Dans un documentaire éprouvant mais puissant, la cinéaste Rosine Mftego Mbakam s'entretient avec une jeune femme camerounaise dont le parcours est marqué de souffrances.
La première scène des "Prières de Delphine" voit la réalisatrice Rosine Mftego Mbakam ("Chez Jolie Coiffure") expliquer à sa protagoniste qu'elle peut arrêter de filmer à tout moment. Si elle veut faire une pause, elle peut. Si elle ne veut pas que quelque chose soit inclus au montage, c'est possible. Elle n'est pas l'objet du documentaire, elle en est le sujet, et dans cette logique, elle est la maîtresse de son récit — une liberté essentielle pour cette jeune femme qui a survécu à de nombreux malheurs. Elle prend tout de suite le contrôle en demandant à la cinéaste de s'asseoir. "Si tu restes debout, je ne serais pas naturelle", lui lance-t-elle. Si elle doit raconter son récit, c'est d'égal à égal.
Pendant les 90 minutes de film qui suivront, on verra Delphine relater à la réalisatrice l’histoire de sa vie. On le comprend, les deux femmes se connaissent bien, malgré leur différence. "Au Cameroun, nous étions deux jeunes femmes que la culture avait opposées, à qui elle avait assigné des places. Notre rencontre était impossible. L'occident a forcé cette rencontre en nous réduisant à notre couleur de peau" explique la réalisatrice. Cette proximité, cette intimité permet à Delphine de s'exprimer avec une certaine liberté.
Tour à tour éplorée, empathique, vindicative, exubérante, désespérée, combative, elle raconte son terrible parcours. Orpheline de mère, abandonnée par son père, violée à l'âge de 13 ans, contrainte à la prostitution pour survivre et assurer la survie de sa propre fille, elle a trouvé son chemin en Belgique en se mariant avec un homme de trois fois son âge. Loin d'être une libération, cette fuite dans un autre pays n'a été qu'un désenchantement, tant le commerce de son corps et la maltraitance ont continué à faire partie de sa vie. C'est sans doute un des éléments les plus troublants de son récit : son calvaire ne s'écrit pas juste au passé, mais aussi au présent.
Victime dans un pays comme dans un autre d'une structure patriarcale qui n'a de cesse de la faire souffrir, elle ne cache pas son désespoir, s'adressant plusieurs fois à un Dieu dont elle implore la pitié et le pardon. C'est un récit éprouvant que le sien, et il serait sans doute insupportable, pour elle comme pour nous, s'il n'était pas marqué de quelques pauses. En filmant Delphine qui se maquille, regarde une série, fume, se prépare, la cinéaste nous offre de précieux moments de répit.
Elle filme aussi le ciel depuis la fenêtre de l'appartement, seul espace extérieur qu'on verra dans le documentaire. On ne sort jamais de cette pièce dans laquelle réside Delphine, un lieu qui semble autant être un refuge qu'une prison pour elle. Il n'y a pas de libération ici, si ce n'est celle de la parole. Mais en l'enregistrant pour le cinéma, sans l'altérer, Rosine Mftego Mbakam permet aux mots et aux prières de Delphine de résonner en dehors de ces quatre murs.
"Les prières de Delphine" est à découvrir à Flagey à partir du 14 octobre. Le film sera également projeté au centre Culturel Archipel 19 le 28 novembre.