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Des fonctionnaires brisent le silence sur des faits de harcèlement sexuel au sein d'une administration bruxelloise

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Par Camille Wernaers pour Les Grenades

Le Service Public Régional de Bruxelles (SPRB) est l’organe en charge de mettre en pratique la politique de la Région qui emploie 1600 personnes réparties dans différentes administrations (Bruxelles Mobilité, Bruxelles Logement, etc.). Avec quelles conditions de travail pour ces fonctionnaires ? "Exécrables", d’après plusieurs sources auxquelles Les Grenades ont pu parler.

Un contexte de harcèlement moral ?

En 2015 déjà, selon un document que nous nous sommes procuré et intitulé "Cela suffit ! Le personnel demande du respect !", des délégués syndicaux alertaient sur les méthodes de management au sein de l’un des services du SPRB, Bruxelles Invest & Export (BEI), qui créeraient des burn-out et de l’anxiété chez les employé·es. En 2018, alors que le même service, Bruxelles Invest & Export, devenait hub.brussels, des attaché·es économiques et commerciaux avaient expliqué subir des pressions et des menaces pour les inciter à démissionner et à signer un nouveau contrat. Une requête avait d’ailleurs été déposée auprès du Tribunal du Travail pour que cesse le "harcèlement moral envers les attaché·es de la part du département du commerce extérieur de la Région Bruxelloise". Une question parlementaire avait également été posée à ce sujet. A l’époque, le Tribunal du travail avait donné raison aux employé·es.

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Lise* a travaillé 15 ans dans ce service, elle a représenté le gouvernement bruxellois dans différents pays avant d’être licenciée en 2019, "brutalement", selon ses dires. Elle est aujourd’hui en procès avec son ancien employeur car elle estime ce licenciement "abusif". "Cette culture d’entreprise était exécrable et rendait les employés malades. Les supérieurs se croyaient au-dessus de tout, ils s’en fichaient", confirme-t-elle.

"J’ai reçu beaucoup de menaces. Dès le début de ma carrière, mes supérieurs menaçaient de me licencier pour n’importe quelle raison. J’ai vécu des moments particulièrement difficiles, par exemple en 2016, j’étais détachée en Turquie quand il y a eu la tentative de coup d’État. J’y vivais et travaillais pour la Région bruxelloise avec mes filles. Personne n’a pris de mes nouvelles. Quand j’ai fini par recevoir un appel, et quand j’ai exprimé mon inquiétude, on m’a répondu que si un dictateur arrivait au pouvoir, c’était bien pour la stabilité du pays…", explique-t-elle dans un souffle.

Du harcèlement sexuel ?

Dans ce contexte, des employé·es nous rapportent également des cas de harcèlement sexuel. Lise acquiesce : "Jamais envers moi, mais oui, j’ai assisté à du harcèlement sexuel, notamment une collègue invitée à dîner. Et il était clair qu’il ne s’agissait pas que de manger…" Quant à lui, un fonctionnaire du SPRB questionne : "Le harcèlement est généralisé et tout le monde est au courant, dont la direction et les syndicats. Tout le monde se protège en haut lieu. Il y a une vraie omerta. Les syndicats et le bien-être au travail dépendent de la direction, comment leur assurer une réelle indépendance ?".

Je me suis sentie, moi, coupable de lui avoir dit non, de m’être mise toute seule dans cette situation. Ça a cassé mes ambitions professionnelles

Laura* travaille au sein de cette administration bruxelloise. Elle témoigne de harcèlement venant du même homme en situation de pouvoir, aujourd’hui à la retraite. "Je travaillais déjà au Service public bruxellois depuis des années, donc je connaissais sa réputation, je ne m’en approchais pas. Je pensais qu’il ne s’en prenait qu’aux petites jeunes, et que je n’aurais rien à craindre. Je restais toujours en bas de l’organigramme par rapport à lui. Puis j’ai avancé dans ma carrière, j’ai monté les échelons et j’ai dû le fréquenter au travail. On m’avait bien dit de faire attention", se souvient-elle.

