Décès d'Elizabeth II

Décès Elizabeth II : "The Queen", héritière d'un empire colonial

La Reine Elizabeth II

© 1985 John Shelley Collection/Avalon

Par Théa Jacquet

Après 70 de règne, Elisabeth II s’est éteinte ce 8 septembre à l’âge de 96 ans, laissant à son fils un Royaume-Uni endeuillé. Alors que Charles III est officiellement proclamé roi ce samedi, la date des funérailles n’a pas encore été annoncée.

Lorsqu’elle accède au trône britannique le 6 février 1952, Elizabeth II est âgée de 25 ans. Harry Truman est alors le 33ᵉ président des États-Unis, Staline dirige l’Union soviétique, la guerre de Corée fait des millions de morts, et sur le plan mondial, la guerre froide est installée depuis 1945.

C’est dans ce contexte géopolitique particulièrement tendu que la Reine hérite d’un vaste empire britannique colonial, proche de la disparition. Car la perte de la majeure partie de ses possessions coloniales, telles que l’Inde et le Pakistan devenus indépendants en 1947, marque la fin d’une époque et le début d’une autre. Celle du développement du Commonwealth des nations, libre association de coopération des anciennes colonies britanniques.

"Ainsi formé, le Commonwealth ne ressemble en rien aux empires du passé. C’est une conception entièrement nouvelle, fondée sur les plus hautes qualités de l’esprit humain : l’amitié, la loyauté et le désir de liberté et de paix. C’est à cette nouvelle conception d’un partenariat égal entre nations et races que je me donnerai corps et âme chaque jour de ma vie", déclarait en 1953 "Sa Majesté la Reine".

"Préserver leur influence tout en accompagnant la décolonisation"

Un moyen surtout pour la Grande-Bretagne de sauvegarder son influence sur les nations autrefois sous son contrôle, comme l’indique Martine Piquet, professeur d’études anglophones à l’université Paris-Dauphine, dans son article "Le Commonwealth : convictions et incertitudes""Le partage de valeurs communes et le caractère pour l’essentiel pacifique de la décolonisation britannique déboucha de fait sur une adhésion en nombre au Commonwealth des pays devenus indépendants : une vingtaine entre 1957 et 1970", précise-t-elle.

Outre la langue partagée par ses membres, il s’agit d’une communauté importante sur la scène internationale, en tout cas pour le Royaume-Uni, qui l’a vite compris. "La genèse du Commonwealth a été une démonstration éclatante du génie pragmatique dont surent faire preuve les Britanniques pour préserver leur influence tout en accompagnant la décolonisation", développe Martine Piquet. Une manière donc de conserver leur mainmise sur les territoires qu'ils ont autrefois colonisés.

Et d’ajouter : "L’évolution de l’institution depuis les années 1960-1970 conduisit à l’abandon des références coloniales au profit de la promotion du progrès économique et social chez les États membres." Toujours est-il que le Commonwealth perpétue des liens tissés au temps de l’empire britannique et se présente dès lors comme une relique du passé colonial.

Cette organisation intergouvernementale, qui rassemble 2,5 milliards d’individus, est aujourd’hui composée de 56 États membres, parmi lesquels 15 pays ont conservé le monarque du Royaume-Uni comme chef d’État. Citons notamment l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, la Jamaïque ou encore le Bélize. Les 36 républiques, telles que l’Afrique du Sud, le Bangladesh, le Botswana, l’Inde, Malte ou encore les Maldives, et 5 monarchies qui composent le Commonwealth ont quant à elles leur propre roi.

"Reconnaître les erreurs"

Et si les messages de soutien à la famille royale et les hommages à la défunte se sont multipliés à travers le monde, de nombreuses personnes n’ont pas manqué de souligner sur les réseaux sociaux l’assujettissement des pays autrefois colonisés par le Royaume-Uni.

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En juillet 2020, dans le sillage du mouvement Black Lives Matter, le prince Harry estimait que le Commonwealth, dirigé par sa grand-mère, devait "reconnaître" les erreurs liées à son passé colonial. "Quand on regarde le Commonwealth, ce n’est pas possible d’aller de l’avant si nous ne reconnaissons pas le passé", avait-il déclaré, à propos de ce regroupement de 56 pays.

En juin 2021, des étudiants de l’université d’Oxford, en Angleterre, s’étaient d’ailleurs attiré les foudres en retirant un portrait de la Reine Elizabeth II d’une salle commune en invoquant le colonialisme. Un acte qualifié d'"absurde" par l’ancien secrétaire d’État à l’Éducation Gavin Williamson. L’ancienne cheffe d’État symbolisait "ce qu’il y a de mieux au Royaume-Uni. Au cours de son long règne, elle a travaillé sans relâche pour promouvoir les valeurs britanniques de tolérance, d’ouverture et de respect dans le monde", avait-il alors écrit sur Twitter.

"Comment osent-ils", s’indignait le lendemain en Une le tabloïd très conservateur The Daily Express, déplorant une nouvelle "victime de la cancel culture". Décidément, "The Queen", on n’y touchait pas.

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