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Des millions de litres d’eau contaminée de la centrale de Fukushima bientôt déversés dans l’océan Pacifique : un danger pour l’environnement ?

Japon: eau de Fukushima contaminée

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Par Marine Lambrecht

De gigantesques citernes alignées, face à l’océan. Depuis l’accident nucléaire de mars 2011 à Fukushima, survenu dans la foulée du séisme et du tsunami dévastateur, ces gigantesques cuves sont remplies progressivement.

Le Japon y stocke 1,32 million de tonnes d’eau, une combinaison de nappes souterraines, d’eau de pluie et d’eau utilisée pour refroidir les réacteurs endommagés. C’est l’équivalent, à la grosse louche, de 528 piscines olympiques contaminées par des substances radioactives. Problème : les citernes seront bientôt pleines.

Dans les mois à venir, Tepco, l’opérateur de la centrale nucléaire, va commencer à déverser dans l’océan Pacifique des centaines de tonnes d’eau contaminée. Avant cela, ces eaux ont été traitées pour leur enlever la plupart de leurs radionucléides ou autrement dit, leurs atomes radioactifs. Une opération controversée, annoncée en 2021 et scrutée de près par l’AIEA, l’Agence internationale de l’énergie atomique. Cette surveillance internationale ne suffit pas à rassurer Greenpeace.

Il faut d’abord comprendre de quoi on parle. Le 11 mars 2011, suite au tsunami, la centrale nucléaire est inondée. L’installation électrique, y compris les générateurs de secours, est coupée. Le système de refroidissement est en panne et la température grimpe dans les réacteurs 1, 2 et 3. Dans les jours qui suivent, trois explosions ont lieu. Les cœurs de trois réacteurs sont en fusion et la piscine du réacteur 4 entre en ébullition. C’est le pire accident nucléaire après celui de Tchernobyl en 1986.

Des millions de litres d’eau sont utilisés pour refroidir les réacteurs. Lorsque l’eau entre en contact avec du combustible fondu, des débris de combustibles ou d’autres substances radioactives, elle devient contaminée. Alors, que faire de toute cette eau ? Jusqu’ici, Tepco a filtré et puis stocké l’équivalent de 1,32 million de tonnes d’eau dans environ mille gigantesques citernes.

Sur son site, l’AIEA affirme que le système de filtrage utilisé par Tepco permet d’extraire "62 radionucléides", et ce, "grâce à une série de réactions chimiques". Mais certains résidus échappent au filtrage.

"Aucune technique ne filtre à 100%, il y a toujours des résidus de radionucléides ", précise d’emblée Geert Biermans, chef du service de surveillance du territoire à l’Agence fédérale belge de contrôle nucléaire (AFCN).
 

Le tritium, qu’est-ce que c’est ?

Parmi ces résidus, il y a notamment du tritium, dangereux pour la santé humaine à très hautes doses. "Pour faire très simple, le tritium c’est en quelque sorte de l’hydrogène radioactif. Le tritium est donc attaché à l’eau et c’est difficile de le filtrer", explique-t-il. Cette substance existe naturellement dans l’environnement et même dans le corps humain à faible dose. Mais il n’a pas bonne réputation. Il inquiète les pêcheurs japonais, qui craignent que leurs poissons soient contaminés et deviennent impropres à la consommation humaine.

Qu’est-ce que le tritium ?
Qu’est-ce que le tritium ? © AIEA

Les pays voisins du Japon, comme la Corée du Sud, la Chine et plusieurs îles du Pacifique ne voient pas non plus le projet d’un bon œil. "Si c’est sûr, déversez-le à Tokyo, testez-le à Paris et stockez-le à Washington, mais gardez notre Pacifique sans nucléaire", affirmait en 2021 Motarilavoa Hilda Lini, femme d’État du Vanuatu et militante du mouvement pour un Pacifique indépendant et sans nucléaire (NFIP).

L’Europe aussi déverse du tritium dans la mer

Tepco prévoit de déverser des eaux avec un niveau de radioactivité inférieur à 1500 becquerels par litre (Bq/l). Ce niveau est certes plus élevé que le standard imposé dans l’Union européenne pour l’eau destinée à la consommation humaine (fixé à 100 Bq/l). Mais bien inférieur au niveau recommandé par l’Organisation mondiale de la Santé, fixé à 10.000 Bq/l. De plus, ces standards sont fixés pour de l’eau potable, et pas pour de l’eau de mer.

