Belgique

Débat devant la Cour constitutionnelle sur un possible échange entre Olivier Vandecasteele et un terroriste iranien : "Une comptabilité sordide qui n’a pas lieu d’être"

Ce 15 février  marquera une nouvelle étape pour Olivier Vandecasteele, ses proches et son comité de soutien, et aussi pour le gouvernement belge et l’opposition iranienne. Leurs avocats plaideront devant les juges de la Cour constitutionnelle.

Lors d’une nouvelle audience, la cour se penchera sur le recours en annulation contre la loi d’assentiment au traité de transfèrement de personnes condamnées conclu entre la Belgique et l’Iran. Cette loi avait été votée à la chambre en juillet, puis suspendue le 8 décembre par la Cour constitutionnelle.

Olivier Vandecasteele est un humanitaire belge qui est emprisonné sans raison à Téhéran depuis le 24 février dans des conditions extrêmement difficiles. Détenu à l’isolement complet dans le froid, il souffre de graves problèmes de santé. Lors de chaque discussion avec sa famille, il apparait encore plus affaibli.

Pour tenter de le libérer, le gouvernement belge a proposé une solution juridique. La Belgique a négocié avec l’Iran un traité de transfèrement qui permettrait d’échanger sur base légale des prisonniers entre les deux pays. Théoriquement, échanger Olivier Vandecasteele contre Assadollah Assadi.

Une menace existentielle pour l’opposition iranienne

Cet iranien a été condamné en Belgique à vingt ans de prison pour avoir projeté un attentat qui devait viser le 30 juin 2018, à Villepinte, près de Paris, un grand rassemblement du Conseil national de la résistance iranienne (CNRI), composé d’opposants au régime de Téhéran.

Ces opposants ont déposé plusieurs recours en justice dans l’espoir que cette loi soit annulée, car ils craignent qu’Assadollah Assadi ne soit libre une fois de retour en Iran. De fait, le traité permet que le condamné soit gracié ou amnistié. Pour eux, le transfèrement est une menace existentielle.

La Cour constitutionnelle leur a donné raison : "La disposition attaquée semble violer le droit à la vie des victimes en ce qu’elle permet de transférer en Iran une personne qui a été condamnée en Belgique pour avoir commis une infraction terroriste avec le soutien de l’Iran. En effet, la Belgique sait ou doit savoir que l’Iran n’exécutera pas effectivement la peine dans ce cas". Elle a mis en avant le "droit à la vie" des victimes potentielles de l’attentat que projetait Assadollah Assadi.

Pour le CNRI, la suspension de la loi est "une victoire".

Mais dans cette affaire, l’enjeu est de taille pour chacune des parties : pour les proches et soutiens d’Olivier Vandecasteele, c’est la libération d’un innocent "en danger de mort". Pour le gouvernement belge, l’enjeu est la responsabilité de la vie d’un citoyen. Pour l’opposition iranienne, c’est la garantie qu’elle ne soit plus la cible d’Assadollah Assadi dans un attentat terroriste.

Annemie Schaus, rectrice de l’ULB
Annemie Schaus, rectrice de l’ULB © Tous droits réservés

La Cour doit tenir compte du droit à la vie d’Olivier Vandecasteele

Plusieurs juristes disent avoir été "surpris" par cette décision de suspension rendue le 8 décembre. C’est le cas notamment d’Annemie Schaus, rectrice de l’ULB. "Traditionnellement, lorsque la Cour constitutionnelle se saisit de ce type de recours, elle analyse la constitutionnalité du traité qui lui est soumis in abstracto. Elle n’analyse pas son application dans un cas particulier".

Or dans ce cas-ci, note la rectrice de l’ULB, la Cour constitutionnelle est entrée dans les détails de l’affaire Assadi et l’application théorique de cette loi. "Ce n’est pas pour autant qu’Assadi sera transféré", souligne Annemie Schaus, le transfèrement éventuel n’étant effectif qu’après un acte administratif. "C’est cette décision-là qui aurait dû être discutée !", insiste-t-elle.

Entre-temps, la sentence des autorités iraniennes est tombée : à la suite d’un simulacre de procès, Olivier Vandecasteele écope de 40 ans de prison et 74 coups de fouet. Pour de nombreux juristes, cette condamnation pourrait changer la donne.

