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De la seconde guerre mondiale à nos jours, comment a évolué la position militaire du Japon sur la scène internationale ?

Image d’illustration

© Getty

Par David Manfredini

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a provoqué une profonde remise en question de la politique étrangère dans le monde. Le Japon, voisin de la Russie, a ainsi rompu avec sa diplomatie passée en imposant des sanctions contre la Russie et en envoyant une aide militaire non létale à Kiev. Face à la menace nucléaire russe, chinoise ou encore nord-coréenne, qui pèse sur le Japon, la question du nucléaire au sein du pays du Soleil-Levant revient régulièrement dans les discussions.

Cependant, suite à sa défaite durant la Seconde Guerre mondiale, le Japon a été contraint de se pacifier et de dissoudre son armée impériale et sa marine. Plus de 75 ans plus tard, la situation a toutefois bien changé. Quelle est la position militaire du Japon à l’époque actuelle ? Comment se sont déroulées les différentes évolutions ? C’est ce que nous allons tenter de décrypter.

La Seconde Guerre mondiale et la mise sous tutelle

En 1940, l’évolution rapide de la situation en Europe amène l’Allemagne et le Japon à signer une alliance des forces de l’Axe, que rejoindra ensuite l’Italie. Un an plus tard, le 7 décembre 1941, se déroule la tristement célèbre attaque de Pearl Harbour, une attaque surprise menée par les forces aéronavales japonaises contre la base navale américaine située sur l’île d’Oahu, dans le territoire américain d’Hawaï.

La destruction d’une partie importante de la flotte américaine doit permettre au Japon de poursuivre ses conquêtes et de menacer notamment l’Australie et les Indes britanniques. Les batailles se succèdent, avec notamment les batailles de Midway en juin 1942 et celle de Guadalcanal en août 1942, et permettent de repousser progressivement le Japon vers son archipel, qui ne semble toutefois pas disposé à abandonner le combat. Les États-Unis décident alors de lancer deux bombes atomiques sur le Japon, en ciblant Hiroshima le 6 août 1945 et Nagasaki le 9 août 1945. Ce drame terrible met un terme à la participation des Japonais à la guerre et l’empereur du Japon ordonne la capitulation sans condition du Japon impérial le 2 septembre 1945.

Suite à cette reddition, le Japon est placé sous la tutelle des États-Unis qui imposent une nouvelle constitution au Japon et vote l’article 9 de la nouvelle constitution japonaise le 3 novembre 1946, faisant officiellement renoncer définitivement le Japon à la guerre.

Article 9 de la constitution japonaise
Article 9 de la constitution japonaise © Tous droits réservés

Cette constitution, qui est restée inchangée jusqu’à aujourd’hui, force le japon à se pacifier et à renoncer définitivement à toute volonté expansionniste. Son armée impériale et sa marine sont également dissoutes et toute remilitarisation est empêchée. "C’est le rejet de la force militaire, quelles que soient les circonstances", indique Guibourg Delamotte, maître de conférences à l’Inalco, l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales.

Avant la Seconde Guerre mondiale, le Japon n’était toutefois pas plus belliqueux que d’autres pays, précise Andreas Thele, professeur à l’université de Liège et directeur du Centre d’étude japonaise : "C’était le cas à la fin du 19e siècle, quand le japon voulait égaliser ou dépasser peut-être aussi les autres nations impérialistes. Mais l’image comme pays belliqueux date plutôt des années 30 et lors de la 2e guerre mondiale. Avant, le Japon n’était pas nécessairement une des nations les plus belliqueuses. Depuis la fin de la 2e guerre mondiale, le Japon n’a ainsi plus participé à des conflits armés."

Le traité de San Francisco

Cette occupation américaine durera jusqu’au 28 avril 1952, avec l’entrée en vigueur du Traité de San Francisco, aussi appelé traité de Paix avec le Japon, qui avait été signé le 8 septembre 1951. Le Japon renonce ainsi et reconnaît l’indépendance d’un certain nombre de lieux. Malgré la signature de ce traité, les États-Unis ne partent pas entièrement du pays du Soleil-Levant. En effet, le Traité de Sécurité entre les États-Unis et le Japon, signé le même jour, indique que certains territoires japonais restent sous occupation américaine.

