Justice

Dérapages budgétaires, non respect des délais : comment Santiago Calatrava est passé d'architecte adulé à bâtisseur réprouvé

Quatre réalisations de Santiago Calatrava à New York, Liège, Valence et Bilbao.

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La gare de Mons devrait être inaugurée au début de l’été 2023 après de multiples rebondissements dont le dernier en date n’est pas le moins interpellant. Il s’agit du rapport accablant de la Cour des comptes qui, deux ans après les révélations de l’émission #Investigation, pointe un concours truqué pour l’attribution d’une passerelle qui s’est transformé en gare moyennant deux avenants, un marché public illégal voire le manque de transparence du dossier.

Si cette cour est chargée de contrôler la manière dont les autorités belges gèrent les deniers publics, son rapport remet l’homme qui a conçu la gare montoise, l’Espagnol Santiago Calatrava, sur le devant de la scène. Architecte multi-primé reconnu par ses pairs, Santiago Calatrava a rayonné partout dans le monde ou à peu près.

Dans son livre intitulé "Queriamos un Calatrava" ("Nous voulions un Calatrava") paru en 2016, le journaliste catalan Llatzer Moix écrit : "Les grandes villes qui ne possédaient pas encore une de ses œuvres ont commencé à se sentir incomplètes sans elles".

Santiago Calatrava, l’architecte originaire de Valencia en Espagne, s’exportait partout dans le monde et tous en redemandaient, de New York à Toronto, en passant par Venise, Séville, Zurich, Manchester, Rio, Jérusalem… Liège ou Mons. Qui son pont. Qui son palais des congrès aux formes arrondies. Qui sa cité des sciences ou sa gare.

Mais nombre de ces projets ont accouché dans la douleur, des projets associés à des mots comme démesure, dérapage budgétaire, procès voire mégalomanie… Certains n’ont tout simplement pas vu le jour telle la tour Spire à Chicago. L’homme auparavant adulé est désormais inondé de critiques. Santiago Calatrava n’est plus prophète en son pays, surtout depuis le transfert de son patrimoine en Suisse fin 2012 lorsqu’il opte pour l’exil fiscal. Exit les bureaux en Espagne et en France. 

Le projet de la gare de Mons est un bel exemple de dérapage budgétaire et de prolongations incessantes des délais :  entre l’avant-projet et la version finale, le montant est passé de 37 millions à 324 millions, soit un budget presque multiplié par dix.

Son étoile pâlit un peu plus encore en 2021 lorsqu’il est épinglé dans les Pandora Papers par le Consortium international des journalistes d’investigation. Le quotidien espagnol El Pais participe au consortium et sort une série d’articles dévoilant les diverses sociétés que l’architecte multi-primé possède aux îles Vierges britanniques, aux îles Caïman et au Delaware. Des sociétés opaques, montées dans le respect de la législation des paradis fiscaux mais posant des questions éthiques. Selon El Pais, "les paradis fiscaux coûtent chaque année aux gouvernements du monde entre 400.000 et 800.000 millions d’euros d’impôts".

Focus sur quelques réalisations et projets de Santiago Calatrava au parcours sinueux.

Le palais des Congrès d’Oviedo en Espagne

Le très imposant édifice blanc comprend un centre de conférences et d’expositions avec notamment un hall de 3200 mètres carrés, des immeubles de bureaux, un hôtel cinq étoiles, un centre commercial souterrain et un parking. Lors de sa construction en 2006, trois ouvriers sont blessés dans l’effondrement du toit. Santiago Calatrava est condamné à verser quelque trois millions d’euros au promoteur Jovellanos XXI. Quant au budget initial de 69 millions, il est multiplié par quatre.

Le bâtiment est moqué dans les cidreries de la ville d’Asturies pour son gigantisme, les affaires qui y sont liées, son manque d’intégration et dans le paysage urbain et dans les habitudes des habitants d’Oviedo… comme en témoigne l’échec du centre commercial de 40.000 mètres carrés. Les magasins ferment les uns après les autres. Les dettes s’accumulent. En 2019, le centre commercial est contraint de fermer ses portes en attendant de meilleurs jours. L’édifice n’a jamais été rentable… et Oviedo lui cherche toujours une utilité.

Le pont Zubizuri de Bilbao au Pays basque

Le pont Zubizuri à Bilbao.

La passerelle reliant les deux rives du Nervion à Bilbao a suscité bien des critiques depuis son ouverture en 1997. Le sol du pont a été réalisé en carrés de verre. Le hic, c’est qu’il pleut régulièrement au Pays basque et la passerelle devient alors glissante.

La situation était telle que les autorités publiques de Bilbao ont décidé d’adjoindre une passerelle pour personnes à mobilité réduite à l’édifice. Cet ajout a poussé Santiago Calatrava à porter plainte devant la justice pour "atteinte à la propriété intellectuelle".

À Bilbao toujours, le nouvel aéroport conçu par l’architecte disposait d’une salle d’attente en plein air, ce qui a contraint les autorités régionales a déboursé un peu plus de 3 millions d’euros pour y ajouter un toit.

La Cité des Arts et des Sciences à Valencia

La Cité des Arts et des Sciences à Valence, en Espagne.

La Cité des Arts et des Sciences de Valence est l’un des exemples les plus emblématiques des dérapages budgétaires de l’architecte espagnol. Son budget initial était fixé à 300 millions d’euros. De modifications en modifications, la Cité a finalement coûté plus d’un milliard d’euros. Les honoraires de Santiago Calatrava se sont pour leur part élevés à 100 millions d’euros.

Le pont de la Constitution à Venise

Le pont Calatrava ou pont de la Constitution sur le grand canal de Venise.

À peine inauguré en 2008, le pont de la Constitution conçu par Santiago Calatrava à proximité de la gare de Venise a suscité la polémique, de nombreux habitants le jugeant hideux. En 2019, l’architecte a été condamné à débourser 78.000 euros pour "négligences macroscopiques" dans la construction du pont de verre et d’acier.

La justice italienne reproche à l’architecte les coûts de rénovation nécessaires à intervalles réguliers et le manque d’anticipation de Santiago Calatrava par rapport à ce problème. Ces coûts s’élevaient déjà à 36.000 euros dix ans à peine après la construction du pont.

Le pont de la Constitution a coûté plus de 11 millions alors que le budget initial s’élevait à quelque 7 millions d’euros.

La gare du World Trade Center à New York

La nouvelle gare Calatrava du WTC à New York.

La nouvelle gare du World Trade Center, à l’est des anciennes tours jumelles détruites lors de l’attentat de 2001, a été inaugurée en 2016 alors que la fin de sa construction était initialement planifiée en 2009. Le directeur de l’autorité portuaire de New York et du New Jersey a déclaré que la gare, symbole d’un oiseau prenant son envol, était celui de "l’excès".

Le gigantesque hall Oculus surplombe des lignes de trains de banlieues, onze lignes de métro connectées – dont la ligne 1 qui relie le Bronx à l’embarcadère du sud de Manhattan – et une galerie commerciale.

Le projet a été évalué à deux milliards de dollars à son lancement. Il a tout simplement doublé.

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