"Si la Cour constitutionnelle tient compte de l’application théorique de la loi, comme elle l’a fait en suspension – ce qui me surprend – alors elle doit tenir compte du droit à la vie d’Olivier Vandecasteele et le mettre en balance avec le droit à la vie des victimes potentielles de l'attentat", lance la rectrice de l’ULB, sans minimiser l’intérêt qu’elle porte aux arguments de l’opposition iranienne.

Olivier Vandecasteele avant et après sa détention arbitraire en Iran.
Olivier Vandecasteele avant et après sa détention arbitraire en Iran. © Tous droits réservés

Assadi est un tueur parmi d’autres

D’autres, comme Bernard Hourcade, géographe, directeur de recherche émérite au CNRS, relativisent l’importance d’Assadollah Assadi. "Le régime iranien applique la loi islamique de réciprocité : ‘œil pour œil dent pour dent’. La Belgique condamne un Iranien ; en retour, Téhéran détient un Belge, même si c’est illégal", analyse le chercheur. "C’est un pragmatisme cynique".

Bernard Hourcade est un fin connaisseur de l’Iran, pour y avoir vécu plusieurs années. Il a été témoin de la Révolution iranienne en 1979. "Autant que je sache", ajoute-t-il, "des terroristes capables de mener des attentats contre l’opposition iranienne existent en grand nombre en Iran. Assadi est un tueur parmi d’autres".

Selon le chercheur, il ne faut pas surévaluer l’importance juridique ou politique d’une éventuelle libération d’Assadollah Assadi. "La libération d’un tueur iranien ne changera pas les rapports de force entre l’Iran et d’autres pays".

Pour Bernard Hourcade, ce débat juridique qui mélange le droit et la politique, qui compare le droit de vie d’un humanitaire innocent condamné à 40 ans de prison et la libération d’un terroriste, "nous fait entrer dans une comptabilité sordide qui n’a pas lieu d’être". Il s’agit prioritairement de sauver la peau d’un homme, emprisonné " de manière inadmissible".

Bernard Hourcade, géographe, directeur de recherche émérite au CNRS.
Bernard Hourcade, géographe, directeur de recherche émérite au CNRS. © Tous droits réservés

Olivier Vandecasteele détenu en Iran : interview de Bernard Hourcade

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Je suis surpris de voir qu’un gouvernement démocratique passe par la loi pour libérer un otage

Le chercheur s’étonne surtout qu’on légalise une pratique de voyou. "L’Iran se comporte en état terroriste en ne respectant pas les lois internationales", lance-t-il.

"Je suis surpris de voir qu’un gouvernement démocratique passe par la loi, pour libérer un otage", ajoute Bernard Hourcade. "Cela revient à reconnaitre la prise d’otage politique, puis à la légaliser".

D’autres états, comme la France ou les Etats-Unis, négocient les échanges d’otages dans le secret. "Et c’est tant mieux", estime le chercheur. "Même en démocratie, il est acceptable que des négociations sensibles se fassent sous la table. Mais l’officialiser par une loi, c’est peut-être prendre le risque d’institutionnaliser un système. La prise d’otage est alors utilisée comme un moyen légal de rapports internationaux. C’est très gênant".

Et d’ajouter, cependant : "Si une loi peut permettre cet échange, tant mieux, soyons pragmatiques".

Quelle marge de manœuvre la Belgique aura-t-elle pour libérer Olivier Vandecasteele, si la Cour constitutionnelle annule la loi ? "Il n’y a aucune démarche rationnelle face à un état voyou", estime Bernard Hourcade. "Il faut utiliser les armes de l’adversaire, avec discrétion, sans se lancer dans un débat juridique qui risque de susciter une surenchère du côté iranien".

La Cour constitutionnelle doit se prononcer définitivement, au plus tard le 8 mars, sur le caractère légal ou illégal de la loi validant le traité sur le transfèrement de détenus entre l’Iran et la Belgique. Une décision devrait déjà tomber cette semaine.

Photo d’illustration de la Cour constitutionnelle, à Bruxelles, le mercredi 26 juin 2013
Photo d’illustration de la Cour constitutionnelle, à Bruxelles, le mercredi 26 juin 2013 © BELGA - BRUNO FAHY

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