Dans son premier long-métrage documentaire, Pedro Morato nous plonge dans le quotidien du danseur de flamenco Paco Mora, et de sa mère, atteinte de la maladie d'Alzheimer.
Il faut voir ces deux-là interagir comme seuls un fils et sa mère peuvent le faire, discutant de tout et de rien, se montrant de la tendresse, se chamaillant, et parfois (voir souvent) se criant dessus. La cohabitation est difficile, et pour cause : danseur professionnel reconnu, le fils, Paco Mora, a mis de côté de sa vie de flamenco pour s'occuper de sa mère lorsqu'est tombé le diagnostic d'Alzheimer. La maladie est cruelle et lente, la charge de soin lourde et l'appartement étroit pour leurs corps, l'un frêle et fragile l'autre massif et gracieux.
Comme devant tout documentaire focalisé sur une personne perdant ses facultés mentales, la question se pose : dans l'état où elle se trouve, est-elle à même de consentir à être filmée ? Le regard que porte le réalisateur Pedro Morato n'est pas voyeuriste, mais il n'est pas pudique non plus. Capter le quotidien de ses deux protagonistes signifie aussi filmer les rituels d'hygiène que le fils prodigue à sa mère. Entre patience minutieuse et explosions de colère, il est évident que le danseur prend soin de celle-ci du mieux qu'il peut, et il y a quelque chose d'émouvant à le voir accomplir ces tâches.
Tout aussi émouvant est la tentative du cinéaste et de Paco Mora de transcender ce quotidien par le spectacle. Désireux de réaliser le rêve de sa mère d’être danseuse, ce dernier a monté une représentation pour lui donner la chance de mettre les pieds sur les planches, à défaut de frapper celles-ci pour marquer le tempo. Filmées dans un noir et blanc soigné, ces séquences sont comme une célébration de ce qu'il est dur pour eux d'apprécier au jour le jour. C'est aussi l'occasion pour la mère et le fils de se livrer l'un à l'autre, ainsi qu'à nous. À force de nous mettre en contact avec leur intimité, “En Mis Zapatos” en devient presque troublant. Mais le spectacle qu'il nous offre de leur vie et de leur art est surtout vivifiant.