"J’ai accepté les missions, parce que je voulais être bien vue et appréciée. Parfois, je lui posais des questions professionnelles, sur des dossiers, dans un contexte de travail. Il a fini par en déduire qu’il avait une opportunité avec moi. Il m’invitait au restaurant et les conversations dans lesquelles il m’entraînait ont commencé à avoir un caractère malsain, sexuel. Je ne savais pas comment y mettre un terme car il s’agissait de mon supérieur", poursuit-elle. "Je ne voulais pas le vexer, j’ai fini par lui dire que j’avais un mari et que j’étais fidèle. Il m’a répondu : 'ok mais si tu as une jolie copine, tu peux me la présenter !' J’ai cru que cela s’arrêterait là".

Parce qu’elle a dit non, Laura explique que le harcèlement moral s’est accentué, jusqu’à de la violence physique. "On m’a dit que j’avais une certaine 'réputation'. J’ai reçu des remarques et des allusions sur le fait que je m’étais mal comportée. Mais je n’avais rien fait, c’est lui qui se comportait mal ! Lors d’une réunion, il m’a poussée et je suis tombée par terre devant tout le monde. Je n’ai pas osé faire un esclandre. C’est son ego, il n’a pas eu le dessus avec moi. Il n’a pas apprécié. Il s’agissait clairement d’abus de pouvoir, avec un phénomène d’emprise, des menaces et de la culpabilisation", analyse aujourd’hui Laura. "Je me suis sentie, moi, coupable de lui avoir dit non, de m’être mise toute seule dans cette situation. Ça a cassé mes ambitions professionnelles."

"La hiérarchie et ce système très pyramidal sont un terrain favorable, car tout le monde se protège pour continuer à monter les échelons ", observe Laura. A-t-elle porté plainte ? Laura rigole doucement. "Bien sûr que non, c’est comme porter plainte pour viol. Cela n’aurait mené à rien et on m’aurait dit que c’était de ma faute", soutient-elle, résignée. Laura s’estime chanceuse car cela n’a pas été plus loin.

Des "solutions imparfaites"

Sollicitée par nos soins, Gratia Pungu, fonctionnaire au SPRB et déléguée CGSP, souligne : "Depuis que je suis permanente, soit trois ans, aucun fait de harcèlement sexuel ne m’a été confié, les faits pour lesquels 'tout le monde savait', y compris le syndicat, doivent dès lors remonter à plusieurs années. […] J’ai eu 'connaissance', rarement de façon directe, de certains faits, mais à mon estime ils n’ont jamais donné lieu à des plaintes formelles." Elle reconnaît néanmoins : "Il y a eu des réactions de l’administration de déplacement des victimes, ce qui était, à l’époque et vu l’état de la législation à ce moment, considéré comme la meilleure protection possible. Je suppose, sans pouvoir en jurer, que c’était en accord avec les victimes. C’était des solutions imparfaites, injustes, mais à l’époque, il s’agissait dans tous les cas de 'sauver' la victime en la soustrayant à son agresseur. Pour ma part, les personnes qui m’ont sollicitée dans ce cadre, n’ont pas souhaité se faire connaître, témoigner, encore moins entamer une procédure de plainte."

Que se passe-t-il quand un cas de harcèlement arrive aux oreilles des syndicats ? "Dans ce cas et à titre individuel, le syndicat apporte son assistance : en recevant les victimes, en les informant de leurs droits et possibilités d’aide et de recours en interne et en externe, en les aidant dans leurs démarches, le cas échéant", répond Gratia Pungu.

"L’organisation syndicale s’est concentrée sur l’action collective préventive à travers la promotion d’informations, de formations, la négociation de règles ou de procédure de prévention ou de traitement des plaintes. A ce titre, nous avons été attentifs à ce que les informations essentielles soient distillées sur l’intranet, y compris les possibilités de signaler un fait directement à l’Institut pour l’Égalité entre les femmes et les hommes (IEFH) et toutes les possibilités de recours. Lors de la négociation des règlements de travail, la CGSP insiste systématiquement et jusqu’à présent obtient qu’un chapitre soit dédié à la non-discrimination, y compris le harcèlement sexuel, ce qui manquait dans l’ancien règlement de travail. Nous exigeons, en plus, sa relecture pour avis par l’IEFH. Et ce n’est qu’alors que nous l’approuvons."

