Belgique

Diminutif, Atmosp’hair… ces cartes interactives répertorient les jeux de mots dans les noms de salons de coiffure

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Changez d’hair, l’hair du temps, Tif et Tondu, Je fais ce que cheveux… Tous ces noms correspondent à des salons de coiffure quelque part en Belgique. C’est d’ailleurs une tendance lourde dans le secteur : jouer sur les mots pour mieux se démarquer de la concurrence.

Certains en rigolent sur les réseaux sociaux, d’autres en font des livres (tel "Tiré par les cheveux, des enseignes qui décoiffent" en 2018) ou des études très sérieuses comme cette carte interactive française des "établissements de coiffure […] dans le but de détecter des jeux de mots ravissants".

Mais peut-on faire le même exercice pour la Belgique ? Peut-on identifier de manière presque exhaustive la liste de tous les coiffeurs et coiffeuses amateurs de jeux de mots dans notre pays ? A la fois pour mettre en lumière un métier artisanal essentiel dans le tissu social et en guise d’exercice de datajournalisme, nous nous sommes lancés dans l’aventure.

Des données au poil

Pour bien commencer, il faut un jeu de données. Le nôtre est tout trouvé : le fichier open data de la Banque Carrefour des Entreprises (BCE). Avec plus d’un million d’entrées, on y trouve "des informations sur toutes les entités actives enregistrées dans la BCE". Etape importante : les données intéressantes (nom de l’entreprise, adresse…) sont en fait séparées dans plusieurs fichiers qu’il faudra au préalable reconstituer.

Partant de notre million d’entreprises, nous devons effectuer un premier tri. Heureusement, chaque entité est associée à un code NACE, une série de chiffres qui indique le type d’activité exercé par l’entreprise.

Ce qui nous intéresse ici, c’est le NACE 96.021 qui reprend entre autres "le lavage, la coupe, la mise en plis, la teinture, la coloration, l’ondulation, le défrichage de cheveux et les services analogues pour hommes, femmes, et enfants". Bref, les coiffeurs et coiffeuses.

Une Tête (en l’hair) d’Atmosp’hair…

Après avoir shampouiné le tout, nous voilà en possession d’une liste qui permet d’étudier en détail une profession qui compte, selon Febelhair, la fédération des coiffeurs et coiffeuses en Belgique, quelque 4000 salons avec personnel et 19.000 indépendants.

C’est ici que la partie la plus amusante commence. Si on cherche les salons qui contiennent le mot "hair", on obtient 3124 résultats, principalement en Flandre. Mais tous ne contiennent pas des jeux de mots. Le classique "The hair artist" à Mol y côtoie ainsi l’original "Sam Change d’hair" à Ciney.

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Il va donc falloir affiner notre jeu de données. Si on se concentre sur les 'hair, hair' et autres 'hair', les jeux de mots apparaissent au grand jour. Voici Salon Balne’hair à Herstal, Ma pref’hair’ence à Farciennes ou L’Art de pl’Hair à Tournai. Total : 266 salons. L’ensemble de ces résultats sont repris dans la carte ci-dessous.

Des noms choisis avec soin : "La coiffure, c’est de l’art", souligne Stéphanie Dussart, coiffeuse depuis plus de 20 ans et qui exerce à L’Art de pl’Hair à Tournai. "Quand on va chez le coiffeur, c’est pour plaire à soi et aux autres. Et puis être coiffeur, c’est l’originalité", souligne celle qui voulait se démarquer des salons plus classiques.

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J’ai voulu prendre ce salon parce que le nom me plaisait

Mais ce filtre a ses limites. Avec un tel tri, on passe ainsi à côté de Meshair, un salon situé à quelques dizaines de mètres du rond-point Meiser à Schaerbeek. "C’est un nom trouvé par l’ancienne coiffeuse. J’ai voulu prendre ce salon parce que le nom me plaisait. C’était il y a 11 ans, nous raconte Djamila Bakkach, la coiffeuse actuelle. Un clin d’œil qui plait aux clients, sourit-elle. "Ils aiment beaucoup".

