Belgique

Des habilitations retirées à des militaires belges ayant un lien avec la Russie

Par Sébastien Georis

Dominique a récemment passé un entretien de plusieurs heures dans les locaux du SGRS (Service Général du Renseignement et de Sécurité), le service de renseignement militaire. Cet exercice imposé est un des volets d’une enquête de sécurité qui peut durer plusieurs mois. Les recherches visent à déterminer si Dominique (prénom d’emprunt), militaire expérimenté(e) dans son domaine, peut encore bénéficier d’une habilitation de niveau "secret".

Une habilitation de sécurité est nécessaire pour occuper certains emplois, fonctions ou grades. Selon son niveau, elle permet de prendre connaissance d’informations et de documents classifiés "confidentiel", "secret" ou "très secret". Elle donne aussi accès à certains bâtiments ou sites.

Pour qualifier ce genre d’entretien, le SGRS utilise le terme "interview". Dominique dit l’avoir plutôt vécu comme un "interrogatoire". Face aux questions de l’agent (anonyme) du service de renseignement militaire, Dominique n’était pas seul(e). La présence de la personne qui l’accompagne depuis plusieurs années dans sa vie privée et dont les racines sont russes était également requise.

Origine, famille et relations sous enquête

Comme le rappelle le SGRS dans son rapport annuel publié au mois d’avril, "la grande majorité du personnel (de la Défense, ndlr.) entre en contact avec des informations, des procédures et des systèmes d’armes classifiés dans l’exercice de ses fonctions". Dans ce contexte, "une enquête portant sur l’entourage du demandeur, un contrôle numérique ou un entretien avec ce dernier font partie des méthodes d’investigation possibles".

Pour l’octroi d’une habilitation "secrète", l’enquête de sécurité se penche sur le demandeur et sur son ou sa partenaire. Au stade "très secret", tout l’entourage proche est sondé. La loi de 1998 "relative à la classification et aux habilitations de sécurité" régit cette matière.

Dominique ne s’étendra pas sur le contenu de la discussion qui s’est tenue dans les bâtiments du service de renseignement à Evere. En prélude, il lui a été signifié l’interdiction d’évoquer cette audition à l’extérieur. Mais il semble clair que l’origine russe de son/sa partenaire et les voyages privés réalisés dans ce contexte sont des sujets d’intérêt pour les enquêteurs en sécurité.

Le cas de Dominique n’est pas isolé. Selon les informations récoltées par la RTBF, des investigations du même type sont bouclées ou toujours en cours pour d’autres membres du personnel de la Défense ayant un lien (origine, famille, relations) avec la Russie ou avec certains pays de l’ex-URSS. À la suite de ces enquêtes, plusieurs habilitations de sécurité ont été retirées ces derniers mois.

Les évolutions géopolitiques peuvent jouer un rôle dans les enquêtes qui sont ouvertes

Contactée par la RTBF, la ministre de la Défense rappelle qu’il "incombe au service de renseignement militaire SGRS de détecter et d’empêcher des menaces pour la sécurité de la Défense et de ses employés". Ludivine Dedonder ne souhaite pas préciser le nombre d’habilitations retirées dernièrement, ni même confirmer l’existence d’enquêtes de sécurité à propos de membres du personnel ayant un lien avec la Russie. La ministre indique néanmoins que "bien entendu, les évolutions géopolitiques peuvent jouer un rôle dans les enquêtes qui sont ouvertes. Lorsque des problèmes se posent dans ces dossiers, comme dans d’autres, la Défense intervient. La révocation des habilitations de sécurité pourrait être une mesure possible dans ce contexte".

Le vice-amiral Wim Robberecht, patron du SGRS, avait évoqué le contexte géopolitique lors d’un entretien à la RTBF le 26 avril. Répondant à une question générale sur le "screening" (vérification de sécurité) des militaires, Wim Robberecht rappelait que "l’invasion de la Crimée en 2014 et la guerre en Ukraine ont redéfini la notion de sécurité" et que "les screenings font partie de ce nouvel environnement sécuritaire".

Si des habilitations ont été retirées à la suite d’enquêtes, les recherches peuvent aussi conclure à l’absence de problème. "Un lien familial avec une personne de tel ou tel pays ne justifie pas à lui seul le retrait d’une habilitation", insiste une source bien placée au SGRS, soucieuse de parer d’éventuels soupçons de stigmatisation. "Le comportement du militaire ou du civil qui travaille à la Défense, la nature des contacts entretenus par le membre de la famille avec le pays d’origine" sont quelques-unes des données prises en compte. En outre, une éventuelle décision de retrait peut faire l’objet d’une contestation auprès d’un organe de recours.

Vigilance accrue mais les préoccupations ne sont pas neuves

Cet "organe de recours", juridiction administrative compétente pour les contentieux en matière d’habilitations de sécurité, est présidé par le patron du Comité R (Comité permanent de contrôle des services de renseignement et de sécurité). Guy Rapaille a assuré cette fonction durant 12 ans, jusqu’en 2018. Contacté par la RTBF, il rappelle que la question des liens entre des militaires et la Russie "n’est pas une préoccupation nouvelle". "Je me souviens de deux ou trois dossiers qui avaient abouti devant l’Organe de recours, dont celui d’un soldat qui avait fait la connaissance d’une citoyenne russe sur un forum de rencontre, cette relation virtuelle ayant finalement débouché sur un mariage", raconte Guy Rapaille. "Bien que rien n’interdit à un militaire d’épouser une personne de nationalité russe, nous avions suivi l’avis du SGRS qui considérait qu’il était préférable de retirer l’habilitation donnant accès à des données sensibles pour la sécurité du pays et de l’OTAN".

Il y a quelques années, le cas d’une militaire belge d’origine russe avait aussi fait l’objet de débats devant l’Organe de recours. Arrivée en Belgique avec un de ses parents dans les années 90, elle effectua une grande partie de sa scolarité chez nous. Les contacts conservés en Russie avec son autre parent poussèrent alors le SGRS à lui refuser une habilitation de niveau "secret".

La position n’est pas très différente vis-à-vis de la Chine

Guy Rapaille affirme que "dans les affaires que l’Organe a eu à traiter lorsque j’étais en poste, nous confirmions généralement l’analyse du service de renseignement militaire considérant qu’il existait une menace pour la sécurité. Mais il est arrivé que ce ne soit pas le cas. Nous avons parfois amené une solution intermédiaire en accordant par exemple une habilitation de niveau confidentiel plutôt que secret".

L’habilitation est une porte ouverte vers des données sensibles pour la sécurité du pays et de ses partenaires. "Notre plus grosse crainte, c’est une taupe", résume un interlocuteur du SGRS. Une habilitation de sécurité n’est octroyée que si le candidat fait preuve d’intégrité, de loyauté et de discrétion.

Les liens entre des membres du personnel de la Défense et la Russie ne sont pas les seuls à faire l’objet d’une attention particulière. L’ancien patron du Comité R remarque que "la position n’est pas très différente vis-à-vis de la Chine". Guy Rapaille fait, par exemple, état d’un retrait d’habilitation pour un militaire qui avait noué des liens avec une citoyenne chinoise à l’occasion d’un déplacement à Pékin. Ce retrait avait été confirmé par l’Organe de recours qu’il présidait alors.

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