Cependant, malgré la nouvelle Constitution, le traité de Sécurité prévoit une forme de réarmement du Japon et indique qu’à terme, le pays du Soleil-Levant doit être apte à assumer sa propre défense

La guerre froide

Les Japonais ont ainsi progressivement mis en place une politique de défense durant la guerre froide. Les contraintes imposées par la Constitution sont toutefois restées particulièrement strictes.

Le traité de 1951 est ensuite remplacé par le Traité de coopération mutuelle et de sécurité entre les États-Unis et le Japon, signé le 19 janvier 1960. Le traité de 1951 ne prévoyait que le maintien des troupes et des bases américaines au Japon. Le rapport de force était clairement en faveur des États-Unis, et le Japon était relégué au rang d’allié coopératif. Ce nouveau traité est ainsi plus équilibré en termes de rapport de force et introduit une notion de réciprocité. Les bases américaines sont conservées, mais le gouvernement américain se doit de consulter le Japon pour pouvoir les utiliser ou pour introduire des armes nucléaires sur le territoire japonais.

"À partir de 1954, le japon va se doter aussi d’une force de défense, raconte Andreas Thele. "Avec la constitution d’une force aérienne, terrestre et aussi navale, qui va aussi permettre au japon d’obtenir un certain nombre d’avions et de moyens d’assurer une autodéfense, mais c’est plutôt symbolique et considéré comme appartenant plutôt aux défenses de sécurité de l’intérieur, de la police…"

Les années 1990

À partir de 1992, la puissance économique du japon décline légèrement et les attentes des alliés, des Américains en particulier, changent, notamment à cause de la fin de la guerre froide. Le Japon commence à se rendre compte durant cette période qu’on attend de lui qu’il participe à des opérations internationales, non pas militaire, mais de "maintien de la paix", ce qu’il fait en 1992 en adoptant une loi qui permet d’envoyer à l’étranger des forces d’autodéfense.

C’est donc en 1992 que le Japon déploie des militaires japonais pour la première fois depuis 1945 et depuis la fin des campagnes du Pacifique, en mission à l’étranger. Ils sont envoyés en tant que Casques bleus au Cambodge. Depuis 1996, des Japonais sont également membres de la force des Nations unies chargée d’observer le dégagement au Golan et en 1998, la coopération avec la Septième flotte américaine, inexistante jusqu’alors, commence à se mettre en place.

Les forces d’autodéfense japonaises s’impliquent ainsi progressivement dans des conflits armés, mais toujours avec beaucoup de limites. Il s’agit uniquement de soutien humanitaire, du maintien de la paix ou encore de soutien logistique qui ne peut pas inclure d’armes.

Les années 2000

À partir de la fin des années 2000, le Japon commence à envisager une vision plus large de la sécurité internationale et étend l’horizon de sa politique étrangère. Le Japon devient ainsi, à sa manière, un acteur de la sécurité internationale.

Cela se déroule dans un contexte où la Chine commence à se déployer à divers endroits, obligeant le Japon à augmenter sa surveillance. C’est également à cette période que le Japon évoque le concept géopolitique d’Indo-Pacifique, visant à faire élaborer des stratégies communes aux pays présents dans l’espace qui s’étend de l’océan Indien à l’Océan Pacifique.

"En 2005, le Japon intervient également en Irak", indique Guibourg Delamotte. "Il y est intervenu après la guerre, uniquement pour du maintien de l’ordre, et non pas de rétablissement de l’ordre, et pour du soutien humanitaire."

Les années 2010

En 2015, le Premier ministre au pouvoir au Japon, Shinzō Abe, met en place une grande réforme de la défense pour clarifier les dispositifs existants et ainsi créer un système juridique et un cadre juridique stable pour le déploiement des forces d’autodéfense à l’étranger. Que ce soit dans un contexte où les forces d’autodéfense sont amenées à interagir avec des forces américaines pour la défense du japon ou encore dans un contexte de crise internationale.

