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Déjà sept tirs de missile en 2022 : que cherche la Corée du Nord ?

Tir de missile nord-coréen (illustration – 14 janvier 2022)

© AFP

Par Philippe Antoine

Un tir de missile. Un de plus. Heureusement, ce ne sont que des essais. Ce dimanche 30 janvier, la Corée du Nord a donc procédé à un nouvel essai, le septième depuis le début de cette année. Le missile tiré hier pourrait même être le plus puissant tiré depuis 2017. Selon les autorités nord-coréennes, "ce tir d’évaluation du missile balistique sol-sol à portée intermédiaire et longue a confirmé la précision, la sûreté et l’efficacité" de l’engin, en cours de production. De quoi inquiéter la Corée du Sud et le Japon, qui sont les voisins les plus proches, mais pas seulement. D’autant que les autorités sud-coréennes considèrent que le régime de Pyongyang pourrait bientôt mettre à exécution sa menace de reprendre ses essais nucléaires ou de missiles balistiques intercontinentaux.

En début d’année, les tests ont aussi porté sur des missiles hypersoniques, qui volent à basse altitude vers leur cible et peuvent atteindre au moins cinq fois la vitesse du son. A en croire l’armée sud-coréenne, les premières évaluations ont permis de constater que le missile tiré le 6 janvier a parcouru plus de 700 kilomètres à une altitude maximale de 60 km et a atteint une vitesse maximale de 12.348 kilomètres par heure, autrement dit environ dix fois la vitesse du son.

Une stratégie de dissuasion

Pourquoi le régime nord-coréen effectue-t-il régulièrement ces essais de tirs de missile ?

Professeur à l’Institut de sciences politiques Louvain-Europe de l’UCLouvain et expert en analyse des conflits internationaux, Michel Liégeois explique que "la finalité de ce programme balistique et nucléaire, c’est d’avoir une capacité dissuasive vis-à-vis de toute menace possible. Ce qui est présenté comme une menace par Pyongyang ne veut pas dire que cette menace existe, mais le discours officiel, c’est que la Corée du Nord est menacée par la Corée du Sud et ses alliés, donc le Japon et les Etats-Unis, et que la façon la plus certaine d’assurer la dissuasion face à ces puissances, c’est de disposer d’une capacité balistique pour frapper leur territoire, or les technologiques balistiques telles qu’elles sont pour l’instant maîtrisées par la Corée du Nord ne sont pas encore capables de frapper de façon intercontinentale – donc le territoire américain – et surtout pas avec une charge nucléaire et la précision nécessaire. Cette capacité-là, elle ne peut s’obtenir que par essais/erreurs et donc en testant des technologies, ce qui nécessite de procéder régulièrement à des essais de ce type-là. On peut donc comprendre cette multiplication d’essais dans cette longue route vers une forme d’autonomie stratégique de dissuasion nucléaire".

Longue route vers une forme d’autonomie stratégique de dissuasion nucléaire

Le goût de la provocation

A côté de cet aspect "technique et pratique", il existe une autre explication à ces essais réalisés par Pyongyang : "Chaque fois qu’un tel tir est réalisé", précise Michel Liégeois, "cela provoque un émoi diplomatique, et la Corée du Nord le sait très bien. Elle en use, c’est en réalité une fonction de signal, pour montrer que la Corée du Nord reste tout à fait déterminée à atteindre cet objectif et que, le cas échéant, si l’on voulait encadrer cet objectif dans un processus diplomatique qui en assurerait le contrôle, cela supposerait de s’asseoir à la table des négociations, de faire des concessions dans les domaines économiques et commerciaux, de lever toute une série de sanctions qui existent contre la Corée du Nord. C’est donc une façon pour la Corée du Nord de rappeler qu’elle a des atouts dans une telle négociation, et depuis maintenant plus d’une dizaine d’années, on assiste à une sorte de fluctuation constante avec des périodes où on a l’impression que le régime est plus accommodant et est prêt à des concessions en échange d’une promesse d’allègement des sanctions, et puis on revient, souvent un an ou un an et demi plus tard, à une période beaucoup plus dure, avec une sorte d’escalade de provocation de la part de la Corée du Nord, et c’est comme ça depuis 10 ou 15 ans".

Interdits par l’ONU, les essais se poursuivent

Illustration parfaite de cette provocation, la Corée du Nord a effectué le 11 janvier dernier un tir au moment précis où se tenait une réunion à huis clos du Conseil de Sécurité de l’ONU, séance convoquée pour discuter de l’essai pratiqué par Pyongyang une semaine plus tôt. Depuis ses premiers essais nucléaires militaires en 2006, la Corée du Nord est la cible de sanctions internationales. Une série de résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, assorties de sanctions, interdisent d’ailleurs tout test de missile balistique et nucléaire nord-coréen.

Elle est dans une sorte de no man’s land juridique

Mais cela ne semble pas suffire. "La Corée du Nord est dans une situation un peu particulière sur le plan international puisqu’elle a dénoncé le TNP, le traité de non-prolifération, pour pouvoir développer sa propre capacité nucléaire", poursuit l’expert en analyse des conflits internationaux. "Elle n’est donc pas à proprement parler dans l’illégalité puisqu’elle a dénoncé le contrat qui aurait rendu cette position illégale, mais elle est dans une sorte de no man’s land juridique puisque si elle n’est plus en contravention avec le TNP qu’elle a dénoncé, elle se met au ban de la communauté internationale parce que l’immense majorité des pays considèrent que développer une capacité nucléaire est une menace contre la paix et la sécurité internationale ".

