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Des pistes cyclables bondées quand il fait beau… et vides quand il pleut ? Voici ce que disent les chiffres à Bruxelles

Le focus: À bicyclette avec Ambroise Carton

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Par Ambroise Carton via

"Le printemps est bien là, [les cyclistes] sont de plus en plus nombreux sur leurs vélos. C’est tellement chouette à voir", se réjouissait fin mai un membre de la page Facebook "Les cyclistes bruxellois‧es sont content‧es", photo à l’appui. Le constat relève un peu de l’enfonçage de porte ouverte : plus il fait beau, plus les gens prennent leur vélo.

Mais cela veut-il dire qu’il y a moins de vélos sur les pistes cyclables en hiver ? Voire que les pistes se vident totalement à la première goutte de pluie ? Pour le savoir, nous avons confronté les chiffres des bornes de comptage de vélos installées un peu partout en région bruxelloise (et disponibles en données ouvertes) avec les données météo. Depuis la fin janvier, l’équipe Décrypte récolte quotidiennement sur le site internet de l’Institut Royal Météorologique (IRM) l’ensemble des observations météo heure par heure. Températures, précipitations, vent… nous avons tout noté pour analyser la situation.

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Premier constat, la pratique du vélo est en augmentation à Bruxelles ces dernières années. Depuis les confinements Covid et l’installation de nouveaux aménagements dans la capitale, on compte de plus en plus d’adeptes de la petite reine. Sur le mois de février par exemple, le compte Twitter @BikeCountBxl faisait état d’une augmentation de 44% de la fréquentation des pistes cyclables par rapport à février 2022.

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Ces chiffres ne sont pas parfaits bien sûr. Entre bugs techniques et faux positifs, les bornes comptent parfois mal les passages. Sans oublier que chaque détection de vélo ne signifie pas qu’il s’agit d’un seul cycliste qui serait passé une seule fois en tout et pour tout à cet endroit.

En plus de ces bornes dont les premières ont été installées à partir de 2017, des comptages manuels sont aussi entrepris par l’asbl Pro vélo. Ceux-ci montrent une augmentation continue du nombre de cyclistes. "Au cours de l’année 2022, nous avons effectué 104 heures de comptage manuel. Les résultats affichent une augmentation globale de 43,7% du nombre de cyclistes observés aux heures de pointe (entre 8h et 9h du matin) par rapport à l’année 2021", pouvait-on lire sur leur site internet en février 2023.

Voilà pour le constat global. Mais la motivation des cyclistes est-elle aussi forte en plein hiver, quand il fait froid, qu’il pleut et que jour ne se lève pas avant 8h ? Ça dépend, répond Pro vélo qui écrit dans son rapport 2022 que "la météo peut intervenir comme facteur explicatif (mais, bien entendu, non exclusif)" pour justifier une hausse ou une baisse du nombre de vélo.

Et la même source d’ajouter : "Le mois de mai [2022, NDLR] a connu moins de précipitation. Le mois de novembre, quant à lui, a connu autant de précipitation qu'[en 2021], et aucun jour de neige, ni de gel. Ce sont également les deux mois où nous observons les plus fortes augmentations du nombre de cyclistes. A contrario le mois de septembre a connu nettement plus de précipitations et des températures légèrement plus basses que l’an dernier. Malgré cela, on observe une croissance des flux cyclistes."

Oui, il y a moins de cyclistes quand il pleut… Mais combien en moins ?

Quid de cette année ? Nous avons noté les températures et les précipitations à Uccle depuis la fin janvier. Ces informations heure par heure sont publiées tous les jours sur le site internet de l’IRM. Verdict : si on prend les cinq pistes cyclables les plus fréquentées (ou plus précisément les cinq bornes de comptage de vélos qui ont enregistré le plus de passages depuis le début de l’année 2023), le nombre de vélos détectés a baissé les jours de pluie. Ce phénomène se produit notamment pendant ce qu’on pourrait appeler "l’heure de pointe", soit entre 7h et 9h en semaine du lundi au vendredi. Dans le détail :

  • CJM90 (Quai des Charbonnages 8 – 1080 Molenbeek-Saint-Jean) : -24% quand il pleut par rapport à un matin sans pluie ;
  • CB02411 (Chaussée de Vilvorde – 1020 Bruxelles) : -33% ;
  • CB1142 Rue de la Loi 130 – 1000 Bruxelles : -23% ;
  • CB1143 Rue de la Loi 145 – 1000 Bruxelles : -20% ;
  • CB1101 (Avenue des Arts 26 – 1000 Bruxelles) : -21%.

Ces valeurs sont similaires à celles observées en France par le journal Le Parisien sur les axes les plus fréquentés à Paris. "La baisse de fréquentation des pistes cyclables par temps de pluie serait plutôt de l’ordre de 20 à 35%, loin de la désertion massive redoutée par certains", écrivait le quotidien en janvier 2021.

