Des prix de l’énergie qui explosent mais on a déjà vu pire… et à l’avenir ?

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Par Marie-Laure Mathot

L’inflation que l’on connaît aujourd’hui n’est pas historiquement haute. Autrement dit, on a déjà vu pire. Dans les années 70, le taux de l’inflation approchait les 13% (on est à 2,86% aujourd’hui).

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En ce qui concerne le prix de l’énergie, dans les années 80, avec le choc pétrolier, le PIB par tête (autrement dit, la production de richesse divisée par le nombre d’habitants dans le pays, une moyenne donc) augmentait moins que le prix du carburant. La situation était donc plus tendue qu’aujourd’hui. Le PIB par tête (à prix courants) a augmenté beaucoup plus que les prix des carburants routiers.

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On n’en est donc aujourd’hui pas là. Mais qu’attendre de l’avenir ?

Sur le court terme, cette hausse du prix de l’énergie pourrait avoir des répercussions sur le prix des autres produits, aujourd’hui épargnés par l’inflation. "C’est mécanique." Bertrand Candelo est économiste spécialisée sur les matières premières (UCLouvain). "Il faut de l’énergie pour produire de la nourriture, pour produire n’importe quel produit. Donc oui, ça va être transféré à d’autres secteurs."

Des coûts de production en hausse. Des coûts de transports aussi "même si c’est assez marginal", nuance l’économiste néo-louvaniste. Et puis, l’indexation des salaires va aussi coûter aux entreprises. Puisque quand le coût de la vie augmente, le salaire suit.

"Ce ne sont donc plus uniquement les ménages locataires de logements mal isolés et sans matériel énergétique comme des panneaux solaires ou une chaudière dernière génération qui vont être le plus impactés", explique Philippe Defeyt, économiste et directeur de l’Institut pour un développement durable. La classe moyenne et les entreprises aussi risquent d’en pâtir dans un deuxième temps.

Mais en ce qui concerne le prix des matières premières comme l’énergie, "il est quasiment impossible de les prédire le prix d’une matière première à court terme", selon Bertrand Candelo. "Si on regarde les prévisions, tout le monde se trompe tout le temps : le FMI, l’IEA (NDLR : agence internationale de l’énergie)… tout le monde."

Il s’agit donc plus d’une posture que de faits statistiques selon l’économiste. La sienne est de dire que les prix vont se tasser dans les prochains mois. "Les prix ont fortement baissé quand l’économie était à l’arrêt à cause de la crise sanitaire. Elle est aujourd’hui en train de reprendre. La demande augmente par rapport à l’offre et c’est donc normal qu’il y ait une hausse des prix. Mais une fois que la demande se sera calmée, la croissance sera plus faible et il y aura donc une moins grande tension."

Sur le long terme, par contre, les prix pourraient continuer à augmenter. "Les ressources s’amenuisent et donc il y aura moins d’offre. Première théorie", expose Bertrand Candelo. "Cette théorie a été contredite par certains économistes. Ils disent au contraire que les prix vont baisser car la technologie permettra d’utiliser moins de matières premières et parce qu’on continuera à trouver de nouvelles ressources."

La question de la transition énergétique

Une technologie dans laquelle il faudra investir, ce qui aura tout de même un coût. "C’est toute la question de la transition. À quelle vitesse la technologie va-t-elle évoluer ?, continue Bertrand Candelo. Et surtout dans les pays émergents comme en Inde ou en Chine qui sont actuellement les plus gros demandeurs. Et puis après eux, ce seront les pays africains qui deviendront les pays émergents et qui seront demandeurs. En attendant, il y aura des cycles où il y aura des phases de hausses et des phases de baisses."

Pendant ce temps, l’Europe décide d’investir dans le renouvelable (vent, solaire, biomasse). Mais avant d’arriver à produire ce type d’énergie en suffisance pour répondre à la demande, nous allons passer par des centrales à gaz en Belgique comme dans d’autres pays européens. "On sait qu’on ne va pas se débarrasser des énergies carbonées tout de suite ce qui pourrait faire augmenter les prix, confirme Philippe Defeyt. Dans cette transition, on tend à remplacer le charbon par le gaz, ce qui va encore accentuer la demande et donc, oui, on va encore connaître des années difficiles."

"Des énergies fossiles qui seront taxées ce qui va aussi faire augmenter le prix", ajoute Bertrand Candelon.

Ne pas paniquer

Pour Francisco Contino, professeur en énergies renouvelables à l’UCLouvain, oui, le prix de l’énergie pourrait continuer à légèrement augmenter mais pas de manière aussi importante que celle que l’on connaît pour le moment.

"L’objectif, c’est de diminuer notre dépendance aux énergies fossiles et ça va diminuer les fluctuations mais il ne faut pas s’attendre à ce que la transition énergétique soit gratuite et bon marché. Il faudra quand même payer sans doute un peu plus cher la transition. La différence, c’est que si on ne fait rien, on dépend du marché uniquement et on reste dépendant de ces énergies fossiles. Si on agit maintenant, on maîtrise notre destin."

Car les spécialistes s’accordent pour dire que si on ne paye pas plus cher dans les prochaines années, ce sera pire par la suite. C’est donc un moindre mal. "Si on dézoome sur la ligne du temps, les économistes qui se sont penchés sur les changements climatiques ont étudié qu’il valait mieux faire les dépenses maintenant, sinon, on payera beaucoup plus cher plus tard, continue Francesco Contino. Et donc, de toute façon, on devra payer mais par contre, c’est pour faire des économies dans d’autres domaines : la santé, l’immigration par exemple. Il faut donc regarder l’ensemble de l’image."

Payer la transition mais avec quelle ampleur ? Celle qu’on a connue dans les années 80 ? "Non, il faut rester modéré", répond Francesco Contino. "Dans des moments comme ceux-là, il est justement important de ne pas paniquer en consommant encore plus. Si on commence à faire des stocks, ça va avoir des conséquences encore pires sur le système. Il faut justement penser à diminuer notre consommation, passer au renouvelable, se calmer une bonne fois pour toute et ne pas faire paniquer tout le monde."

Et la sortie du nucléaire, pourrait-elle faire augmenter les prix si on remplace nos centrales par des centrales au gaz ? "C’est une décision belge. Au niveau mondial, on ne sort pas du nucléaire. Que du contraire", répond le professeur en énergies renouvelables. "Si on sort plus rapidement du nucléaire, cela nous poussera peut-être plus vite vers le renouvelable."

L’enjeu de la dépendance énergétique

En attendant, nous pourrions être davantage dépendants de l’importation d’énergie. L’indépendance énergétique, c’est aussi un point relevé par l’économiste Philippe Defeyt. "Le prochain choc énergétique risque d’être géostratégique. L’Europe reste profondément dépendante de sources d’énergies extérieures avec un jour la menace possible que Poutine décide de suspendre les livraisons de gaz à l’Europe pour des raisons de conflits internationaux ou de tensions. Ou encore que certaines régions mettent le prix fort pour l’acheter et que l’Europe n’ait pas les moyens de suivre."

D’où l’importance d’investir aujourd’hui pour sortir de ce schéma rapidement selon Francesco Contino qui insiste sur un point. "La magie n’existe pas. Nous devons diminuer notre consommation si nous voulons atteindre nos objectifs de transition énergétique." Et pour cela, rentrer dans une autre logique que celle de la croissance économique, conclut-il. 

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