Qu’ils soient issus d’un phénomène de mode ou d’un changement profond dans notre société, les tatouages se font une place de plus en plus importante chez les Belges. En 2017, le Service public fédéral Santé publique estimait d’ailleurs qu’environ 500.000 d’entre eux se font tatouer chaque année.
Pourtant, le monde du tatouage pourrait littéralement perdre des couleurs dans les prochaines années. Une réglementation européenne prévoit notamment l’interdiction de plusieurs substances composant les encres de tatouages dans les années à venir.
Dès janvier 2022, plusieurs pigments actuellement utilisés dans les encres jaunes, oranges et rouges seront interdits.
►►► À lire aussi : L’UE instaure des règles communes pour des encres de tatouage moins nocives
Mais pour Davy D’Hollander, directeur général de TekTik, principal fournisseur de matériels et d’encres de tatouage en Belgique, cette interdiction pourrait rapidement être surpassée : "Des alternatives devraient rapidement arriver sur le marché car il existe d’autres pigments qui donneront les mêmes couleurs et qui ne sont pas sur la liste des substances interdites. Mais nous craignons que ces nouvelles substances soient là aussi interdites dans le futur".
Nous craignons de ne pas trouver d’alternatives
Néanmoins, la proscription de ces pigments n’est pas ce que le fournisseur appréhende le plus : "Nous craignons surtout de ne pas pouvoir trouver d’alternatives pour d’autres couleurs qui seront elles aussi interdites."
Le bleu et le vert pourraient disparaître des tatouages
Ces autres couleurs, ce sont le bleu et le vert. Parmi les 21 colorants que la Commission européenne veut interdire, le bleu de phthalocyanine (Pigment Blue 15 : 3) et le vert de phthalocyanine (Pigment Green 7) font partie des cibles à abattre. Dès janvier 2023, ces pigments seront officiellement bannis de l’Union.
La raison ? Leur dangerosité probable comme le précise la Commission dans son règlement : "Le Comite d’Évaluation des Risques (CER) de l’Agence Européenne des produits chimiques a estimé qu’il n’était pas possible d’exclure le risque de cancer et d’éventuels risques non liés à la cancérogénicité pour la majorité de ces colorants, principalement en raison du manque d’informations adéquates sur leurs propriétés dangereuses et sur le risque pour la santé humaine."
►►► À lire aussi : La moitié des salons de tatouage contrôlés en 2019 étaient en infraction
La Commission met cependant en exergue, comme l’expliquait Davy D’Hollander, que parmi l’ensemble des colorants concernés par cette interdiction, "seul les deux colorants à base de phthalocyanine, Pigment Blue 15 : 3 et Pigment Green 7, sont essentiels pour le tatouage parce qu’il n’existe pas de solutions de remplacement plus sûres et techniquement adéquates."
De l’aveu même de l’Europe, ces pigments sont difficilement remplaçables, ce que confirme le patron de Tektik : "Il y a certes des recherches mais pour le moment, il n’y a pas de résultat concluant. Ou alors, ce sont des produits qui sont plus dangereux que ceux qui existent déjà".
La Commission a donc statué sur une période transitoire. Une dérogation limitée de 36 mois afin de permettre aux fabricants de reformuler leur mélange et trouver une alternative. Mais il est peu probable que d’autres options soient trouvées avant la fin de cette période qui se termine en janvier 2023.
Un réel danger pour la santé ?
Ces encres pourraient-elles présenter un risque de développement de cancer comme le laisse penser l’Europe ?
Peu probable d’après Alfred Bernard, toxicologue à l’UCLouvain, même s’il confirme que certaines substances présentes dans les encres sont cancérogènes. "On y trouve des contaminants qui sont cancérogènes pour l’homme, comme les hydrocarbures aromatiques polycycliques qui peuvent provoquer des cancers de la peau ou encore les amines aromatiques qui peuvent provoquer des cancers de la vessie. Mais il n’y a aucune étude concernant les tatouages. Ces études portaient principalement sur les teintures pour cheveux et les plus récentes ont montré que les femmes qui ont utilisé ces produits n’ont pas particulièrement développé de cancer", précise le professeur.
►►► À lire aussi : Encres de tatouage et risque de cancer : méfiez-vous des contrefaçons
Cependant, ces teintures pour cheveux réalisées régulièrement ne sont pas comparables aux tatouages. "Dans le cadre des tatouages, l’exposition n’est pas régulière donc les risques sont bien moindres. Il s’agit surtout d’une surprotection de la part de l’Europe par rapport à ces substances qui, il est vrai, sont cancérogènes."
Le toxicologue tient donc à relativiser : "Ces substances ne représentent pas un grand danger pour les tatouages. Il n’y a pas lieu de s’alarmer car il n’y a pas de risque important. Aucune donnée ne montre qu’elles ont provoqué des cancers".
Interdire les encres de tatouages alors que l’on autorise les cigarettes, c’est un comble !
Un constat qu’émet également le directeur général de TekTik qui estime que l’Europe autorise d’autres substances plus dangereuses : "Interdire les encres de tatouages alors que l’on autorise par exemple les cigarettes, c’est un comble ! L’impact tabac est bien plus important sur la santé. D’autant plus que jusqu’à maintenant, aucune étude n’a révélé de cancer dû aux encres chez les personnes tatouées. Ce n’est pas une pratique nouvelle et on a du recul depuis de nombreuses années."
Rush dans les salons de tatouage
Du côté de Tatouage Belgique, L’ASBL nationale belge des tatoueurs et perceurs, on regrette ce nouveau règlement qui impliquera plus que probablement un manque a gagné et un frein à l’art du tatouage : "Nous ne pourrons plus nous exprimer comme avant et les clients ne pourront pas réaliser les projets qu’ils désirent, déplore Gwenaelle Réaume, la secrétaire de l’ASBL. Certains clients ne voudront plus se faire tatouer, ce qui représentera un manque à gagner pour les tatoueurs."
►►► À lire aussi : Le tatouage, un phénomène qui touche toutes les générations
L’ASBL constate d’ailleurs une forte demande pour des tatouages de couleurs depuis l’annonce de cette nouvelle réglementation : "C’est le rush dans les salons parce que les gens viennent se faire tatouer en couleurs avant que celles-ci ne soient interdites et qu’il n’y ait plus d’alternatives. Pour ce qui est du bleu et du vert, nous ne pourrons plus les mélanger à d’autres couleurs qui, forcément, disparaîtront. Ça sera le cas du mauve par exemple."
Fournisseurs comme tatoueurs craignent aussi que l’interdiction de ces couleurs entraîne la création d’un marché noir ou de salons de tatouage clandestins non encadrés et ne respectant pas les standards sanitaires.