Cette influence de la météo est aussi documentée dans une étude scientifique de juillet 2021 titrée "Comment la météo influence l’usage des vélos en libre-service". "Si on regarde la saisonnalité, nous avons constaté que dans les villes situées dans des climats tempérés, comme Paris et Bruxelles, la pratique du vélo atteint un pic en été et retombe en hiver", écrivent les auteurs de cette étude.

C’est même l’un des principaux arguments de ceux qui trouvent que le vélo prend trop de place à Bruxelles : finalement, à quoi bon construire des pistes cyclables si c’est pour qu’elles soient désertées dès la première pluie et le retour des grands froids ? Comme le montre le graphique ci-dessous, les pistes sont pourtant loin d’être vides la moitié de l’année. Par contre, c’est vrai, la tendance est à l’augmentation au fur et à mesure que les beaux jours arrivent.

(L’article continue sous l’infographie)

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Sur des trajets quotidiens, combien de fois est-on trempé par la pluie ?

Les conditions météo peuvent malgré tout en refroidir plus d’un. "Pour ceux qui se mettent seulement en selle ou pour ceux qui ne sont pas encore cycliste, le facteur météo est un des freins importants à côté de la sécurité, concède Florine Cuignet, chargée de Politique bruxelloise au GRACQ, l’asbl qui défend les cyclistes quotidiens. On constate cependant que plus les cyclistes vont devenir réguliers, moins le facteur météo va être un frein important. Et probablement aussi parce que les gens qui circulent à vélo vont davantage s’équiper et puis se rendre compte aussi au fur et à mesure que finalement la météo n’est pas si terrible que ça et qu’il ne pleut pas tout le temps en Belgique, contrairement à ce qu’on pourrait croire".

Mais est-ce vrai qu’il ne pleut pas si souvent par chez nous ? Pas vraiment si on regarde de manière globale. "Le printemps 2023 s’est distingué par des niveaux de précipitations inhabituellement élevés. Le mois de mars a même été le deuxième plus humide de la période de référence actuelle, tandis qu’avril a continué sur cette lancée pluvieuse", pouvait-on lire dans le bilan météorologique de l’IRM rapporté par la RTBF.

Pourtant, force est de constater que le cycliste bruxellois matinal a pu se faufiler entre les gouttes depuis le début de l’année. Si on se concentre sur l’heure de pointe du matin en semaine, il n’a plu que cinq fois dans ce créneau en mars à Uccle. Certes, cette donnée est très localisée, mais il est très probable que la météo n’était pas particulièrement plus favorable à Jette ce jour-là.

En février, c’est encore moins : trois jours avec des averses de pluie le matin et… aucune averse entre 15 et 17h. Il faut dire que, comme nous l’écrivions à l’époque, "les précipitations ont été bien inférieures à la normale. Les quantités tombées, bien trop faibles, battent le record déficitaire pour la période de référence actuelle : 13,3 mm sur un total de 12 jours. C’est 5 fois moins qu’attendu pour un mois de février 'normal'".

(L’article continue sous l’infographie)

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Il paraît qu’il n’y a pas de mauvais temps, il n’y a que des mauvais habits, mais…

La météo capricieuse, les températures basses et l’absence de luminosité expliquent donc le manque de popularité du vélo à certaines périodes de l’année. En témoignent ces quelques impressions récoltées le 6 juin dans le centre de Bruxelles. "Il paraît qu’il n’y a pas de mauvais temps, il n’y a que des mauvais habits. Mais quand j’ai des mauvais habits, c’est compliqué", sourit une jeune femme. "S’il y a du soleil et s’il fait sec, il n’y a pas d’hésitation, je prends mon vélo. S’il pleut, je suis plus réservé", ajoute un homme. Une autre cycliste est plus réservée : "Je suis tombée deux fois avec des temps pluvieux et depuis lors, je me méfie vraiment."

Pas de quoi cependant pousser le gouvernement bruxellois à revoir ses projets à la baisse. "L’utilisation des pistes cyclables peut être liée aux conditions météorologiques pour certains cyclistes, mais la météo ne justifie en aucun cas de ne pas offrir un environnement sûr et attrayant aux cyclistes", répondait en mars 2022 Elke Van den Brandt (Groen), ministre bruxelloise de la Mobilité, à une interpellation sur le sujet.

Sur ce point, la ministre écologiste faisait d’ailleurs remarquer que "les Pays-Bas et le Danemark ont régulièrement des hivers plus froids que la Belgique, mais avec une bonne gestion des conditions, y compris, par exemple, le déneigement des principaux itinéraires cyclables, la plupart des gens continuent à utiliser le vélo comme mode de transport". Quant aux cyclistes bruxellois, on verra bien s’ils seront toujours aussi contents – et nombreux – l’hiver prochain…

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