Sciences et Techno

Des poissons laveurs, une sécurité sociale des chauves-souris… les animaux aussi s’occupent des autres

Illustration de Stéphane Deprée extraite du livre de François Verheggen, "Un Tanguy chez les hyènes", éditions Delachaux et Niestlé.

© Stéphane Deprée

Par Johanne Montay

Et si l’altruisme, valeur chère au moine bouddhiste français Matthieu Ricard, n’avait rien de proprement humain ? Et si notre espèce n’avait pas le monopole du cœur, pour reprendre une expression très politique ? Qu’est-ce qui serait le propre de l’humain ?

Il n’y a plus de "si" à propos des deux premières questions, dans le livre de François Verheggen, professeur de zoologie à l’ULiège. Dans "Un Tanguy chez les hyènes", il nous raconte, au départ d’articles scientifiques, transformés en histoires captivantes, comment des espèces animales pratiquent l’échange de service, le mutualisme, l’altruisme, le cadeau nuptial, et bien d’autres comportements. Des récits étonnants et accessibles, joliment illustrés par des dessins de Stéphane Deprée.

Par contre, il y en a des questions sur nous, les humains, au sortir de cet ouvrage. Mais commençons par l’un des 30 comportements surprenants des animaux. Le premier, se passe sous l’eau.

La station de lavage du labre nettoyeur

Dans les eaux chaudes de la mer Rouge, un poisson nommé "labre nettoyeur" propose aux autres poissons du récif de faire leur toilette. Il a sa propre station de lavage, son "fish-wash". Comme l’écrit François Verheggen, "le service de base comprend essentiellement les soins corporels. Pour cela, le labre visite chaque recoin du corps de son client, en déloge les parasites et évacue les peaux mortes".

Massage et nettoyage des dents en option, pour le service de luxe. Mais les bains douches, ce n’est pas gratuit ? Que reçoit le labre en échange ? Il se paye en nature, un repas, à savoir le mucus de poisson qui recouvre les écailles des clients. C’est ce qu’on appelle un échange mutualiste : je donne, tu donnes, on s’y retrouve. Elle n’est pas belle, la vie ?

"C’est un échange, c’est du mutualisme, d’ailleurs, c’est-à-dire que je te donne et tu me donnes en échange", commente le professeur Verheggen.

"On trouve chacun notre compte. Ça nous coûte, à tous les deux : le labre, ça lui prend du temps, de l’énergie ; le poisson qui se fait laver, il doit donner de son mucus, pourtant qui est précieux, parce que ce mucus lui permet de nager dans l’eau, de glisser et de le protéger contre les bactéries, mais tout le monde sent que le bénéfice de cette collaboration est supérieur au coût que l’on paye, et c’est ce qui fait qu’on estime que ça vaut la peine de passer par une station de nettoyage, de se faire nettoyer les dents, de se faire masser, de se faire nettoyer les crasses qui sont dans les branchies. Il n’y a que le labre qui peut faire ça. Moi, je n’ai que des petites branchies, moi je ne peux pas, donc, je dois le rémunérer sinon il ne voudra pas le faire. Et donc, tout le monde trouve son compte."

La mutuelle des vampires

Partons à présent chez les vampires d’Azara, qui vivent dans d’obscures grottes d’Amérique du Sud. Une fois le soleil couché, c’est l’heure du restaurant. Ces chauves-souris-là ne mangent pas d’insectes, mais du sang de chevaux, ou de bétail. Une petite entaille dans la peau et hop, l’animal se nourrit de sang, sans trop déranger l’hôte assoupi. Mais dans cette opération nocturne, tout le monde n’a pas le "lucky code". Certains rentrent bredouille, le ventre vide. C’est le cas d’un jeune sur trois et d’un adulte sur douze en moyenne. Or, c’est vital de se rassasier : après deux nuits sans manger, le vampire risque de mourir. Pourtant, la durée de vie de ces chauves-souris est en moyenne de 12 ans.

Mais comment font-elles ? Elles pratiquent l’altruisme, un trait de comportement plutôt rare dans le monde animal. La chauve-souris rassasiée va régurgiter du sang dans la bouche de sa congénère affamée, non sans avoir vérifié en lui tâtant le ventre, qu’elle ne se fait pas arnaquer par une fausse maigre.

Les animaux pratiquent la sécurité sociale avant que nous ne l’ayons développée

C’est ce qui fait dire à François Verheggen que nous n’avons pas inventé la sécurité sociale : "En fait, on s’attribue tout une série de comportements, pour nous glorifier, comme l’entraide, comme le partage, comme les soins pour les jeunes. Et en fait, tout ça, l’humain n’a rien inventé du tout. Les animaux pratiquent la sécurité sociale avant que nous ne l’ayons développée […]."

Sécurité sociale, mutuelle, assurance redistributive de richesse, car si c’est moi, un jour, qui te nourris, je serai un autre jour de malchance, nourri par toi… La roue tourne, n’est-ce pas ? Pour les vampires, aussi.

Un Tanguy chez les hyènes

Au bout du livre, et de ces 30 comportements surprenants des animaux, le titre prend son sens. "Un Tanguy chez les hyènes", c’est ce rejeton de la femelle dominante, qui peut rester dans le cocon familial alors que les autres doivent aller vivre leur vie. "Lui, bénéficie de la protection de sa mère, qui lui rend la vie facile, qui apaise ses tensions avec la communauté. Et donc, lui, il est bien, et il n’a pas envie de partir. Il n’a pas envie de quitter le groupe, et c’est le seul qui reste et qui est né dans la troupe et qui peut rester, parce que sa mère le protège", résume François Verheggen.

Quel est le propre de l’humain, alors ?

Sous chaque histoire, l’auteur référence le texte scientifique qui a inspiré son récit. Pour celles et ceux qui veulent aller plus loin. Mimétisme, mutualisme, altruisme, camouflage, dons et séduction, parentalité… Il y en a tant qu’une fois finie la lecture, on s’interroge sur sa propre spécificité. Mais pour un zoologue, quel est le propre de l’Homme ?

"Moi j’ai l’habitude de dire à mes étudiants qu’on se distingue de toutes les autres espèces par une chose, c’est qu’on a tous ces comportements qui sont absolument contraires à la règle numéro 1 en éthologie, c’est-à-dire qu’un comportement, il est manifesté dans le but d’augmenter sa survie et sa reproduction. Et l’humain, il se distingue de cela par tous ces comportements qui sont absolument nocifs à sa survie et à sa reproduction, fumer comme un pot, boire à l’excès, conduire trop vite sur une route sans sa ceinture, traverser un passage pour piétons avec son smartphone collé au visage… On a des comportements comme ça qui par dizaine et par centaines sont absolument contraires à notre survie et ça, je trouve que c’est le comble pour une espèce qui se considère sans doute en partie à juste titre comme importante d’un point de vue des capacités cognitives."

Changements climatiques et disparition de la biodiversité ne le démentiront pas. Mais l’humain est une espèce apprenante. Et il n’est jamais trop tard pour faire, encore, preuve d’adaptation.

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