Des États-Unis à la France en passant par l’Italie ou l’Espagne, les grands domaines viticoles sont désormais nombreux à faire appel aux superstars de l’architecture pour construire des chais spectaculaires. Petit tour d’horizon de ces châteaux d’un nouveau genre, qui attirent chaque année des dizaines de milliers de visiteurs. Pour nous emmener, Fabrizio Bucella de l’Inter Wine and Dine et auteur de l’anti-guide du vin paru chez Dunod. Balade oenotouristique au micro de "Bientôt à Table ! "

Herzog et De Meuron, Christian de Portzemparc, Norman Foster, Ricardo Boffil, Jean-Michel Wilmotte, Robbrecht and Daem… On se croirait à une exposition d’art contemporain et pourtant on est à Bordeaux. Est-ce la mode ces architectes célèbres qui refont des chais ? Ou bien y a-t-il d’autres raisons ?

Fabrizio en parle abondamment dans son livre "Pourquoi boit-on du vin ?" et même dans le dernier, "L’Antiguide du vin" qui est sorti cette semaine. Il y a plusieurs raisons à cela. La principale est que les domaines ont de l’argent à dépenser. Les grands vins ont vu leurs prix augmenter d’année en année. Lorsque le millésime était mauvais, les prix diminuaient certes un peu mais jamais dans les proportions de l’augmentation. Côté chiffre ? Prenons l’indice Live-Ex des Bordeaux Legend 40. Comme son nom l’indique, il regroupe les 40 vins les plus chers à Bordeaux. Sur les 5 dernières années, l’indice a augmenté de 26%. "Aucun placement ne vous permet d’avoir un tel rendement." Comprenez, qui dit plus d’argent, dit plus de dépenses, mais pourquoi des chais architecturaux ?

© Château Cheval Blanc et son chai signé Christian de Portzamparc.

La thèse que le spécialiste défend dans son livre est qu’il s’agit d’un élément de différenciation.

"Quand vous avez déjà tout, les vignes sont soignées au cordeau, les machines nec plus ultra… Même un nouveau tracteur à cinq vitesses et marche arrière. Que faut-il faire ? Continuer à se différencier. Le chai refait par un architecte célèbre y contribue."

"Il y en a évidemment beaucoup mais un de ceux que je préfère est celui de château Margaux, cru classé 1855 dans le Médoc. On a tous en tête la villa palladienne de Louis Combes, de la fin du Ier Empire. Il y a quelques années, les propriétaires de Margaux engagent un des architectes les plus côtés de la place : Norman Foster. Va-t-il refaire la villa ? Que nenni. Il respecte la bâtisse, il n’y touche pas et il va construire un nouveau chai."

Au final, un chai est totalement discret. Foster va même jusqu’à récupérer les tuiles d’un bâtiment adjacent pour mieux masquer la nouvelle construction. De loin, on voit le toit d’un vieil hangar, comme on en voit plein. Par contre, à l’intérieur c’est festival et cotillon, l’architecte s’en donne à cœur joie. L’œnothèque de château Margaux est tout en longueur, avec une balustrade sur la gauche. Foster a truqué le point de fuite de la balustrade afin de faire croire qu’elle est encore plus longue. Il y a un souci du détail et un rappel des trompe-l’œil, très en vogue depuis la Renaissance.

Un chai spectaculaire, une influence sur le vin qu’on déguste ?

S’il est vrai que tout le monde ne déguste pas château Margaux. Fabrizio développe un argument dans ses livres, notamment le dernier "L’antiguide du vin". Il s’agit en vérité d’un détournement de notoriété. L’architecte star transmet un peu de sa notoriété au domaine. Cela rejaillit sur l’acheteur de ces vins prestigieux. En sirotant Margaux, il avale un peu Foster si vous voulez.

Prenez la rénovation de château Cheval Blanc à Saint-Emilion, réalisée par Christian de Portzemparc en 2011. Le chai est créé sous une colline artificielle. Les cuves sont magnifiques, dessinées par un designer italien. Lorsque je l’ai visité, je me suis interrogé, car la forme de ces cuves est vraiment particulière. Influencent-elles le goût vin ? On m’a répondu que ce n’était qu’une enveloppe externe. En gros elles sont jolies pour la galerie. À l’intérieur, ce sont des cuves classiques, mais elles auraient été moins stylées. On le voit, ces rénovations sont magnifiques, certes, mais le tour de prestidigitation n’est jamais loin.

Autre chai coup de cœur : le château Pédesclaux, dans le Médoc, la rénovation est signée Jean-Michel Wilmotte. Il enchâsse le château dans un parallélépipède de verre. La bâtisse n’était pas vilaine, mais il fallait montrer l’intervention de l’architecte. Ceci dit, c’est totalement cohérent avec le projet. Auparavant, Pédesclaux était assez décrié. Parker a même eu ce mot cruel : "La vie est trop courte pour boire du Pédesclaux". Le nouveau propriétaire a voulu montrer qu’il avait pris le problème à bras-le-corps avec une rénovation tape-à-l’œil.

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