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Déforestation et du reboisement en RDC : "On ne va pas dormir affamés sous prétexte qu’il faut protéger l’environnement !"

« Les trafiquants ne coupent que les branches pour faire du charbon de bois et ils laissent au sol, les troncs énormes qu’ils n’ont pas réussi à couper, faute d’outils », se désole Francesca Lanata, ingénieur forestier au Jardin Botanique de Meise.

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Par Ghizlane Kounda

"Là, il y a 270 sacs de makala", explique Emmanuel Bahati Lukoo, responsable du secteur sud du Parc des Virunga, en désignant le grand tas de sacs de toile blanche. ‘Makala’ signifie en swahili, ‘charbon de bois’. "Nous les avons confisqués il y a une semaine. Trois camions les transportaient, en provenance de Rubare, un village proche d’ici. Nous les avons saisis parce que ce makala provient de la carbonisation d’arbres issus du Parc, et qui ont été coupés illégalement".

Nous sommes à Rumangabo, en pleine forêt afro-alpine, dans le secteur sud du Parc des Virunga, au Nord Kivu à l’Est de la République démocratique du Congo, non loin du Volcan Nyiragongo. Près d’un millier de gorilles vivent dans cette région frontalière avec le Rwanda et l’Ouganda. Le Parc en compte environ 350.

"Ce Makala était destiné à être vendu à Goma, Bukavu et même au Rwanda", ajoute Emmanuel Bahati Lukoo. "Un sac coûte 40 à 45 dollars. Faites le calcul ! Cette seule saisie vaut plus de 12.000 dollars… C’est comme ça que les groupes armés s’enrichissent. Ils achètent des munitions, des armes, ils rémunèrent leurs hommes".

Plusieurs groupes armés vivent de trafics de ressources naturelles issues du Parc des Virunga. Dans cette zone forestière du sud, les FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda), un groupe d’exilés rwandais hutus, parmi lesquels des génocidaires contre les tutsi en 1994, tirent profit de ce makala, si convoité dans la région.

"Là, il y a 270 sacs de makala", explique Emmanuel Baati Lukoo, responsable du secteur sud du Parc des Virunga, en désignant le grand tas de sacs de toile blanche.
"Là, il y a 270 sacs de makala", explique Emmanuel Baati Lukoo, responsable du secteur sud du Parc des Virunga, en désignant le grand tas de sacs de toile blanche. © Tous droits réservés

"Cette pratique du déboisement pour la carbonisation se passe au vu et au su de tout le monde", déplore Emmanuel Bahati Lukoo. "On ne sait pas qui est complice ou pas. Une partie de la population riveraine se livre à cette pratique, tout en étant protégée par ces groupes armés. Heureusement, une autre partie de la population nous aide. C’est sur base de renseignements que nous faisons ces saisies".

Le Parc des Virunga est la zone protégée la plus riche d’Afrique en biodiversité. Etendu sur plus de 300 km près de Goma au sud, jusqu’à Béni au nord, il abrite plus d’un millier d’espèces animales.

Près de 700 gardes forestiers ont pour mission de protéger cette biodiversité. Ils travaillent pour l’ICCN, l’Institut congolais pour la conservation de la nature, une agence de l’Etat congolais. Ils sont armés. Ils ont un mandat de policier. Leur mission est aussi de protéger la population qui vit dans le parc ou qui le traverse.

"Chaque jour, nous devons nous assurer que les gorilles de Mikeno sont suivis, qu’ils ne sont pas malades, qu’il n’y a pas de braconnage dans la zone", explique encore Emmanuel Bahati Lukoo. "Nous avons des hommes qui patrouillent dans plusieurs zones. Ces hommes font le suivi et nous rendent des rapports. Quand ils repèrent des traces de braconniers, j’envoie du renfort ".

Le reportage radio diffusés dans Transversales ce samedi 6/11 :

Parfois, il y a des tirs. Nous perdons souvent des hommes

Le Parc dispose d’une prison où régulièrement, des braconniers et autres destructeurs de la faune et de la flore sont enfermés pendant 48 heures, avant d’être remis au parquet de Goma. "Nous avons un bandit aujourd’hui", montre Emmanuel Bahati Lukoo en ouvrant la porte d’une pièce aménagée de deux lits. "Il voulait escroquer des gens au nom du parc". Avant d’ajouter, "Parfois, il y a des tirs. Nous perdons souvent des hommes. Pas plus tard qu’hier, nous avons enterré un de nos collègues. Il s’appelait Emery, il avait 31 ans. Il a laissé une veuve et trois enfants".

