Belgique

"Des erreurs (graves) ont été commises" : rapport accablant du Comité R sur l’affaire Conings

© Tous droits réservés

Le très attendu rapport du Comité R sur le suivi de la radicalisation de Jürgen Conings a été publié sur son site internet. Un rapport accablant envers les services belges de renseignement. "Il est indéniable que des erreurs (graves) ont été commises à tous les niveaux du SGRS, mais aussi dans toute la ligne hiérarchique de la Défense", souligne l’organe de contrôle indépendant.

Affaire Conings : le point d’intersection

L’affaire Jürgen Conings constitue le point d’intersection "de toutes les constatations des manquements que le Comité permanent R a faites ces dix dernières années au sein des services de renseignement et de sécurité en général, et au sein du service de renseignement militaire en particulier". Par exemple, suite aux attentats du 22 mars 2016, une banque de données commune regroupant les individus fichés pour terrorisme (Terrorist Fighters) avait été créée. Sauf que, selon le Comité R, les collaborateurs du SGRS ne l’utilisent presque jamais : "(Ils) ne sont pas, ou à peine familiarisés avec l’utilisation de la banque de données commune Terrorist Fighters. Seuls deux collaborateurs y ont d’ailleurs demandé l’accès entre novembre 2020 et avril 2021 sur les 49 collaborateurs qui disposaient de cet accès".

Accès aux armes et aux munitions : "Toutes les règles ont été foulées aux pieds"

Les armes au sein de la Défense sont qualifiées de "matériel sensible". Ce qui signifie que les règles concernant l’armurerie de la Défense "excluent qu’un même individu puisse être à la fois gestionnaire d’armes et de munitions". Or Jürgen Conings et un second employé de la cellule administrative-logistique avaient bien accès aux armes et aux munitions simultanément. "Ainsi, les responsables au sein de la Défense n’ont pas respecté lesdites règles", souligne le comité R, précisant que cette cellule avait dû prendre des mesures de "simplification" suite à la crise du coronavirus. Par ailleurs, Jürgen Conings et son collègue avaient également accès à des munitions spéciales pour armes anti-char : "Avec la présence de Law Heat M72 [armes anti-char] dans le bloc, toutes les règles de sécurité et de stockage ont été foulées aux pieds".

Série de manquements au sein et entre les services de renseignement

Jürgen Conings est entré pour la première fois dans les radars de la Sûreté de l’Etat en 2015. Le Comité R a constaté que cette information n’avait pas été partagée avec le SGRS car la Sûreté de l’Etat considérait "que l’information n’était pas assez pertinente". Ce n’est qu’en 2020 que l’OCAM et le SGRS sont avertis du profil extrémiste du militaire.

Et c’est loin d’être le seul exemple de manque de communication entre les services de renseignement. Le 15 février 2021, le SGRS avait décidé de lancer une opération de renseignements ciblant Jürgen Conings. Mais à la connaissance du Comité R : "aucune méthode de recueil de données n’a été mise en œuvre jusqu’au 17 mai 2021". Selon le SGRS, le personnel compétent pour cette tâche était alors "débordé". La mission avait été reportée "en raison du lancement d’une autre opération plus prioritaire". Sauf que selon le Comité R, cette seconde opération n’a commencé que le 4 mai 2021, soit bien après la décision de lancer une opération ciblant Jürgen Conings.


►►► À lire aussi : Qui doit payer pour l’affaire Conings ?


A cela s’ajoutent des conflits entre les membres du personnel du SGRS. Le Comité R pointe un "conflit interpersonnel" au sein de la plateforme chargée d’assurer le suivi de l’extrémisme de droite. "Cette plateforme est restée de facto sans dirigeant de septembre à décembre 2020 inclus".

En conclusion, pour le Comité R, le fait que Jürgen Conings "n’a pas fait l’objet d’une pré-enquête EPV (extrémistes potentiellement violents), ni qu’il a été inscrit comme EPV dans la BDC TF (la banque de données commune regroupant les individus fichés pour terrorisme), ni que l’OCAM ne lui a fixé le niveau de menace 3 le concernant, ont eu un impact sur le suivi de l’intéressé par le service de renseignement militaire".


►►► À lire aussi : Affaire Conings : des "dysfonctionnements graves" au sein du SGRS, une réforme pour 2022, des démissions sont attendues


Le comité R précise par ailleurs que, début 2021, le chef du SGRS avait reçu un briefing mensuel sur les opérations lancées et en cours, donc également sur celles visant Jürgen Conings. La ministre le Justice avait quant à elle assisté à un autre briefing. "À aucun des deux briefings, de la ministre et du chef du SGRS, il n’a été fait mention qu’un de ces militaires était repris dans la BDC TF et était placé au niveau 3 : le commandement du SGRS n’était lui-même pas au courant…", souligne le rapport.

D’innombrables recommandations

D’"innombrables recommandations" ont déjà été formulées à l’adresse du gouvernement et du parlement à propos des deux services de renseignement, rappelle encore le comité R.

Selon le Comité R, le fonctionnement du SGRS doit être modifié en profondeur. "Le SGRS n’a pas assuré un suivi suffisamment actif de l’affaire Conings. Il est clair qu’il y a une grande marge d’amélioration", insiste-t-il. Le SGRS apparaît aujourd’hui comme un service "laissé à l’abandon". Dans une précédente enquête sur le suivi de l’extrême droite, le Comité R avait déjà constaté que "le nombre de sources humaines pouvant fournir des informations au SGRS sur l’extrémisme de droite est très limité, que les effectifs sont insuffisants et que le SGRS n’a mis en œuvre qu’une seule méthode particulière de renseignement au cours de la période 2015-2019 dans le cadre du suivi de l’extrême droite". Le phénomène de l’extrême droite n’est d’ailleurs suivi que par un seul analyste au sein du SGRS. Le Comité R préconise donc à nouveau de pallier ces manquements et de prévoir une formation continue pour remettre le personnel à niveau.


►►► À lire aussi : Revue de presse : le service de renseignement, délaissé depuis trop longtemps


En 2015, Le Comité R avait également appelé à la "vigilance" concernant le suivi d’éléments extrémistes au sein du personnel de la Défense. Un appel qu’il réitère en pointant l’importance d’une amélioration de la communication entre les différents services de renseignement et du traitement du flux d’informations au sein du SGRS.

Enfin, le comité R recommande également qu’un débat sociétal (parlementaire) plus large soit mené sur les missions attribuées au service de renseignement militaire. Et de préciser que "les gouvernements successifs n’ont pas suffisamment pris en considération la recherche d’un équilibre délicat entre les missions et les moyens de la Défense".

Sujet JT 05/07/2021

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma...Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Articles recommandés pour vous