ans pour que Ferdinand et Isabelle acceptent le pari !
En 1820, alors que la famille royale portugaise est en exile au Brésil suite au Traité de Fontainebleau, le Portugal connaît une révolution libérale qui mène à la promulgation d’une Constitution politique de la Monarchie portugaise, deux ans plus tard. C’est est terminé de l’absolutisme. Pour autant, durant une douzaine d’années, le régime oscillera entre absolutisme et monarchie constitutionnelle.
C’est avec la reine Marie II (1819-1853) que les souverains portugais adhèrent totalement à leur rôle constitutionnel. Veuve d’Auguste de Leuchtenberg, Marie épouse Ferdinand de Saxe-Cobourg-Gotha en 1836 : le roi consort du Portugal est le neveu du premier roi des Belges, Léopold, qui a œuvré à cette union.
Quatre souverains régneront encore sur le Portugal avant la chute de la monarchie, issus de la descendance de Ferdinand et Marie, la reine disparaissant en 1853 en mettant au monde son onzième enfant ! Ce sera d’abord Pierre V, de 1853 à 1861, qui, n’ayant que 16 ans au décès de sa mère, vit ses deux premières années de roi sous la régence de son père. Son règne est marqué par un effort de modernisation du pays, notamment par la création du chemin de fer et du télégraphe. Pierre V épousera Stéphanie de Hohenzollern-Sigmaringen… qui mourra de diphtérie dix mois après. Veuf à 22 ans, le roi ne se remariera jamais.
C’est son frère, Louis Ier qui lui succède jusqu’en 1889. Passionné de littérature et de poésie, il l’est aussi d’océanographie. Louis est le créateur de l’aquarium Vasco de Gama, l’une des premières institutions du genre, non loin de la tour de Belém, au bord du Tage. Comme la duchesse Sophie-Charlotte de Bavière – la sœur d’Elisabeth, " Sissi " – refuse de l’épouser, il convole en justes noces avec la princesse Maria Pia de Savoie, en 1862. Deux garçons naissent de cette union : Alphonse et l’aîné, Charles (1863-1908), qui succède à son père.
Charles Ier devra gérer la crise due à l’ultimatum britannique, renonçant finalement à l’emprise portugaise sur ce qui correspond, de nos jours, au Zimbabwe et à la Zambie. De son mariage avec la princesse Amélie d’Orléans, fille de Philippe d’Orléans, comte de Paris, trois enfants voient le jour : Louis-Philippe, Marie-Anne et Manuel. C’est au cours de son règne que se développera considérablement le mouvement républicain. Ce sont d’ailleurs deux membres de la " Carbonaria " portugaise, qui assassineront le roi Charles et son héritier, le 1er février 1908, sur la célèbre Praça do Comérçio à Lisbonne.
La reine Amélie sauvera son fils cadet qui accédera au trône sous le nom de Manuel II. Mais la position du jeune souverain se révèle vite intenable. Impossible de résister à la révolution de 1910, qui le force à s’exiler au Royaume-Uni, en passant par Gibraltar. Passionné de bibliographie portugaise, Manuel épousera, en 1913, la princesse Augusta Victoria de Hohenzollern qui ne lui laissera pas de descendance.
Avant de mourir en 1932, âgé d'à peine 42 ans, Manuel II se réconciliera avec Duarte, duc de Bragance (1907-1976), issu de la branche exclue de la succession au trône du Portugal. C’est ainsi que l’actuel prétendant au trône portugais est son fils, également prénommé Duarte, né en 1945.
De la monarchie absolue à la dictature de Salazar, le Portugal n’a finalement connu que bien peu de siècles de liberté démocratique…
À voir dans " Retour aux sources ", le documentaire " Salazar, le Portugal à quitte ou double ", de Christiane Ratiney et Bruno Lorvão, le samedi 21 janvier à 20h35 sur La Trois.