Depuis un an, 22 gardes forestiers ont perdu la vie dans des attaques de groupes armés. En février, l’ambassadeur italien en RDC a été tué sur la route qui traverse le parc. Et en 2014, Emmanuel de Mérode, directeur du Parc national des Virunga et directeur provincial de l’ICCN, a lui-même été blessé par balles dans une tentative d’assassinat.

"Notre métier est dangereux mais la seule façon d’honorer nos amis qui perdent la vie, c’est de continuer à faire ce travail", affirme Emmanuel Bahati Lukoo, "le faire bien pour que les futures générations travaillent sereinement. Notre mission est d’en finir avec cette insécurité".

Le Parc dispose de chiens pisteurs qui aident aussi à traquer les braconniers, à repérer les trophées, les ivoires d’éléphants et aussi à libérer les personnes qui ont été kidnappées. "Ces groupes armés, kidnappent la population civile, mais aussi des membres d’ONG, pour tenter d’obtenir des rançons".

Près de 700 gardes forestiers ont pour mission de protéger la biodiversité du Parc des Virunga. Ils travaillent pour l’ICCN, l’Institut congolais pour la conservation de la nature, une agence de l’Etat congolais.
Près de 700 gardes forestiers ont pour mission de protéger la biodiversité du Parc des Virunga. Ils travaillent pour l’ICCN, l’Institut congolais pour la conservation de la nature, une agence de l’Etat congolais. © Tous droits réservés

On voit de fortes érosions apparaître après les pluies

"Il n’y a pas que la menace des groupes armés, certains villageois nous jettent des pierres !" déplore Emmanuel Bahati Lukoo. "Parce qu’on leur interdit de cultiver dans le Parc, on leur interdit de faire le makala. Imaginez ! Vous protégez un pays et la population de ce pays vous rejette… c’est un travail difficile".

Plus de deux millions d’habitants vivent autour du parc des Virunga, un espace protégé dont ils n’ont pas accès aux richesses. Malgré les interdits, des villageois tendent à grignoter des parcelles pour cultiver sur ces terres fertiles ou se loger. Le makala est leur principale source d’énergie. Ils s’en servent d’abord pour nourrir le feu sous la marmite et aussi faire bouillir l’eau, en vue de la stériliser.

La République démocratique du Congo est le quatrième pays forestier au monde et deuxième pour les forêts primaires humides derrière le Brésil. Mais en 30 ans, avec la pression démographique, on estime que le pays a perdu 20% de ses forêts humides.

"On y trouve des ficus, semblables à nos figuiers en Europe, des tulipiers du Gabon, qu’on appelle des Spathodea campanulata", décrit Francesca Lanata, ingénieur forestier au Jardin Botanique de Meise. "Les trafiquants ne coupent que les branches pour faire du charbon de bois et ils laissent au sol des troncs énormes qu’ils n’ont pas réussi à couper, faute d’outils", se désole-t-elle.

Les conséquences du déboisement dans ces forêts humides congolaises sont déjà visibles. "On voit une diminution de la biodiversité", constate Francesca Lanata. "Mais de plus en plus, on voit de fortes érosions apparaître après les pluies. Parce qu’il y a moins d’arbres, l’eau se déverse sur les sites escarpés. Et avec le changement climatique, on assiste à des inondations de plus en plus violentes. Cette année, nous n’avons pas eu de saison sèche. Il a plu toute l’année. Cela a des conséquences dramatiques pour les paysans. Beaucoup ont perdu leur production".

Emmanuel de Mérode, directeur du Parc national des Virunga et directeur provincial de l’ICCN.
Emmanuel de Mérode, directeur du Parc national des Virunga et directeur provincial de l’ICCN. © Tous droits réservés

Une équation difficile à résoudre

Dans un tel contexte socio-économique et d’insécurité, comment alors concilier la protection de l’environnement avec le bien-être de la population ? Une population qui a besoin du charbon de bois pour survivre et qui est légitimement tentée par les richesses du Parc des Virunga.

"On sait que la population a besoin de ce makala pour survivre", explique Emmanuel de Mérode, directeur du Parc national des Virunga et directeur provincial de l’ICCN. "On ne peut pas priver la population de ce charbon bois. Tant qu’on n’aura pas trouvé d’alternative, on ne pourra pas y aller de main forte pour l’empêcher d’y avoir accès".

Et d’ajouter, "on a bien compris que cet effort pour protéger l’environnement doit être lié à l’économie de la région. Ce parc doit contribuer au bien-être de la population, davantage que ce qu’il lui prend en étant une ère protégée. La seule façon d’y arriver, c’est de créer une économie verte respectueuse de la population. Une économie qui protège l’environnement et qui est sensible à la question sécuritaire. Le tourisme et l’économie locale sont des exemples".