Dans le monde, le Japon est loin d’être le premier pays à déverser du tritium dans l’océan. En Normandie, un pipeline long de 4 kilomètres s’enfonce à une soixantaine de mètres sous la centrale de traitement de combustibles nucléaires de la Hague. Un mix de matière radioactive est déversé dans la Manche, y compris du tritium. "A la Hague, on est dans des proportions mille fois plus élevées que ce qui est prévu à Fukushima. Le tritium est une réalité dans toutes les centrales nucléaires, y compris en Europe", poursuit l’expert de l’AFCN, qui précise que ces niveaux restent en dessous des normes nationales et internationales. Il n’empêche, les pratiques de la centrale de la Hague ont été dénoncées à de nombreuses reprises par Greenpeace.

Selon l’expert, il n’y aurait donc pas de raison de s’inquiéter outre mesure du rejet d’eau à Fukushima. Certes, les quantités sont très importantes, mais si le plan est bien respecté, les niveaux de Fukushima seront bien moins élevés que ce qui est fait dans certaines centrales en Europe.

"Un réel risque de contamination", selon Greenpeace

Dans le cas des rejets planifiés à Fukushima, ce n’est pas juste le tritium qui inquiète Greenpeace. Jan Vande Putte, expert énergie pour l’organisation de défense de l’environnement, s’est rendu à plusieurs reprises au Japon après l’accident nucléaire. Il alerte sur la présence d’autres radionucléides "encore plus dangereux, qui résistent au système de filtrage utilisé par l’opérateur japonais". Il pointe le strontium 90. Selon l’expert, "il est difficile à identifier et passe à travers les filtres". Il y aurait, selon lui, un réel risque de contamination dans la zone côtière.

"Certes, il y a un effet de dilution dans l’océan, mais avec le courant et les différents niveaux, il y a un risque d’avoir des 'hot spots', des zones où la concentration est plus élevée et donc dangereuse pour l’environnement", explique Jan Vande Putte.

Il va même plus loin et dénonce la stratégie globale du gouvernement japonais. "Chaque jour, on accumule de nouvelles quantités d’eau. Il faut d’abord prendre des mesures pour arrêter cela. Mais ça n’a pas été la priorité politique. Dès le début, des mauvais choix ont été posés. Le Japon a priorisé un retour vers la normale alors qu’il aurait dû minimiser les risques pour la population en priorité".

Les multiples contrôles de l’AIEA

Du côté de l’AFCN, on tempère ces inquiétudes. "L’AIEA a rassemblé des experts chargés de contrôler l’impact environnemental et sanitaire de tout ce que fait l’opérateur. Cette task force a donné son avis sur le traitement et le rejet des eaux usées de la centrale. Les contrôles sont bien plus pointus que dans n’importe quelle autre centrale nucléaire dans le monde", pointe Geert Biermans. Il précise également que tous les pays membres de l’AIEA ont accès aux données enregistrées à Fukushima. "Que ce soit pour le tritium ou le strontium, la concentration est connue, respecte les normes internationales et a été validée par l’AIEA". Ces normes internationales, Greenpeace les juge trop élevées. L’organisation avertit sur les "conséquences irréversibles" de ces substances pour l’environnement.

A Fukushima en tout cas, les contrôles ne sont pas terminés. "Nous travaillerons en étroite collaboration avec le Japon avant, pendant et après ces opérations", annonce en 2021 Rafael Grossi, le directeur général de l’AIEA. "La méthode retenue par le Japon est à la fois techniquement réalisable et conforme à la pratique internationale même si la grande quantité d’eau en fait un cas unique et complexe", poursuit-il.

C’est pour cela que Tepco a prévu de déverser l’eau progressivement, de l’ordre de 500 tonnes maximum par jour, selon un employé de l’entreprise interrogé par l’AFP. L’opérateur va veiller à plafonner la radioactivité du tritium rejeté en mer à 22.000 milliards de becquerels par an, la règle au Japon pour le rejet d’eau tritiée par les centrales nucléaires du pays avant la catastrophe de Fukushima. "Cela va prendre des années", commente Geert Biermans. Mais pour lui, il n’y a pas d’autre option réalisable. "On ne peut pas continuer à stocker l’eau éternellement. Le rejet est la meilleure solution parmi les techniques disponibles sans engendrer un coût exorbitant et sans mettre en péril le reste du projet", estime-t-il.

Il n’y a en effet pas que la question des eaux usées. C’est toute la centrale nucléaire qui doit être démantelée. Le gouvernement japonais et Tepco estiment qu’il faudra quarante ans pour le faire. Un agenda jugé trop serré par de nombreux spécialistes, y compris Jan Vande Putte : "Il y a de nombreuses incertitudes sur la faisabilité dans les délais prévus. Il faut encore développer des technologies pour y parvenir".

Au final, de nombreuses inquiétudes sont renforcées par le souvenir de la catastrophe. "L’incident a toujours un impact sur la perception des habitants. De plus, au Japon, la chaîne alimentaire est très orientée vers le milieu marin. Donc dès qu’on y touche, il y a des craintes. Il faut les prendre en compte pour rassurer la population", analyse Geert Biermans.

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