Belgique

Depuis Buizingen, le réseau ferroviaire belge compte "3 niveaux de supervision humaine pour éviter qu’une dramatique erreur se produise", comme en Grèce

Par Théa Jacquet sur la base d'une interview de Marie Vancutsem via

Depuis la collision frontale entre deux trains en Grèce ce 28 février, le bilan ne cesse de s’alourdir. Au moins 57 morts, selon les dernières informations, sont à déplorer, ainsi que plusieurs dizaines de blessés.

Le chef de gare arrêté et poursuivi pour "homicides par négligence" et pour avoir provoqué des "blessures corporelles" a témoigné ce 1er mars devant la justice. S’il a reconnu son erreur – avoir donné l’autorisation à un train transportant 342 passagers et dix employés des chemins de fer à emprunter la même voie qu’un convoi de marchandises -, il a aussi précisé que le système de sécurité qu’il a voulu actionner ne fonctionnait pas.

Une enquête est dès lors ouverte. Redoutant qu’elle ne soit bâclée, les Grecs ont manifesté dans plusieurs villes du pays. "Et plus le temps passe, plus des éléments surprenants voient le jour. On a appris par exemple que le chef de gare était en fait un fonctionnaire du ministère de l’Éducation qui, à cause de la mobilité professionnelle imposée, s’est retrouvé à ce poste après tout juste trois mois de formation", souligne ainsi la journaliste Angélique Kourounis, correspondante en Grèce, sur les ondes de La Première.

Or le règlement des chemins de fer grecs interdit qu’un chef de gare se retrouve seul à un poste d’une telle importance, et encore moins lorsqu’il est novice en la matière, ajoute la journaliste. Si cette situation a été rendue possible, c’est précisément en raison du manque de personnel dont souffre le réseau ferroviaire grec.

"Enfin, les Grecs ont appris que le pays n’a pas de système de sécurité et de signalisation sur le réseau des chemins de fer, que ce système devait être modernisé depuis neuf ans et qu’il ne l’a jamais été", poursuit Angélique Kourounis.

Un manque de moyens qui s’explique en partie par la politique d’austérité imposée au pays de 2009 à 2019. "Car la privatisation des chemins de fer a été imposée à la Grèce par ses créanciers à des conditions favorables pour la société italienne qui a racheté et pas pour la Grèce", précise la correspondante.

Il n’a donc eu aucune obligation de faire des investissements ou de maintenir les lignes. Pis, environ 80% d’entre elles ont été supprimées. Et alors qu’un nombre important de personnel s’est vu licencié et que les restants n’ont pu bénéficier d’aucune formation, le prix des billets a fortement augmenté. Pour ces raisons, nombreux sont les Grecs qui refusent de faire du chef de gare un bouc émissaire.

Des défaillances moult fois dénoncées par les syndicats

Opposés à la privatisation des chemins de fer, les syndicats ont à plusieurs reprises réclamé plus de personnel, de formations et surtout l’adoption de technologies de sécurité modernes. En vain.

L’un d’eux a par ailleurs envoyé un courrier au ministère des Transports le 7 février dernier pour l’alerter du mauvais état du réseau ferroviaire, de l’absence d’entretien des feux de signalisation et du non-fonctionnement du système ETCS (European Train Control System)qui pare à toute mauvaise manipulation humaine. À nouveau, sans réponse. Or depuis le mois d’août, trois trains ont déraillé dans le pays, sans faire de victimes.

Pour un ancien responsable de la sécurité des trains, la catastrophe de ce 28 février était inévitable. "Jusqu’à fin 2020, il y avait un centre de surveillance de la circulation. Il était impossible de ne pas prévenir une erreur d’aiguillage ou toute autre erreur d’un chef de gare ou autre technicien. Maintenant qu’il n’existe plus, on va à l’aveuglette", dénonce-t-il.

Et en Belgique ?

Le 15 février 2010, la Belgique connaissait également une catastrophe humaine similaire. Ce jour-là, deux trains sont entrés en collision à Buizingen, provoquant la mort de 19 personnes. 192 blessés étaient également à déplorer.

Depuis lors, la sécurité ferroviaire a drastiquement évolué. "Des engagements ont été pris à l’époque et nous les avons tenus et nous les tenons toujours aujourd’hui. Nous avons rehaussé le niveau de sécurité en appuyant la gestion du trafic", informe Frédéric Sacré, porte-parole d’Infrabel et invité de Matin Première.

Nous avons aujourd’hui une signalisation ferroviaire qui s’appuie dans sa totalité sur une informatisation qui est un gage de sécurité.

Et d’ajouter : "nous avons aujourd’hui une signalisation ferroviaire qui s’appuie dans sa totalité sur une informatisation qui est un gage de sécurité et qui ne laisse pas, laisse moins ou laisse une très petite place à l’erreur humaine".

Ainsi, le trafic est géré au départ de 10 cabines de signalisation et de 3600 kilomètres de lignes. "Ça veut dire que les opérateurs sont épaulés par une informatisation, et encore voudraient-ils commettre une erreur, envoyer un train sur une mauvaise voie ou un train en direction d’un autre, l’ordinateur les en empêche. Et pour être certain qu’aucun défaut ne peut survenir, il y a trois niveaux différents de supervision humaine pour faire en sorte précisément qu’une dramatique erreur ne se produise pas", assure Frédéric Sacré.

Une manière de fonctionner qui n’existait pas avant Buizingen. La manière de piloter les aiguillages ou les feux de signalisation reposait à l’époque sur une technologie appelée électromécanique, soit des impulsions électriques.

Système européen de contrôle des trains ou ETCS

Par ailleurs, il existe une norme de signalisation européenne, le système européen de contrôle des trains (ETCS), qui a, selon le porte-parole d’Infrabel, deux atouts majeurs. "Le premier, c’est la sécurité. C’est un contrôle permanent de la vitesse des trains. Autrement dit, si le conducteur, dans son poste de conduite, quelle qu’en soit la raison, n’adapte pas la vitesse du train aux circonstances, et j’entends par là un feu qui limiterait sa vitesse, un feu qui lui imposerait l’arrêt ou une densité du trafic et le risque de rattraper un autre train, grâce à une interaction entre le train et l’infrastructure, le train va être automatiquement ralenti, voire immobilisé", explique-t-il.

Le second est qu’il est interopérable puisqu’européen. "Ça veut dire que c’est la même norme de signalisation et un train belge peut, s’il le souhaite, le jour où ce sera totalement libéralisé, rouler jusqu’au sud du Portugal par exemple, pour autant que le réseau soit équipé comme l’est le nôtre aujourd’hui", complète Frédéric Sacré.

13 ans plus tard, tout le rail belge est-il équipé de ce système ? "On est environ à 50% du chemin accompli, ce qui est déjà un travail colossal. Ce sont des centaines de millions d’euros qu’Infrabel a investis pour assurer la sécurité de ce trafic, cette digitalisation des outils informatiques. Et les 50% restants seront atteints d’ici quelques années, à l’horizon 2025, et le travail va s’accélérer", avance le porte-parole.

Si le réseau a évolué depuis Buizingen, faut-il pour autant attendre un accident d’une telle ampleur pour que ces changements soient opérés ? Pas toujours, répond Frédéric Sacré. "C’est très clair qu’à la lumière d’un accident, la seule chose qu’on peut faire en mémoire des victimes, pour le respect, est de tirer les conclusions qui s’imposent et de modifier les outils", conclut-il.

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