DOCU - "7 Milliards de suspects" : quand la dystopie devient réalité

Documentaire sur la vidéo-surveillance "intelligente".

"7 milliards de suspects" © Tous droits réservés

Par Vanessa Klak via

En regardant le documentaire 7 milliards de suspects, diffusé ce lundi 6 septembre à 20h35 sur La Trois, on a le sentiment d’être plongé dans une série dystopique. Le documentaire met en évidence les dérives possibles de la technologie et l’accession au pouvoir de personnalités obsédées par le contrôle et la toute-puissance.

Pour mieux comprendre le principe de dystopie, qui est très utilisé dans les séries et le cinéma, ainsi qu’en littérature, j’ai demandé l’avis de 2 journalistes spécialisés :

Stanislas Ide, journaliste cinéma en presse écrite et chroniqueur séries à la RTBF.

Et Himad Messoudi, journaliste RTBF et chroniqueur séries sur La Première.

Selon eux, la dystopie offre une " vision futuriste et négative de la société, où le gouvernement -ou toute autre forme d’autorité- a pris le contrôle et exerce une autorité forte sur les citoyens, voire totale et qui empêche l’individualisme ".

" La dystopie s’oppose ainsi à l’utopie qui, elle, offre la représentation d’un monde de rêve et d’une société idéale. C’est donc tout simplement (mais de manière parfois extrêmement complexe) l’inverse : un monde où il va se passer des choses terribles pour l’humanité. "

Il existe plusieurs types de dystopie (technologique, médicale, politique, science-fictionnelle, etc.). Toutes ont en commun de décrire un monde effroyable et effrayant, qui prend sa source dans le monde réel (nouvelles technologies, conflits géopolitiques, dictatures, etc.). Le genre joue avec ce que l’on connaît, et donc, avec ce que l’on peut perdre. La dystopie, c’est souvent l’effondrement du monde tel que nous le connaissons, la perte d’un certain nombre de nos valeurs et la disparition des libertés.

Plus la dystopie dépeinte est réaliste, plus elle colle à ce que l’on vit ou pourrait vivre, plus cela fait peur et plus c’est efficace !

Gros succès des séries dystopiques

Les séries, actuellement, on le sait, ont le vent en poupe et parfois plus d’impact que les films proposés sur grand écran. Et les séries ne sont pas en reste niveau dystopie.

Nos deux spécialistes, Himad et Stanislas, ont tous deux mentionné Black Mirror, série britannique créée par Charlie Brooker, comme l’un des exemples les plus frappants et les plus clairs pour définir la dystopie. Chaque épisode exacerbe en effet avec brio un problème de notre société et ses dérives (notamment morales) possibles. Des dérives, pour certaines, et c’est d’autant plus effrayant, qui sont déjà en cours de concrétisation ou technologiquement possibles " dans la vraie vie " (surveillance des citoyens, chiens tueurs, enregistrements et rediffusions de tout ce qui est dit dans les relations personnelles, récupération des infos des réseaux sociaux pour continuer à correspondre avec une personne décédée, etc.).

« Handmaid’s Tale, La servante écarlate » : série dystopique par excellence

The Handmaid's Tale - La servante écarlate
The Handmaid's Tale - La servante écarlate

Le roman – et donc la série – se déroule dans un futur proche, pollué par des produits chimiques toxiques et des radiations nucléaires. La stérilité va croissante, le taux de natalité a diminué de façon alarmante. Le président des États-Unis a été assassiné lors d'un coup d'État fondamentaliste. Une nouvelle république est créée, au sein de laquelle plus personne n’a de liberté. La population est divisée en castes, étroitement surveillée, et les femmes fécondes, prisonnières, sont exploitées pour donner des enfants aux commandants dont les épouses sont stériles.

La Servante écarlate est parmi les séries les plus marquantes et effrayantes actuellement, notamment à cause de sa résonnance avec l’actualité. Himad Messoudi : " On est dans un moment, depuis la fin des années 2010, où il y a une nouvelle tentative d’emprise et de contrôle du corps des femmes par les hommes. On reparle à nouveau de l’avortement et du mariage pour les personnes de même sexe : des choses qui commençaient à être acceptées dans la société sont à nouveau remises en question. ".


►►► A écouter aussi : le podcast Serie Corner réalisé par Himad Messoudi sur " Handmaid's Tale " 


 

Populisme exacerbé dans la série britannique « Years and years »

Emma Thompson dans "Years and years"
Emma Thompson dans "Years and years" © Tous droits réservés

Years and years nous plonge dans un scénario cauchemardesque, qui nous montre ce qui pourrait se passer si l’extrême droite passait en Europe, et dans le monde occidental en général, et si tout ce qui ne devait pas arriver... arrivait (guerre nucléaire, crise des réfugiés, démantèlement de l’aide sociale, effondrement du système bancaire, etc.).