La fumée d’un feu de bois est perceptible dans le secteur sud du Parc des Virunga.
La fumée d’un feu de bois est perceptible dans le secteur sud du Parc des Virunga. © Tous droits réservés

Centrales hydroélectriques et programmes de reboisement

En exploitant le potentiel énergétique de ses rivières, le Parc des Virunga a construit trois centrales hydroélectriques pour fournir de l’électricité à la population. Cinq sont en construction. Un projet financé en partie par l’Union européenne.

"Cette source d’électricité a créé des entreprises dans la région", se réjouit Emmanuel de Mérode. "On estime que 12.000 emplois ont été créés. Parmi ces emplois, environ 11% sont des jeunes qui déclarent avoir quitté les groupes armés pour ce nouvel emploi. C’est la clé de notre stratégie".

Autre solution apportée à la population pour lutter contre le déboisement, c’est la reforestation. Francesca Lanata est impliquée dans le programme ‘Climat Virunga’. L’un de ces programmes vise à reboiser 1500 hectares dans des zones tampon qui entourent le parc, dans les chefferies. Un programme financé par le gouvernement flamand. "On leur propose d’un côté, de planter des arbres pour reconstituer à terme, une forêt communautaire. D’un autre côté, de planter des arbres – des essences à croissance rapide – destinés à produire du charbon de bois qui pourra être utilisé par les membres des associations impliquées dans ce programme".

Et de préciser, "On a répertorié une vingtaine d’espèces. On a donné aux associations des graines. Chacune a l’intention de planter 40.000 arbres. 27.000 plantes sont déjà prêtes à être plantées dans cette forêt communautaire".

Aimée Kataliko, coordonnatrice de l’organisation dynamique des femmes engagées pour un environnement sain et durable, dans l’une des pépinières du CREF, le Réseau pour la Conservation et la Réhabilitation des Ecosystèmes Forestiers. Une plateforme soutenu
Aimée Kataliko, coordonnatrice de l’organisation dynamique des femmes engagées pour un environnement sain et durable, dans l’une des pépinières du CREF, le Réseau pour la Conservation et la Réhabilitation des Ecosystèmes Forestiers. Une plateforme soutenu © Tous droits réservés

Au village, il n’y a pas d’électricité, pas de gaz

Dans la région, de nombreuses associations sont engagées dans des programmes de reboisement.

"Nous avons au moins 2000 Grevillea, des avocatiers, des citronniers…", énumère Aimée Kataliko, coordonnatrice de l’organisation dynamique des femmes engagées pour un environnement sain et durable, dans l’une des pépinières du CREF, le Réseau pour la Conservation et la Réhabilitation des Ecosystèmes Forestiers. Une plateforme soutenue par le CNCD-11-11-11.

"Nous avons aussi un germoir pour les eucalyptus". L’Avantage de planter des eucalyptus, c’est qu’en trois ans à peine, ils atteignent six à huit mètres de haut. "Nous les vendons à 500 Francs congolais, la pièce", précise Aimée Kataliko.

"Ces arbres sont plantés pour lutter contre le changement climatique. Et à terme, les bois sont aussi transformés en planches pour fabriquer des meubles. Aussi pour le bois de chauffe… surtout au village, où il n’y a pas d’électricité, pas de gaz. Si on ne trouve pas de solution en dehors du bois de chauffe, on ne va pas dormir affamés sous prétexte qu’il faut protéger l’environnement !"

Béatrice Mabariré Salumu bénéfice du programme de reboisement du CREF, le Réseau pour la Conservation et la Réhabilitation des Ecosystèmes Forestiers. Une plateforme soutenue par le CNCD-11-11-11.
Béatrice Mabariré Salumu bénéfice du programme de reboisement du CREF, le Réseau pour la Conservation et la Réhabilitation des Ecosystèmes Forestiers. Une plateforme soutenue par le CNCD-11-11-11. © Tous droits réservés

Des bandits ont surgi de la brousse, sans que je ne les voie arriver

Les programmes de reforestation apportent aussi la sécurité aux femmes. Ce sont elles qui vont ramasser le bois, au péril de leur vie. Des centaines subissent des viols. La violence n’est pas seulement le fait de groupes armés, elle s’est répandue dans la population. Depuis 25 ans, les armes circulent en toute impunité, dans chaque village.