Démonstration d’arts martiaux devant Kim Jong Un, le 11 octobre 2021

Corée du Nord: démonstration d'arts martiaux devant Kim Jong Un, le 11 octobre 2021

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Une menace inacceptable pour les Etats-Unis

L’objectif des Nord-coréens n’est pas seulement de développer cette capacité nucléaire, il est aussi d’y ajouter une capacité balistique, c’est-à-dire une capacité à emporter cette charge nucléaire sur un territoire étranger : "On voit bien que la Corée du Nord progresse en termes de portée" dit Michel Liégeois, "les portées sont de plus en plus longues et on voit bien que l’objectif est d’arriver à une portée intercontinentale, cela crée une situation de tension, au premier chef avec les pays voisins qui se sentent les premiers visés, la Corée du Sud et le Japon, mais on ne peut pas exclure qu’un jour, à force d’essais et d’acquisition de technologies, la Corée du Nord ait la possibilité de frapper le territoire américain, auquel cas on aurait une potentielle crise sérieuse car il n’est pas du tout certain que Washington acceptera que la Corée du Nord atteigne cette capacité et pourrait tenter de frapper préventivement certaines installations pour empêcher que cela se produise".

La Corée du Nord progresse en termes de portée

La Corée du Nord dispose-t-elle de missiles à capacité intercontinentale ?

C’est l’une des questions essentielles car le degré de menace dépend de cette capacité à envoyer des missiles sur un autre continent. "Les Nord-coréens affirment qu’ils sont très proches de l’avoir, les experts disent que non, en tout cas pas d’une façon fiable", précise Michel Liégeois. "Maintenant, il y a cette différence entre une technologie qui potentiellement pourrait y parvenir et la capacité de le faire avec une dose de fiabilité suffisante. Ceci dit, quand on parle de frappe nucléaire, on n’a pas besoin d’une très grande précision. Imaginons qu’un missile peu précis frappe le territoire américain dans une zone peu peuplée, ce serait un événement tout à fait considérable et on peut difficilement imaginer qu’il n’y ait pas de riposte de la part des Etats-Unis, on aurait alors pour la première fois depuis 1945 un usage réel d’arme nucléaire, et personne n’a envie de l’envisager. Je ne suis même pas certain que la Corée du Nord l’envisage réellement : la seule raison valable de vouloir posséder une telle capacité, c’est à des fins dissuasives, et notamment pour se mettre à l’abri de toute tentative de pression d’influence ou d’intervention américaine sur le territoire nord-coréen, c’est la même logique qui fait que certaines factions en Iran souhaitent disposer de l’arme nucléaire, c’est pour sanctuariser leur territoire et disposer d’une marge de manœuvre beaucoup plus grande dans leur politique étrangère, mais ce n’est pas pour en faire usage".

 

Gérer deux fronts à la fois, c’est très compliqué

 

L’intensification des essais nord-coréens pourrait-elle aussi s’expliquer par la tension générée par la crise en Ukraine ? Michel Liégeois ne l’exclut pas : "On sent bien qu’il y a une focalisation sur la crise ukrainienne, et peut-être que du côté nord-coréen, on se dit que c’est le bon moment de tester la capacité des Etats-Unis à gérer deux crises en même temps, ce qui est toujours très difficile. Il faut réagir en permanence, adéquatement, ne pas se tromper, faire preuve de fermeté mais ne pas être à l’origine d’une escalade incontrôlée. La gestion d’une crise, c’est fatigant, ça met un exécutif à rude épreuve, parce qu’on a peu le temps de se reposer, le rythme est assez soutenu, et en gérer deux à la fois, c’est très compliqué".

L’ombre de Moscou

L’une des réponses à cette reprise des essais de missile par la Corée du Nord pourrait être un nouveau durcissement des sanctions qui frappent déjà le pays. Mais cela ne sera pas simple pour les Américains d’obtenir de nouvelles sanctions au Conseil de Sécurité de l’ONU dans la mesure où les relations sont extrêmement tendues avec la Russie : "Les Etats-Unis ne peuvent donc pas se permettre de se mettre éventuellement la Chine à dos en ayant une attitude trop dure vis-à-vis de la Corée du Nord", analyse Michel Liégeois.

Les Etats-Unis ne peuvent donc pas se permettre de se mettre éventuellement la Chine à dos

Qui ajoute encore un élément d’analyse : "Si l’on menait une enquête selon le principe que le coupable est celui à qui le crime profite, on pourrait se demander si derrière tout ça, il n’y a pas un peu de Vladimir Poutine qui aurait secrètement passé quelques accords avec les dirigeants de Corée du Nord, peut-être en échange de livraisons de denrées dont ils manquent pour l’instant en raison des sanctions, pour attiser un second front et mettre les Etats-Unis dans l’embarras. Je n’ai aucun élément qui montre cela, mais la concordance des deux me semble troublante". A défaut d’éléments concrets, cela reste une hypothèse, peut-être une piste de réflexion…

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