"C’est un processus en cours. Ce n’est sans doute pas suffisant et dans les affaires de discrimination, malgré les modifications législatives observées en 25 ans, dont le partage de la charge de la preuve et la protection des témoins, la difficulté demeure", explique-t-elle.

"La loi du silence"

"Je travaille depuis 20 ans au Service public régional de Bruxelles. Je ne pourrais pas vous dire tout ce que j’ai vu. Je connais plusieurs femmes qui ont subi du harcèlement sexuel et qui se sont confiées à moi. Cette personne a été très loin et cela a fait scandale en interne avant d’être étouffé. Sur cette question, c’est la loi du silence", résume un autre fonctionnaire. Gratia Pungu a elle aussi été confrontée à cette peur des témoins : "Dans quasiment tous les cas de discrimination, les témoins n’acceptent au maximum de parler qu’informellement aux organisations syndicales et sous couvert du secret absolu, même protégés, par peur des représailles, surtout dans les petites unités", précise-t-elle.

"A certains échelons dans la hiérarchie, si tu es copain avec eux, tout va. Mais pour tout le reste du personnel qui travaille en dessous d’eux, c’est une autre histoire", poursuit le même fonctionnaire. "Ce fonctionnaire participait à des missions économiques à l’étranger, avec le Prince, au frais de la princesse comme on dit ! Et il en profitait aussi pour abuser de son autorité avec les femmes qui faisaient partie du voyage."

"La nouvelle secrétaire générale, Julie Fiszman, a préparé un plan concernant la diversité, notamment via l’adoption d’une charte, mais nous n’y croyons pas. Tous les directeurs ont été éduqués de cette manière, dans cet ancien système. Ce n’est plus possible de continuer comme cela de nos jours. Et les directeurs sont aussi syndiqués, donc les syndicats ne bougent pas. Il faudrait tout remettre à plat", poursuit-il.

De son côté, la secrétaire générale du Service Public Régional de Bruxelles, Julie Fiszman, réagit à cette enquête en rappelant que "la question du sexisme au travail et la lutte contre cette forme de discrimination et contre le harcèlement sexuel sont une des priorités absolues de notre organisation. Nous voulons assurer le rôle d’exemplarité que les citoyens, les citoyennes et le gouvernement bruxellois attendent d’un service – au – public. Au travers de notre politique du bien-être au sein de l’organisation, nous prenons la problématique à bras-le-corps. Ainsi, nos équipes en charge de cette politique se démènent pour faire connaître et reconnaître les acteurs et actrices du bien-être concerné·es et les procédures de dénonciation en cas de harcèlement et de discrimination."

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Au sujet de l’adoption de la charte diversité : "L’ensemble des membres de l’équipe de direction l’a approuvée. Tout membre de l’organisation qui peut avoir une influence sur la gestion du travail d’un collaborateur ou d’une collaboratrice et donc toute notre organisation s’engage à soutenir toute procédure structurelle de gestion des discriminations et toute procédure de signalement de discriminations présumées, combattre toutes les formes de discrimination et former les membres du personnel à la gestion de la diversité et soutenir les collaborateur·trices qui seraient victimes de discrimination."

La secrétaire générale conclut : "Je veux également saluer les progrès réalisés au sein de notre organisation ces 20 dernières années en termes d’égalité. A cet égard, permettez-moi de citer un chiffre pour conclure : en 2007, il n’y avait aucune femme au sein de l’équipe de direction et en 2020 nous atteignons 43%. Pour la première fois de son histoire la plus haute direction du Service Public Régional de Bruxelles est composée paritairement."

*Les prénom ont été modifiés.

Si vous souhaitez contacter l’équipe des Grenades, vous pouvez envoyer un mail à lesgrenades@rtbf.be

Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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