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Des sportives en lutte : le sport, un terrain neutre ?

Naomi Osaka

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Par Agathe Duclos et Lorraine Willocx, une chronique pour Les Grenades

En envahissant l’Ukraine entre les jeux olympiques et paralympiques d’hiver, le président russe a rompu la trêve olympique, forçant ainsi le Comité International Olympique (CIO) à se positionner face à ce conflit après des années de neutralité.

Le CIO a, en effet, poussé les fédérations à exclure les athlètes russes et biélorusses de toutes les compétitions sportives. Revirement de situation de la part du comité, qui a habituellement pris soigneusement soin de ne pas mélanger sport et politique, en témoigne notamment l’organisation en toute impunité des Jeux d’hiver en Chine cette année.

“Ni religion, ni politique"

Le sport se veut être un terrain neutre : neutre de religion, neutre d’idéaux, neutre de position géopolitique. Pour Aya Cissoko, ex-boxeuse française, les athlètes sont d’ailleurs biberonnés au mantra : “ni religion, ni politique”.

À travers son positionnement contre le conflit en Ukraine, le CIO apporte donc la preuve de ce qu’il tente de réfuter depuis tant d’années : le sport et la politique sont intimement liés. Car comment mieux contrarier un président qui place le sport au centre de sa géopolitique, que d’exclure son pays de toutes compétitions en l’empêchant d’exhiber au monde une Russie forte, combattante et puissante ?

L’article 50 de la Charte olympique, qui interdit “toute démonstration ou propagande politique, religieuse ou raciale” pendant les jeux olympiques et paralympiques, n’aurait plus aucun sens. Aya Cissoko le disait déjà en 2020, cette charte est en fait “une volonté de contrôler les corps, de contrôler le discours. Il y aurait des espaces autorisés, et juste à côté ce ne serait plus possible. […] Les luttes ont progressé parce que des sportifs et sportives ont osé transgresser les règles existantes".

On retient notamment le poing en l’air du sprinter américain Tommie Smith aux JO de 1968 et le genou à terre de Colin Kaepernick en 2016 pour protester respectivement contre la ségrégation raciale et les violences policières racistes.

On attend de nous de remporter des médailles. À partir du moment où on décide de prendre la parole et de défendre nos droits, nos propos deviennent inaudibles

Colin Kaepernick genou au sol accompagné d’Eric Reid Thearon W. Henderson – AFP
Colin Kaepernick genou au sol accompagné d’Eric Reid Thearon W. Henderson – AFP © Tous droits réservés

Et les sportives ?

Même si l’histoire retient davantage les prises de position et gestes forts des hommes, les femmes sportives, elles, ont également joué et continuent de jouer un rôle important dans la visibilisation des problématiques sociétales.

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Beaucoup de sportives de haut niveau l’ont compris, se servir de la visibilité qu’apportent leurs performances permet de mettre en lumière des sujets sociétaux importants. C’est le cas de Naomi Osaka qui a notamment mis sur la table en mai 2021 le sujet de la santé mentale en refusant de participer aux conférences de presse de Roland-Garros pour se préserver, ayant vécu précédemment des périodes de dépression.

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À travers cet acte, la joueuse de tennis japonaise a inspiré de nombreuses sportives à en parler, jusqu’en Belgique (la judokate Charline Van Snick, la sprinteuse Cynthia Bolingo et la basketteuse Julie Allemand ayant toutes les trois posté un message fort sur leur compte Instagram à ce sujet).

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Récemment, la N.1 mondiale du tennis féminin, Ashleigh Barty, a créé la surprise en annonçant sa retraite anticipée, à seulement 25 ans, déclarant avoir réalisé ses rêves et être "absolument épuisée". "C’est juste que je n’ai plus ça en moi. Je n’ai plus l’énergie physique, la volonté émotionnelle et tout ce qu’il faut pour se dépasser au plus haut niveau", a-t-elle poursuivi, des déclarations qui font écho aux tourments psychologiques de Naomi Osaka.

Si on en croit leur traitement médiatique, ces prises de position ne sont pas toujours les bienvenues. Selon Aya Cissoko, les athlètes sont muselés : “Nous sommes considérés comme des corps laborieux : on attend de nous de remporter des médailles. À partir du moment où on décide de prendre la parole et de défendre nos droits, nos propos deviennent inaudibles.” La précarité des contrats sportifs pousse également les athlètes au silence (peur de perdre des sponsorings ou des contrats).

Quand on pense au nombre de footballeur en activité ouvertement homosexuel (un seul !), on se rend compte de ce silence et de cette neutralité qui est imposée aux athlètes.

Dans un tel contexte, assumer simplement au grand jour qui on est (sexualité, identité de genre, religion,…), c’est déjà militer, c’est offrir des rôles modèles à toute une jeunesse, c’est prendre position.

Le collectif français Les Hijabeuses l’ont bien compris. Elles militent pour le droit de porter le voile dans les compétitions officielles de football. Il y a quelques semaines, elles ont réussi un passement de jambe sur une énième tentative du Sénat de vouloir interdire le hijab dans les compétitions sportives sous couvert de la laïcité.

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En défendant le sport pour toutes, les Hijabeuses montrent à quel point les sportives doivent encore se battre, parfois juste pour pouvoir jouer. On voit ainsi que le sport a encore besoin de figures militantes pour défendre les droits des sportives et agir contre les discriminations. Le sport et la politique sont étroitement liés, n’en déplaise à ceux qui clament haut et fort le contraire.

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Agathe Duclos et Lorraine Willocx font partie du Debrief du vestiaire, une page Facebook et une page Instagram qui traitent du sexisme dans le sport.

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Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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