L’ancien Premier ministre Shinzo Abe.
L’ancien Premier ministre Shinzo Abe. © AFP

La Constitution n’ayant toujours pas changé, aucune participation à des combats n’est prévue. Le seul cas de participations internationales aux combats est une situation de légitime défense collective. Un contexte dans lequel le Japon interagit avec des forces internationales ou dans une opération de maintien de la paix, et où ses alliés seraient touchés. Si la survie du Japon ou si les droits et libertés des Japonais, sont mis en péril par cette attaque, alors dans ce cas précis, le Japon peut répliquer.

Une révision complexe de l’article 9

Si une révision de l’Article 9 est souvent évoquée par certains partis politiques japonais, Guibourg Delamotte estime qu’il existe peu de chance de la voir être modifiée dans la situation actuelle : "Il y a un contrôle démocratique très fort qui s’exerce. […] Pour pouvoir changer cette constitution, il faut les deux tiers de chaque chambre s’accordent sur ce point et que plus de la majorité de la population y soit favorable par référendum. Des contraintes juridiques extrêmement lourdes qui n’ont jamais été réunies."

Elle ajoute : "Aujourd’hui, le japon a appliqué les évolutions qui lui conviennent et est arrivé à un point d’équilibre dans son système de défense. On peut continuer à parler de révision de l’article 9, mais s’il y avait une révision de cet article, ce serait totalement déconnecté des besoins en termes de défense."

Le gouvernement ne veut pas de l’arme nucléaire

Comme nous l’avons mentionné précédemment, la menace nucléaire exercée sur le Japon pourrait faire repenser sa doctrine nucléaire au pays. Cette situation a poussé l’ancien Premier ministre japonais Shinzō Abe à envisager une mutualisation de l’arme nucléaire. "Il n’est plus Premier ministre", insiste Guibourg Delamotte. "Il est donc en marge du système maintenant, avec une liberté de parole accrue. Il a indiqué que le Japon pourrait peut-être, non pas se doter de l’arme nucléaire, mais mutualiser l’arme nucléaire américaine."

Le Premier ministre japonais actuel Fumio Kishida.
Le Premier ministre japonais actuel Fumio Kishida. © AFP

Dans la situation actuelle, le territoire japonais, y compris les îles Senkaku, qui sont litigieuses avec la Chine, est protégé par l’arme nucléaire américaine. Cette mutualisation permettrait aux Japonais de disposer d’un contrôle, auquel ils n’ont actuellement pas droit, sur l’utilisation de cette arme nucléaire. "Le gouvernement a directement répondu que non, il n’y aurait pas de nucléaire, sous quelque forme que ce soit. Fumio Kishida (NDLR : Le Premier ministre actuel du Japon) a également réitéré la position du japon classique, c’est-à-dire : pas de nucléaire.", précise Guibourg Delamotte. "La position du gouvernement est totalement claire, il n’y a pas d’ambiguïté là-dessus."

Des forces armées en tant qu’ultime recours uniquement

Pour revenir à la situation du conflit qui oppose la Russie à l’Ukraine, Guibourg Delamotte indique qu’il s’agirait d’une situation de dernier recours, dans laquelle les frontières du Japon seraient en danger ou alors celles de ses alliés. "Il faudrait qu’il soit lui-même attaqué et que la force soit le seul moyen de réplique. C’est-à-dire que tous les autres moyens auraient été épuisés. Il faudrait aussi que le Japon réplique de manière proportionnée. Dans la participation à un conflit international, le scénario de base reste celui du soutien logistique, qui exclut les armes, mais pas une participation en effet au combat."

En parallèle, Andreas Thele indique que le Japon place un grand nombre de ses ressources dans la lutte contre la cybercriminalité : "C’est également très important et les Japonais sont en train d’augmenter fortement leurs différents savoirs là-dessus. Donc investir dans les technologies modernes, sans nécessairement se doter d’une arme."

Ainsi, même si le Japon fait partie des pays qui ont infligé le plus de sanctions envers la Russie, la position du pays du Soleil-Levant restera avant tout une posture de défense et le Japon ne prévoit pas de réarmement massif dans les prochaines années.

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