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Discours de De Croo au sommet pour la démocratie : "Il a mis en avant des propositions visant à rendre la confiance à la population"

Le Premier ministre Alexander De Croo lors du Sommet pour la démocratie, Bruxelles, le 9 décembre 2021

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Il en avait fait la promesse pendant sa campagne. Nous y sommes, plus d’un an après. Le président américain Joe Biden réunit virtuellement ces deux jours une centaine de pays pour un "sommet pour la démocratie". L’événement se veut selon la Maison Blanche révélateur du combat entre les démocraties et les régimes autocratiques, au cœur de la politique étrangère de Biden.

Seulement voilà, les intentions polarisantes de Washington et la liste des 111 pays invités suscitent la polémique. Exit la Chine, la Russie, la Turquie, l’Iran et la Hongrie – seul pays européen à avoir été exclu – en revanche le Brésil de Jaïr Bolsonaro et le Pakistan ont reçu leur carton, pour ne citer qu’eux.

Selon quels critères ces 'Happy Few' ont-ils été invités ? En tout cas, le groupe est hétérogène, selon Freedom house, parmi les pays invités, 77 sont ‘libres’, 31 ‘partiellement libres’, 3 ‘pas libres du tout’.

En réalité, cette liste reflète les intérêts stratégiques et économiques des Etats-Unis, face à la Chine et la Russie. "Ce sommet a une vocation intérieure et certainement pas universelle", analyse Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur associé à l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques). "La démocratie est un argument en politique intérieure, pas en politique extérieure".

L’invitation à ce sommet est d’autant plus anachronique que le dernier rapport de Freedom House classe les Etats-Unis parmi les "démocraties en recul", depuis dix ans. En cause, notamment, des faits de corruption et de conflits d’intérêts, un manque de transparence au sein du gouvernement fédéral, des violences policières contre les manifestants qui plaident pour la justice raciale et des politiques d’asile et d’immigration particulièrement sévères. L’ère Trump n’a fait qu’accélérer la tendance.

Le département d’Etat américain a défini trois axes de discussion : la ‘défense contre l’autoritarisme’, la ‘lutte contre la corruption' et la ‘promotion des droits humains’. Chacun doit prononcer un bref discours, de manière unilatérale.

Nos démocraties libérales sont fragiles

Le Premier ministre Alexander De Croo a prononcé le sien. "C’est un discours particulièrement court qui ne permet pas de développements", note Benjamin Biard, politologue au CRISP (Centre de recherche et d’information sociopolitique), "mais un discours qui souligne d’une part que la transition démocratique n’est pas un processus facile et rapide. Ensuite, que nos démocraties sont fragiles, sans pour autant donner d’exemple".

Pas d’exemple de cette fragilité, mais on pense à la prise du capitole l’an dernier aux Etats-Unis, par des partisans du président Trump pour contester les résultats de l’élection présidentielle. L’événement reste traumatique pour beaucoup d’Américains, un symbole fort pour le monde entier.

Mais c’est surtout le constat, visible bien au-delà des États-Unis, que nos démocraties peinent à satisfaire l’ensemble des citoyens.

"Ce discours dénonce ceux qui veulent mettre en place des démocraties illibérales", analyse encore Benjamin Biard, "ceux qui remettent en cause le droit des minorités ou l’équilibre des pouvoirs. Alexander De Croo affirme un positionnement clair par rapport à d’autres leaders".

Benjamin Biard (CRISP)
Benjamin Biard (CRISP) © DR

Le risque de voir nos démocraties devenir des démocraties illibérales

Là encore, on pense à ces ‘régimes hybrides’ – pourtant présents au sein de l’Union européenne – dont les dirigeants sont démocratiquement élus mais remettent en cause l’Etat de droit, en vidant dangereusement de leur contenu, les principes fondateurs de la démocratie : restriction des libertés, remise en cause de l’indépendance de la justice et restriction des procédures de contrôle constitutionnel. La Pologne et la Hongrie, au sein de l’Union européenne, en sont les fers de lance.

La démocratie libérale prône elle, en théorie, le contrôle des pouvoirs et l’égalité devant la loi.

"Le Premier ministre n’évoque pas explicitement les forces populistes considérées comme un danger pour la démocratie, que ce soit d’extrême droite ou d’extrême gauche", poursuit Benjamin Biard, "mais en filigrane, il met en garde face au risque de voir nos démocraties devenir des démocraties illibérales. Il s’agît de préserver l’équilibre des pouvoirs tout en insistant sur la protection des minorités".