"Un jour, alors que j’étais en train de faire le cerclage des arbres, des eucalyptus que j’avais planté, j’ai été victime de viol", raconte Béatrice Mabariré Salumu. Elle bénéfice du programme de reboisement du CREF. "Des bandits ont surgi de la brousse par derrière, sans que je ne les voie arriver. C’étaient des bandits de la région. Ils étaient armés. Ils viennent d’un endroit où il y a régulièrement des kidnappings. De retour à la maison, j’ai raconté à mon mari ce qu’il m’était arrivé. Il s’est mis en colère. Il n’a pas du tout accepté. Il a même voulu me chasser de la maison. J’étais effondrée… Alors j’ai eu le soutien de l’association des femmes qui a essayé de sensibiliser, d’expliquer la situation à mon mari pour qu’il ne me rejette plus. Pour finir, il a accepté que je reste à la maison et lui aussi est resté".

Au Nord Kivu, malgré les efforts du Parc des Virunga, moins de 4% de la population possède l’électricité. Le makala reste donc la principale source d’énergie.

"Ceux qui bénéficient de l’électricité du parc des Virunga ne consomment pas forcément moins de charbon de bois ou de bois de chauffe", explique François Biloko, secrétaire général du CREF. "Ils utilisent l’électricité pour l’éclairage, pour brancher la télévision et charger les téléphones. Mais pour cuire les haricots dans les casseroles, les familles préfèrent utiliser le makala ou le gaz pour ceux qui en ont les moyens".

« Je ne vais plus chercher le bois dans la forêt, parce que j’ai trouvé cette solution, avec la sciure. Je vais acheter des sacs dans les scieries. Un sac coûte 500 francs seulement », explique Ornélie Nzyavaké.
« Je ne vais plus chercher le bois dans la forêt, parce que j’ai trouvé cette solution, avec la sciure. Je vais acheter des sacs dans les scieries. Un sac coûte 500 francs seulement », explique Ornélie Nzyavaké. © Tous droits réservés
Ornélie Nzyavaké fait mijoter un plat de haricots sur un braséro. Désormais, c’est avec cette sciure qu’elle nourrit le feu.
Ornélie Nzyavaké fait mijoter un plat de haricots sur un braséro. Désormais, c’est avec cette sciure qu’elle nourrit le feu. © Tous droits réservés

Je ne vais plus chercher le bois dans la forêt, parce que j’ai trouvé la sciure

Dans certaines familles, la sciure de bois est une solution alternative au Makala. C’est plus économique et plus sûr pour les femmes.

Ornélie Nzyavaké fait mijoter un plat de haricots sur un braséro. Désormais, c’est avec cette sciure qu’elle nourrit le feu. "Je ne vais plus chercher le bois dans la forêt, parce que j’ai trouvé cette solution, avec la sciure. Je vais acheter des sacs dans les scieries. Un sac coûte 500 francs seulement", explique-t-elle.

C’est comme ça aussi, qu’Ornélie cuit le maïs pour produire et commercialiser la Mandale, une bière locale. "Ça fonctionne très bien, on n’a pas besoin de consommer beaucoup de braise", ajoute Jean de Dieu Kamate, le mari d’Ornélie. "50 à 60 kg de sciure sont écoulés en 10 jours. Auparavant, le bois s’écoulait en 6 jours, coûtait beaucoup plus cher, environ 5 dollars et il fallait courber le dos pour aller en chercher… C’est grâce à cette sciure que nous commercialisons la Mandale. Nous sommes vraiment très contents !"

L’électricité, l’économie verte, le reboisement sont autant de solutions pour lutter contre la déforestation, mais à ce jour, insuffisantes pour réduire la consommation du makala. Protéger l’environnement, face à une population qui a besoin du charbon de bois pour survivre est une équation, difficile à résoudre, car la protection de l’environnement vient après les questions légitimes de survie.

Pourtant, malgré la présence mafieuse des groupes armés, malgré la pauvreté, le parc des Virunga réussit à mettre en œuvre au Nord Kivu, un programme à la fois socio-économique et environnemental. Les gardes forestiers en payent de leur vie. Sans eux, le parc serait bien plus en danger.

Matabishi est un mâle âgé de 11 ans. Près d’un millier de gorilles des montagnes vivent dans cette région frontalière avec le Rwanda et l’Ouganda. Le Parc des Virunga en compte environ 350.
Matabishi est un mâle âgé de 11 ans. Près d’un millier de gorilles des montagnes vivent dans cette région frontalière avec le Rwanda et l’Ouganda. Le Parc des Virunga en compte environ 350. © Tous droits réservés
Fin septembre, André Bauma a accompagné Ndakasi, une femelle Gorille, jusqu’à son dernier souffle. Elle a succombé à une maladie.
Fin septembre, André Bauma a accompagné Ndakasi, une femelle Gorille, jusqu’à son dernier souffle. Elle a succombé à une maladie. © Tous droits réservés

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