Pour pouvoir coiffer tout le monde, les deux patronnes ont dû se former elles-mêmes. "Il faut être autodidacte : tester, regarder des vidéos Instagram, YouTube, etc.".
Céline Michel déplore qu’il soit impossible de se former plus formellement dans notre pays. "A chaque fois que nous avons suivi des formations, c’était à l’étranger. On a été à Milan, on va beaucoup à Paris. Et même à Paris, les deux formations que nous avons faites sur cheveux afros, c’était pour compléter le bagage que nous possédions déjà, elles sont quand même assez rares."
Pour elle, l’école n’enseigne pas grand-chose. "Ma stagiaire est en dernière année d’apprentissage et elle a les mêmes cours que moi, il y a quinze ans. Il n’y a aucune évolution. Il n’y a pas un module où on enseignerait comment traiter les cheveux afros, par exemple."
Il faut aussi arrêter, selon elle, de considérer les cheveux crépus comme des cheveux différents, bizarres, difficiles, etc. "Ces termes devraient être totalement bannis. Il y a bien sûr des techniques différentes, mais comme il y en a pour des cheveux asiatiques ou ondulés."
Les cheveux à travers l’histoire
Pour bien comprendre ses enjeux, il faut réinscrire la question du cheveu dans l’histoire, que ce soit esclavagiste, coloniale, etc. Cette histoire a construit un certain rapport à l’esthétique et a un pouvoir d’infériorisation, de disqualification, de discrimination et de déshumanisation.
"La question du corps et le fait de qualifier de laid, d’une part, mais surtout de sauvage, les cheveux naturels des personnes d’ascendance africaine, font aussi partie de cette histoire-là", explique Jacinthe Mazzocchetti, anthropologue à l’UCLouvain.
"Et c’est aussi comme ça qu’à la fois nos regards à nous, mais également en partie les regards des principaux concernés, se sont construits", continue l’enseignante. "On a aussi appris à ces personnes, notamment au travers des idéologies racistes, colonialistes, etc., à ne pas aimer leur corps, leur couleur de peau, leurs cheveux. On a institué dans toute une série de sociétés cette idée que pour être propre, civilisé, accepté sur les scènes de l’école et du travail, il faudrait que le cheveu soit lisse ou fasse l’objet de tissages."
La question de la discrimination des cheveux entre dans une problématique globale du phénotypage, c’est-à-dire de l’ensemble des caractères apparents d’un individu dus aux facteurs héréditaires.
Mais ce n’est pas toujours évident de savoir si la personne discrimine à cause des cheveux en particulier puisqu’en général, assure Mireille-Tsheusi Robert, le terme raciste utilisé appartient à la catégorie noire ou les insultes nègres. "Parfois, on ne sait pas ce qui énerve en particulier le raciste en présence."
Exigences de l’employeur
Sur le marché du travail, la discrimination raciale est peut-être plus claire que dans la vie de tous les jours. D’après Mireille-Tsheusi Robert, certains employeurs demandent que l’employé africain ou noir n’ait pas les cheveux naturels. "On va lui demander d’être plus soigné, présentable, etc. Il faut lire entre les lignes pour comprendre que ce qui dérange, ce sont les cheveux naturels, ou les coiffures 'africaines' telles que les rastas, les dreadlocks, etc."
L’employeur peut aussi se permettre d’être un peu plus précis sur la présentation qu’il attend de ses employés. Une hôtesse qui est en première ligne à l’accueil pour recevoir des clients à un concert aura certainement un dress code à respecter. Ce dernier précisera si elle doit avoir les cheveux plaqués ou une queue-de-cheval, par exemple.
Ce dress code peut se révéler source de discrimination. "Faire une queue-de-cheval est très compliqué pour les femmes avec des cheveux crépus et moyennement longs", observe Mireille-Tsheusi Robert. "Dans ce cas-là, on est obligée d’ajouter des cheveux de femmes occidentales qui coûtent une fortune. On est presque forcée à mettre des perruques, des rajouts ou les défriser."
La chercheuse confie qu’elle s’est toujours coiffée avec des rastas (ndlr. de fines tresses qui pendent). "Un matin, je n’ai pas eu le temps de me coiffer et je suis arrivée à la réunion d’équipe avec une boule afro à la Michael Jackson chez un de mes anciens employeurs", raconte-t-elle. "Il y a eu un fou rire général, c’était un prétexte à la moquerie. Seules quelques collègues féministes m’ont défendue."