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DEADLETTER : Longue vie au post-punk !

Future tête de série du rock anglais, DEADLETTER s'impose avec des morceaux engagés.

©  Deadletter

Par Nicolas Alsteen via

Validé par Hedi Slimane, apparu sur la page Insta de Kevin Parker, DEADLETTER pourrait passer pour un groupe bling-bling. Dans les faits, c’est un modèle d’abnégation. Sûr de ses forces et de ses convictions, disciple de Wire, Gang of Four et autres Talking Heads, DEADLETTER décrit sa haine du système et crie à l’injustice dans des hymnes anti-capitaux. Après des scènes partagées aux côtés de Yard Act et Tropical Fuck Storm, le sextet le plus sexy d’Angleterre débarque à l’AB pour le BRDCST Festival. En attendant ce concert, JAM est parti à la rencontre du phénomène.

Londres, fin de journée. Peinture sur les doigts, pinceau à la main, le chanteur de DEADLETTER active la caméra de son téléphone portable. Perché sur une échelle, Zac Lawrence prend la parole : "La musique est une passion débordante, mais pas encore un travail rémunéré à sa juste valeur", dit-il en sautant de son perchoir. "J’espère que ça va changer. Pour l’instant, je repeins des bureaux vides. C’est un job alimentaire comme un autre." Gueule d’ange, taille mannequin, l’artiste referme ses pots d’enduits. "George va nous rejoindre dans un instant !", annonce-t-il. Aussitôt dit, aussitôt fait. Bonnet enfoncé jusqu’aux sourcils, le bassiste George Ullyott apparaît à l’écran. "Sorry les gars, je suis en train de faire du shopping. Mais je ne trouve pas ce que je cherche. C’est ma spécialité : je traîne dans les magasins, mais je n’achète jamais rien." En phase avec les positions anticapitalistes de sa formation, le bassiste se retire dans la rue pour nous parler de "Heat!", le premier EP de DEADLETTER. En cinq titres engagés et incandescents, riches en revendications et en rebondissements, le groupe anglais se profile comme l’une des plus grosses sensations de l’année.

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Complètement à la rue

Pour appréhender l’ADN de DEADLETTER, comprendre ses origines et son état d’esprit, il convient de parcourir du pays. De traverser l’Angleterre en direction du Yorkshire. "Nous avons commencé l’aventure là-bas, à trois, avec Alfie (Husband, Ndlr) à la batterie", retrace Zac Lawrence. "Chaque week-end, on se posait sur le trottoir en rejouant un peu maladroitement des morceaux dégotés dans la discothèque de nos parents. À quinze ans, notre ambition se résumait surtout à soutirer quelques pièces aux passants... À l’époque, on se produisait dans les rues de York, de Scarborough ou de Whitby." Endurcis par les centaines de reprises égrenées sur le pavé, les trois garçons envisagent alors d’enregistrer leurs propres chansons. "Nos premières compos étaient influencées par nos artistes préférés. Alfie adorait The Clash. George ne jurait que par Nirvana et, moi, j’étais à fond dans la musique folk. Nous avons utilisé ces trois angles pour aménager les bases de notre espace créatif. Au niveau de l’écriture, c’était assez radical, un peu bas du front. Nos textes se focalisaient sur le pouvoir en place. Notre vision de la politique était encore adolescente, très étriquée."

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London calling

En 2017, les trois amis déménagent à Londres dans l’espoir de franchir le palier supérieur. "Là, nous sommes passés d’un groupe de trois à six personnes", indique Zac Lawrence. "J’ai abandonné la guitare pour me concentrer sur le chant. Derrière moi, la proposition instrumentale s’est enrichie, notamment avec l’apport d’un saxophone. Nos morceaux sont devenus beaucoup plus dynamiques et percussifs." Fraîchement débarqués de leur Yorkshire, les garçons de DEADLETTER se faufilent dans les rues de la capitale en enfilant les concerts, mais aussi en jouant des coudes. "Aujourd’hui, nous sommes intégrés à la scène locale. Mais en arrivant ici, ce n’était pas le cas. Nous avions quasi l’impression d’être des expatriés, voire des touristes", raconte George Ullyott. "Dès nos premières scènes, nous avons pigé que nous n’aurions pas le même statut qu’un groupe originaire de Londres. Nous allions devoir faire nos preuves, "batailler" un peu plus dur que les autres pour nous faire des amis et convaincre le public de nous suivre. Avec du recul, je pense qu’il nous aura fallu une bonne année pour être pris au sérieux."