On suit tout cela de manière très humaine et attachante. Stanislas Ide : " Cette famille est très enthousiasmante. Quand il leur arrive quelque chose de triste, on est terrorisés avec eux et quand il leur arrive quelque chose de bon, on a presque envie de sauter du canapé et d’applaudir avec eux. "

" Une autre force de Years and years est d’avoir un peu d’utopie en elle aussi, quand bien même l’environnement décrit est dystopique, et très proche de ce que l’on vit maintenant. La fin de la série propose des solutions, des personnages en action, qui se rebellent et qui vont dessiner une nouvelle société ! "


►►► A lire aussi "Years & Years" - comment l'actrice Emma Thompson s'est inspirée de Marine Le Pen et Boris Johnson 


 

« Westworld », « Person of interest », « The Walking Dead »

Autre série de ces dernières années à exploiter un monde dystopique : Westworld avec Evan Rachel Wood, Thandiwe Newton, Ed Harris et, entre autres, Anthony Hopkins. Série qui met en scène un parc d’attraction futuriste, reproduisant l’ambiance du far west et peuplé d’androïdes. Tout y est permis, chacun.e laissant libre cours, sans limite et sans conséquence, à ses pulsions sur des androïdes plus vrais que nature (meurtres, viols, etc.). Jusqu’au jour où les androïdes commencent à garder des souvenirs de ce qu’ils vivent suite à une mise à jour de leur système…

Dans Person of interest, le monde présenté dans la série est totalement similaire au nôtre, à l’exception d’une machine d’intelligence artificielle, qui est capable de prédire les mauvaises actions des gens, sans pour autant déterminer si les personnes concernées sont les bonnes ou les mauvaises.

The Walking dead, quant à elle, est une série de fin du monde où les quelques humains restants essaient de survivre aux morts-vivants qui peuplent la terre. La série joue avec notre humanité et nos valeurs, nos limites. A la suite de l’effondrement des états et de la démocratie, comment des survivant.e.s arrivent-ils et elles à tenir le coup, à rester humain.e.s, et réussissent ou non, à recréer une nouvelle société basée sur la solidarité.

La dystopie : prise de position politique ?

Pour Himad Messoudi, la dystopie est systématiquement politique.

" Chaque fois, les histoires de dystopie sont basées sur la réalité et présentent une dénonciation plus ou moins forte de la société. " Le monde dans lequel nous vivons nous pousse effectivement à nous interroger à travers la fiction et à y anticiper le pire.

Parfois, la dystopie dépeinte est même déjà possible à réaliser concrètement, on la frôle (intelligence artificielle, régimes politiques dictatoriaux, etc.), alors qu’est-ce qui nous empêche de basculer ? On est en droit de se poser la question. Et la réponse est (en partie!) la morale.

Heureusement, il existe encore aujourd’hui un certain nombre de garde-fous (lois, règles, constructions sociétales, valeurs morales, bon sens, etc.) qui nous permettent de ne pas basculer complètement, comme dans Westworld par exemple. Mais à quel point l’être humain peut-il tomber bas si on lui retire un certain nombre de limites ?

Ces barrières (morales), qui nous retiennent encore dans la réalité, tombent bien souvent dans la fiction. Mais la réalité va loin. Très loin. Et les réalités sont très différentes d’une partie du globe à l’autre.

" 7 milliards de suspects "
" 7 milliards de suspects " - les citoyens modèles sont affichés dans la rue.

Réalité ou fiction ?

D’ailleurs, si on regarde un peu mieux la réalité dans laquelle on vit, on peut confondre assez aisément réalité et dystopie. Au nom de la lutte contre le terrorisme, par exemple, et sous couvert de sécurité, on surveille les citoyens. Et le contrôle exercé sur la population depuis, notamment les attentats du 11 septembre et le Patriot Act, est de plus en plus étroit.

La vidéo surveillance est même devenue " intelligente " près de 50 ans après sa création : des machines ont le pouvoir de tout voir, tout entendre, partout, tout le temps.

C’est le cas notamment en Chine, où la réalité a déjà dépassé la fiction. On y compte 600 millions de caméras, soit 1 caméra pour 2 habitants. Le moindre geste des citoyen.ne.s se retrouve étudié et passé au crible, avec sanctions à la clé : arrestations "préventives" arbitraires, fichage ADN et persécution systématisée de la minorité musulmane des Ouïghour.

Le DOCU " 7 milliards de suspects "

C’est ce que raconte le documentaire " 7 milliards de suspects ", de Sylvain Louvet et Ludovic Gaillard (qui a reçu le prix Albert Londres de l’audiovisuel 2020). 

Sous forme de grande enquête, le film retrace l’obsession sécuritaire qui s’est emparée du monde entier. De la Chine aux États-Unis, de Tel-Aviv à Washington en passant par Londres, Paris et San-Francisco, cette investigation internationale montre pour la première fois comment les grandes puissances utilisent les technologies de surveillance : caméras à reconnaissance faciale, détecteurs à émotions, système de notation des citoyens, drones tueurs autonomes, ... Une obsession sécuritaire qui dans certains pays, est en train de donner naissance à une nouvelle forme de régime : le totalitarisme numérique.

 

 

REGARD SUR " 7 milliards de suspects " 

A VOIR en télé sur LA TROIS lundi 6 septembre à 20h35.

Rediffusion mardi 7 septembre à 23h20.

Egalement disponible sur Auvio

" 7 milliards de suspects "
" 7 milliards de suspects "

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