Signalons que d’autres salons ont choisi de faire un clin d’œil à leur localisation : on trouve notamment un Thimist’hair à Thimister.

Hair Force One

On loupe aussi Hair Force One à Hasselt et cinq salons Hair France situés à Bruxelles et en Wallonie. A l’inverse, les rares salons flamands de la carte, même avec une apostrophe dans le nom, sont rarement basés sur des jeux de mots. Décidément, rien n’est simple.

Malgré tout, des tendances apparaissent, notamment dans les grandes villes wallonnes. "Je note, avec une certaine fierté, une petite concentration dans le Pays de Charleroi…", observait sur Twitter Thomas Dermine, le secrétaire d'Etat pour la relance et les investissements stratégiques, lors de la mise en ligne d’une première version de cette carte.

En fait, seul un tri à la main, ligne par ligne, permettrait d’améliorer le résultat. C’est d’ailleurs la solution choisie par les auteurs de la carte française évoquée au début de cet article. "Pour la sélection des noms à blague, parmi les ~86000 établissement que la base INSEE indique comme étant en activité, une première passe consiste à sélectionner ceux dont le nom contiennent une de ces chaînes de caractère : hair, tif, epi, mechetc, ce qui réduit le compte à ~5700, puis de manuellement filtrer ceux qui contiennent effectivement un jeu de mots (et éliminer les nombreux "Hair Fashion" et autres "Hair Instituts, etc.), ce qui réduit la liste à ~4000. Ce traitement étant manuel, des oublis ont pu être faits sur les calembours les moins évidents…", expliquent-ils dans leur méthodologie.

Des jeux de mots qui n’en sont pas à l’origine

Passons maintenant à l’autre grande catégorie, celle des "tif". Prenons par exemple le mot "diminutif" choisi par 12 salons aux quatre coins de la Wallonie comme on peut le voir dans la liste ci-dessous. Viennent ensuite les "séductif" déclinés sept fois.

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Marquer sa "Tif&rence"

Dans le cas des "tifs", certains calembours sont parfois involontaires. "Je ne cherchais pas de jeux de mots, nous a ainsi expliqué Fabrice Sempels de Komunica-Tif à Eghezée. Le nom de mon salon n’est pas en rapport avec 'tif'. Le plus important pour moi dans mon commerce, c’est la communication. Alors j’ai regardé dans le dictionnaire aux alentours de ce mot-là." Fabrice a ensuite modifié l’orthographe pour se démarquer du mot original.

Après quelques coups de fil chez des professionnels, c’est bien ce qui ressort : l’amour du métier et du contact humain. "On a choisi ce nom parce que je voulais faire un salon de coiffure autrement qu’une boite à crolles et à ragots, justifie Elodie Bragard du salon La Tif&rence à La Minerie (Thimister-Clermont). On partage des recettes de cuisine, des bons plans… donc on a vraiment une manière de voir les choses différente et plus légère que dans un salon installé dans le Carré à Liège. On ne vient pas juste pour faire son brushing. On papote, on échange."

Cette coiffeuse passionnée depuis 2004 organise aussi une journée… "solid’hair" pour récolter des fonds contre la mucoviscidose. Un marathon de coiffure est prévu.

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Ils vont tout faire pour être le plus original possible

Parfois l’idée vient d’un combo entre un prénom et un jeu de mots sur "tif". Comme à Ham-sur-Heure-Nalinnes où "Alain et son épouse exercent ensemble leur métier depuis plus de 28 ans". Le nom du salon ? Alainfinitif !

Reste cette question : comment expliquer cette passion des coiffeurs et coiffeuses pour les jeux de mots ? Nous avons posé la question à Charles-Antoine Huybrechts, président de Febelhair. "Ce sont des artisans, des gens focus sur leur métier, analyse-t-il. Ils vont tout faire pour être le plus original possible et cette originalité peut parfois être rigolote."

Il y a peut-être aussi la volonté pour les salons indépendants de se démarquer face aux grands noms du secteur que sont les Biguine et autres Dessange. En somme, "les coiffeurs sont des gens créatifs", conclut Charles-Antoine Huybrechts. Tiens, ça fait "tif".

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