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L’effet Placebo

Après avoir écumé les bars de la capitale anglaise, DEADLETTER s’est imposé dans le cœur du public londonien. De quoi susciter l’intérêt de clubs plus huppés et de festivals bien renseignés, genre le Great Escape de Brighton ou le Left of the Dial, à Rotterdam. En pleine ascension, le groupe pique également la curiosité d’un mastodonte du rock mainstream. "Les mecs de Placebo nous ont proposé de jouer les premières parties de leur tournée européenne", indique le bassiste. "Sur le papier, nous ne jouons pas du tout dans la même catégorie musicale. Surtout, aucun de nous n’écoute vraiment Placebo... Mais l’opportunité n’allait sans doute pas se présenter deux fois. Accepter ce plan, c’était d’abord l’occasion de jouer dans d’énormes salles en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas ou en Suisse. En Belgique, nous avons joué au Sportpaleis d’Anvers. Pour un groupe comme le nôtre, passer d’une salle de deux cents places à un concert devant dix mille personnes, c’est un bon exercice. À l’arrivée, nous avons constaté que la taille de l’auditoire ne changeait rien. Parce qu’une fois sur scène, nous donnons toujours le maximum."

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Not in my Yard Act

La musique de DEADLETTER entretient des points communs avec celle défendue par Yard Act, un autre groupe arrivé du Yorkshire avec, dans sa valise, quelques chansons chargées de revendications sociales et politiques. "Si les thématiques abordées se ressemblent, c’est parce que nous vivons dans le même monde. Nous sommes confrontés aux mêmes réalités. Aux mêmes inégalités. Nos deux formations sont liées par l’époque et son contexte socio-économique." Dans ses textes, DEADLETTER se porte au chevet de la nature humaine et dévore nos contradictions à pleines dents. Le titre "Madge's Declaration", par exemple, souligne nos ambivalences à l’égard du capitalisme. "I've got shoes, but no soul !", scande Zac Lawrence. "Tout le monde est prompt à critiquer le capitalisme, mais personne ne s’y soustrait totalement", analyse le chanteur. "Le consumérisme nous pousse à délaisser notre conscience morale au profit du confort matériel. Cette remarque vaut aussi bien pour toi que pour moi. Personne n’est irréprochable." En équilibre sur les rebords du précipice capitaliste, DEADLETTER règle aussi ses comptes avec les autorités publiques. "La politique et les aspects socio-économiques constituent un pan de notre identité. Mais ce serait dommage de restreindre nos intentions à ces seuls aspects. Nous essayons d’exploiter d’autres thèmes, d’explorer d’autres pistes de réflexion. Cela peut toucher à des questions relationnelles ou à des sujets plus personnels."

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Adam et Ève

Servie sur la paume d’une main, une pomme chaude, à peine croquée, se consume sur la pochette de "Heat!". Assez mystique, cette représentation du fruit défendu voit DEADLETTER s’aventurer sur le terrain de la spiritualité. "Ce n'est qu'en rassemblant les cinq chansons sur le EP que j'ai pris conscience de la quantité d'images et de langage bibliques que j'intègre dans les paroles", confesse Zac Lawrence. "Jusqu’alors, c’était un truc inconscient. D’autant que je ne suis pas croyant…" Le groupe ose pourtant une imagerie ultra connotée. "Si l’illustration fait référence à la Genèse et à l’histoire d’Adam et Ève, c’est davantage pour une question d’esthétique et de cohérence visuelle. L’idée n’est pas de faire des analogies et d’expliquer les liens qui existent entre l’image et la musique. Mieux vaut laisser planer le mystère."

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Fashion Week

Récemment, DEADLETTER s’est frayé un chemin jusqu’à la page Instagram de Kevin Parker. "En juin dernier, le couturier et photographe Hedi Slimane nous a invités à Paris pour la Fashion Week", recontextualise George Ullyott. "Nous avons assisté à la présentation de sa collection pour la marque de prêt-à-porter Celine. Puis, sur le coup de trois heures du matin, nous avons joué un show dans une afterparty organisée par Hedi Slimane. Il se fait que, ce soir-là, Kevin Parker était dans le public. Un peu à l’arrache, il a filmé notre concert. Après coup, des potes nous ont dit que le chanteur de Tame Impala avait publié une vidéo sur sa page Insta : sept secondes où on nous voyait sur scène. C’est une bonne anecdote. Mais ça ne veut pas dire grand-chose. Je ne suis même pas sûr que Kevin Parker connaisse réellement le nom de DEADLETTER." Mais cela ne saurait tarder. Avec ses odes engagés et dansants à souhait, le groupe anglais se positionne désormais en tête du peloton post-punk. Dans un sprint massif, DEADLETTER a toutes les chances de s’imposer. Pour s’en assurer, rendez-vous sur la ligne d’arrivée : le 7 avril, à l’AB, dans le cadre du festival BRDCST.

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