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Décès de Sourour Abouda dans un commissariat de police : la thèse du suicide de moins en moins crédible, un rapport administratif en question

Le journal de 6h

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Qu’est-il arrivé à Sourour Abouda dans les premières heures du 12 janvier 2023 ? Que s’est-il passé entre le moment de son interpellation à 5 heures 50 du matin rue Américaine à Bruxelles, et le constat de son décès, à 8 heures 34 dans une cellule de dégrisement du commissariat central de la rue Royale ?

Vingt jours après le drame, les zones d’ombre restent nombreuses et la communication des autorités judiciaires minimale. Le 16 janvier, le parquet de Bruxelles s’était fendu d’un communiqué dans lequel il expliquait que "l’enquête a été confiée au comité P qui a analysé les images de caméra de surveillance, (…) et que sur base des premières constatations et le rapport provisoire d’autopsie, il n’y a pas eu d’intervention de tiers".

L’état d’ébriété de la victime absent du rapport de la police

Il est quasiment 6 heures du matin lorsque Sourour Abouda se fait arrêter par la police. À ce moment-là, elle se trouve dans le véhicule d’un tiers garé en double file. Le couple, à qui appartient le véhicule, s’apprête à partir en vacances et découvre une inconnue à l’intérieur de l’habitacle. Ils tentent de la faire sortir mais la communication est difficile. Sourour Abouda tient des propos incohérents. Ils finissent par appeler les forces de l’ordre.

© RTBF – Photo transmise par la famille

"J’ai vu deux camionnettes de police et cinq policiers", nous raconte un témoin direct qui observait la scène depuis sa fenêtre. "Ils ont réussi à la faire sortir de la voiture et ils l’ont menottées. Elle avait l’air désorientée mais n’a opposé aucune résistance. Je n’ai pas trouvé que les policiers étaient agressifs lorsqu’ils lui ont passé les menottes. Elle non plus ne l’était pas. Après, elle a été embarquée dans l’une des deux camionnettes. Ils sont restés encore sur place plus de 15 minutes avant de démarrer".

Comme le veut la procédure, l’arrestation de Sourour Abouda fait l’objet d’un rapport administratif. Dans ce rapport, il est fait mention d’un trouble à l’ordre public justifié par sa présence dans un véhicule qui n’est pas le sien. Par contre, aucune mention n’est faite de son état d’ébriété.

Ils n’ont pas diagnostiqué d’état d’ébriété à ce moment-là

Ce rapport, Christos Doulkeridis, le bourgmestre d’Ixelles, en a également pris connaissance. Et il nous confirme que l’ivresse ne figure pas dans le rapport des policiers. "Les policiers qui ont procédé à l’intervention écrivent qu’ils n’ont pas diagnostiqué d’état d’ébriété à ce moment-là. Alors évidemment aujourd’hui avec toutes les informations qu’on a pu récolter sur ce que la victime a fait avant l'intervention policière, on peut avoir une lecture tout à fait différente. Mais on n’était pas sur place. Les policiers sont de grands professionnels. Et je n’ai actuellement aucun élément pour estimer qu’ils ont mal fait leur travail. Je n’ai que très peu d’informations sur l’enquête".

Vu-soigné

Dans la procédure de police, il existe ce que l’on appelle dans le jargon un "vu-soigné". Cette procédure fixe des règles pour déterminer s’il faut faire appel à un médecin ou aller à l’hôpital avec une personne privée de liberté. C’est le cas, énumère le règlement, où "la personne le demande, quand son état le requiert, soit que la personne présente des signes visibles (ivresse, inconscience, blessures…), soit que la personne n’en présente pas, mais qu’il y a des éléments qui vous font douter de son état de santé (prise de drogue), soit lorsque le parquet l’ordonne dans le cadre d’un dossier judiciaire".

Non-assistance à personne en danger

"Toutes les constatations qu’un policier prudent doit faire, si cela n’a pas été fait ici, c’est une faute qui peut constituer une infraction pénale. On parle de non-assistance à personne en danger, voire même homicide involontaire par défaut de prévoyance. Malheureusement, on n’a toujours pas pu prendre connaissance du rapport administratif. Depuis le début on a accès à aucune pièce du dossier", indique Selma Benkhelifa, l’une des avocates de la famille de Sourour Abouda.

La thèse du suicide de moins en moins crédible

Il est 6 heures 32 lorsque Sourour Abouda est placée en cellule sous le contrôle de policiers de la zone locale Bruxelles-Capitale-Ixelles (Polbru) nous indique une source proche du dossier. La cellule en question est filmée en permanence par une caméra. Et les policiers doivent en principe la surveiller très régulièrement.

Lorsqu’elle y pénètre, elle reçoit une couverture et une bouteille d’eau. Les images à l’intérieur de la cellule ont été visionnées par le comité P et la magistrate en charge du dossier. Jusqu’ici, ni la famille ni leurs conseils n’y ont encore eu accès.

Plus d’une heure c’est long

À bonne source, on apprend qu’il a fallu plus d’une heure entre le décès de Sourour Abouda et l’arrivée d’un premier policier dans la cellule. "Plus d’une heure c’est long", nous confie notre source. "L’enquête va devoir déterminer pourquoi il a fallu autant de temps avant qu’un policier n’intervienne et prête secours à la victime".

À bonne source, on apprend également que la thèse du suicide n’est plus la piste privilégiée. "La thèse initiale d’un suicide par strangulation est sérieusement remise en cause. Sur la base des images de surveillance de la cellule mais pas seulement", nous explique-t-on.

La thèse du suicide est presque complètement abandonnée

Du côté de Selma Benkhelifa, l’avocate de la famille, "on commence petit à petit à comprendre que la thèse du suicide est presque complètement abandonnée. La communication qui a été faite à la famille ne semble en tout cas pas du tout correspondre à la réalité".

Le suicide. C’est la version relatée à la famille quelques heures après le décès de Sourour Abouda. "On a frappé à ma porte. J’ai ouvert. Et trois personnes du bureau d’assistance aux victimes m’ont expliqué que ma fille s’était étranglée avec son pull dans une cellule de commissariat. Je n’en n’ai pas cru mes oreilles. Sourour avait un fils de 19 ans qui est tout pour elle et qu’elle n’aurait jamais abandonné".

De son côté, le parquet de Bruxelles a ré-affirmé ce vendredi que la thèse de l’auto-strangulation est toujours celle privilégiée par les enquêteurs. 

Le corps rapatrié en Tunisie

Contacté, le parquet de Bruxelles ne commente pas ces nouveaux éléments. "L’enquête est toujours en cours. On attend entre autre les analyses toxicologiques. Dans l’intérêt de l’enquête on ne communiquera pas davantage", explique la porte-parole Willemien Baert.

Le corps de Sourour Abouda, lui, est arrivé mardi peu après minuit à l’aéroport de Tunis. La dépouille a été prise en charge depuis l’Institut national de criminologie et de criminalistique où il se trouvait depuis le décès.

L’affaire prend en tout cas une tournure diplomatique, Sourour Abouda possédant la double nationalité belge et tunisienne. Le dossier serait même remonté jusqu’au sommet du pouvoir tunisien qui, nous dit-on, prend l’affaire très au sérieux.

Après avoir été authentifiée, un médecin légiste a réalisé une contre-autopsie dont les résultats seront connus dans les prochains jours. Sourour Abouda, 46 ans, qui travaillait au PAC (Présence et Action Culturelle) et était très appréciée de ses collégues, sera ensuite inhumée auprès des siens.

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