Des propositions visant à rendre la confiance à la population

En matière de politique intérieure, Alexander De Croo cite trois actions engagées pour tenter de renforcer la démocratie : "Un nouveau portefeuille ministériel chargé du ‘Renouveau démocratique’ ; une plateforme participative en ligne sur la modernisation des principes démocratiques dans notre structure étatique, et des panels de citoyens, notamment sur la Conférence sur l’avenir de l’Europe".

"Ces trois propositions ne sont pas tant des propositions qui visent à endiguer le développement de formations pouvant remettre en cause le fondement démocratique belge – extrémiste, populiste par exemple – mais des propositions visant à rendre la confiance à la population", analyse encore Benjamin Biard. "Il s’agit d’étendre le registre de transparence pour mieux connaître les acteurs qui exercent une influence sur les pouvoirs publics. Maintenant, on verra ce qu’il en sortira".

L’opinion publique remet en cause le fonctionnement démocratique belge

La Belgique pas si mal située donc, sur l’échelle de la démocratie ?

"Si l’on se réfère à la philosophie politique : la représentativité des partis, le débat avant une prise de décision, l’indépendance des institutions etc. le modèle démocratique belge ne fonctionne pas si mal", observe Benjamin Biard, "malgré la complexité institutionnelle propre à la Belgique et malgré les tensions, le régime démocratique est globalement respecté".

"En revanche, l’opinion publique – et cela, dans une proportion de plus en plus importante – remet en cause le fonctionnement démocratique belge. On le voit dans les baromètres, surtout en période de crise, il y a une perte de confiance dans les politiques, mais aussi dans le fonctionnement même de la démocratie représentative".

De fait, la défense de la démocratie s’inscrit dans un contexte où les formations traditionnelles sont en déclin sur le plan électoral. "Si on cumule les six partis, socialistes, libéraux et sociaux chrétiens", ajoute Binjamin Biard, "ils détiennent moins de 50% des suffrages lors des élections de mai 2019. La menace vient du Vlaams Belang et du PTB pour la stabilité de notre démocratie libérale".

Jean-Jacques Kourliandsky (à gauche), chercheur associé à l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques).
Jean-Jacques Kourliandsky (à gauche), chercheur associé à l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques). © Tous droits réservés

Ce sommet n’a qu’une vocation intérieure

Le discours du Premier ministre finit par mettre en avant l’attachement de la Belgique "à la protection des droits de l’homme, de leur caractère universel et de leurs défenseurs".

"Il ne faut pas confondre démocratie et politique étrangère", répond Tanguy de Wilde professeur de sciences politiques et de relations internationales à l’UCLouvain. "Dans le cadre de la politique étrangère, on exprime des éléments de doctrine, comme le fait ici le Premier ministre. Dans le cadre des contacts diplomatiques, on parle avec tout le monde, y compris avec ceux qui ne respectent pas les mêmes valeurs, comme la Chine. D’autant plus que l’économie de la Belgique est essentiellement une économie d’exportation et donc les intérêts stratégiques de la Belgique est d’avoir des contacts avec des marchés émergents. Et ces pays émergents ne sont pas des modèles de démocratie".

Y compris le commerce des armes ?

"C’est un marché important", souligne Tanguy de Wilde, "mais il faut respecter des normes, ne pas nourrir le conflit dans des zones de guerre et éviter que les armes ne soient utilisées comme un matériel de répression". L’intérêt économique pour la France, les Etats-Unis et même la Belgique dans le secteur de l’armement reste non négociable.

"Dans le domaine de la coopération, si on ne devait venir en aide qu’aux pays respectueux des droits de l’homme et de la démocratie, on garderait nos milliards", ajoute Tanguy de Wilde.

Les Etats-Unis non plus, ne partagent pas les mêmes valeurs avec la Chine. "C’est une grande puissance économique, commerciale et technologique avec laquelle Washington doit composer", observe Jean-Jacques Kourliandsky. "Seulement là, le Président américain se trouve coincé entre les valeurs qu’il promeut en politique intérieure et les accommodements qu’il doit faire avec d’autres pays pour préserver les intérêts américains".

Et d’insister, "Ce sommet n’a qu’une vocation intérieure, face à un Congrès – temple de la démocratie – dont les fondements ont été attaqués l’an dernier, lors de l’assaut des partisans de Trump, et où une commission parlementaire est censée faire la lumière sur cet assaut".

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