Belgique

Déclic - Le tournant : le nucléaire est-il vraiment une énergie d’avenir ?

Declic - Le Tournant

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C’est la question que pose le 12e épisode du PODCAST "Déclic – Le Tournant" qui interroge les crises et les grandes transformations auxquelles nous sommes confrontés. Faut-il encore compter sur le nucléaire dans les décennies qui viennent ? ET même construire de nouvelles centrales ? Nous avons notamment posé la question à l’ingénieur et conférencier français Jean-Marc Jancovici et à Luc Barbé, l’un des pères de la loi de sortie du nucléaire, en 2003.

OUI, pour Jean-Marc Jancovici

Pour Jean-Marc Jancovici, le nucléaire c’est la technologie qui va nous permettre de garder une part de notre civilisation industrielle : "le nucléaire, c’est une énergie décarbonée et c’est le parachute ventral qui va nous permettre d’amortir la décrue des énergies fossiles, il nous offre une marge de manœuvre dans un monde qui va devoir de gré ou de force, se passer des énergies fossiles".

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L’ingénieur, co-auteur de la BD "Le Monde sans fin" liste une série d’avantages associés au nucléaire : "D’abord le fait qu’il soit dense et pilotable ce qui n’est pas le cas des énergies renouvelables. Les énergies renouvelables comme le soleil et le vent elles sont diffuses – ce qui veut dire qu’il faut beaucoup de dispositifs de collecte un peu partout sur le territoire – et elles sont intermittentes : il faut que le vent souffle ou que le soleil brille pour avoir de l’énergie". Ce qui n’est pas le cas du nucléaire : "Il faut considérablement moins de place pour construire une centrale nucléaire que pour installer une puissance équivalente en panneaux photovoltaïques".

Jean-Marc Jancovici souligne aussi le fait qu’à un moment donné avec la fin des énergies fossiles, il va devenir difficile de trouver le métal suffisant pour construire les éoliennes et les panneaux photovoltaïques en suffisance : "Rien ne garantit que dans un monde sans énergie fossile et démondialisé, on va pouvoir continuer à avoir des éoliennes aussi peu chères en Belgique. Les panneaux solaires et les éoliennes pas chères, ce sont aussi des enfants de la mondialisation". Or, pour une puissance donnée, une centrale nucléaire a besoin de nettement moins de métal que son équivalent en renouvelable.

Ceci dit, l’ingénieur qui préside aussi le shift-project, ne nie pas les difficultés associées au développement du nucléaire aujourd’hui : les coûts de construction élevés, le fait que les assureurs n’acceptent de couvrir qu’une part très limitée du risque… ce qui a fini par décourager le secteur privé d’investir dans cette filière. Il y voit la preuve que le nucléaire ne peut être qu’une énergie d’Etat : "c’est très simple : un nucléaire cher, c’est un nucléaire qui est développé dans un cadre privé et un nucléaire pas cher, c’est un nucléaire qui est développé dans un cadre public !". Pour Jean-Marc Jancovici, développer aujourd’hui une vraie filière nucléaire publique avec des perspectives claires et stables permettra d’amortir le choc de la sortie du fossile et de gérer au mieux les risques associés au nucléaire ainsi que la gestion des déchets radioactifs que produit cette énergie.

Quant à la question des ressources limitées en Uranium 235 (l’isotope actuellement utilisé dans les centrales), l’ingénieur répond que l’on maîtrise aujourd’hui la technologie (4e génération) qui permet d’utiliser l’Uranium 238, présent en bien plus grande quantité sur notre planète. "On a fermé les réacteurs Phénix et Super Phénix, en France, alors que la technologie avait fait ses preuves et juste connu ses maladies de jeunesse". Là encore, pour lui, il faut faire des choix clairs à 40 ou 50 ans pour permettre à cette filière de se développer.

NON, pour Luc Barbé

Luc Barbé, ingénieur lui aussi et qui était chef de cabinet d’Olivier Deleuze (Ecolo), au moment du vote de la loi de sortie du nucléaire en 2003, a un avis radicalement différent sur la question. Pour lui, on peut se passer du nucléaire et c’est d’ailleurs ce qui est en train de se produire : "aujourd’hui la plupart des pays dans le monde ont fait le choix du renouvelable. On investit aujourd’hui jusqu’à 15 fois plus dans le renouvelable que dans le nucléaire"

Luc Barbé, chef de cabinet d’Olivier Deleuze (Ecolo) au moment de la loi de sortie du nucléaire, en 2003
Luc Barbé, chef de cabinet d’Olivier Deleuze (Ecolo) au moment de la loi de sortie du nucléaire, en 2003 © RTBF

Sur l’aspect dense et pilotable, Luc Barbé ne nie pas le principe, mais fait remarquer qu’avec les nombreux problèmes encourus du côté des centrales nucléaires ces dernières années (en Belgique et en France) "l’énergie nucléaire a aussi montré une forme d’intermittence". Il estime par ailleurs que l’interconnexion de plus en plus poussée entre les réseaux européens et le développement de batteries va permettre de compenser de mieux en mieux l’intermittence de l’éolien et du photovoltaïque.

Luc Barbé dégaine aussi l’argument du coût et pointe une énorme différence entre le renouvelable et le nucléaire ces dernières années : "Le prix des éoliennes et des panneaux photovoltaïques n’a fait que diminuer ces dernières années. Par rapport aux débuts de la technologie, un panneau solaire coûte aujourd’hui 90% de moins. Or, pour le nucléaire, c’est le contraire ! L’histoire du nucléaire est remplie de dépassement de délais et de budget… c’est quand même bizarre une technologie qui, au fil du temps, coûte de plus en plus cher. D’habitude c’est le contraire".

Forcément, il évoque également les déchets et leur durée de vie énorme : "pour certains on parle de 300.000 ans, vous imaginez ? Si on avait construit des centrales à la préhistoire, on serait encore en train de gérer les déchets aujourd’hui !". Il s’inquiète aussi du risque d’accident, malgré les mesures de sécurités sans arrêt renforcées autour de ces centrales : "est-ce qu’on se rend compte des conséquences qu’aurait un accident dans un pays aussi densément peuplé que la Belgique ? Imaginez, un accident à Doel : il y aurait combien de morts ? 5000, 10.000 ? Des millions de Belges qui devraient fuir… ce serait le chaos complet !"

D’ailleurs Luc Barbé voit dans le fait que les assureurs refusent d’assurer le risque nucléaire la preuve que c’est une énergie trop risquée pour encore y investir pour le futur. Quant aux idées d’un autre nucléaire pour le futur, notamment la 4e génération : "vous savez, on parle de réacteurs 'Power-Point', on en fait des belles présentations… mais d’un point de vue de business plan à grande échelle ça ne tient pas la route, c’est un mythe et la planète n’a pas besoin de mythe. Elle a besoin de solutions."

Vous avez du mal à vous faire une opinion ? Alors prenez le temps d’aller plus loin en écoutant les 50 minutes de notre Podcast "Déclic – Le Tournant". Vous y retrouverez aussi les éclairages précieux de Thomas Pardoen, professeur à l’UCLouvain et président du comité scientifique du centre de recherche nucléaire belge, à Mol.

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