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Documents classifiés dans la douche, valet complice, secrets nucléaires : les dessous de l’enquête du FBI chez Donald Trump

L’ex-président américain Donald Trump et sa résidence à Mar-a-Lago, en Floride.

© AFP/Getty Images

Par Victor de Thier

C’est une image qui a fait le tour du monde. On y voit des documents estampillés "Top Secret" étendus sur une moquette au motif fleuri. L’auteur de cette photo ? Le FBI. Le lieu ? La résidence secondaire de l’ex-président américain Donald Trump à Mar-a-Lago, en Floride.

Cette image publiée par le ministère américain de la justice montre une photo jointe à un dossier déposé par le tribunal du district sud de Floride, montrant des documents prétendument saisis à Mar-a-Lago et étalés sur un tapis.
Cette image publiée par le ministère américain de la justice montre une photo jointe à un dossier déposé par le tribunal du district sud de Floride, montrant des documents prétendument saisis à Mar-a-Lago et étalés sur un tapis. © AFP

Ce cliché n’est qu’un parmi d’autres et s’inscrit dans une large perquisition menée en août dernier dans cette propriété. Les découvertes faites par les enquêteurs ce jour-là conduisent aujourd’hui à une nouvelle grande première dans l’histoire des Etats-Unis : un ancien président est inculpé par la justice fédérale.

L’acte d’accusation de 49 pages a été rendu publique vendredi par le procureur spécial en charge de l’enquête, Jack Smith. On y apprend que Donald Trump est visé au total par 37 chefs d’inculpation, dont 31 pour rétention délibérée d’informations relatives à la défense nationale. On y découvre aussi des détails sur la manière dont l’ex-président aurait conservé ces documents classifiés et résisté aux tentatives du gouvernement de les récupérer.

Les lois sont les mêmes pour tous.

Aux États-Unis, "les lois sont les mêmes pour tous", a déclaré le procureur spécial en révélant ce document lors d’une brève allocution télévisée. Celles qui "protègent les informations liées à la défense nationale sont essentielles" et "les violer met notre pays en danger", a-t-il asséné, en demandant un "procès rapide" pour le milliardaire républicain.

De son côté, le principal intéressé a dénoncé une "interférence électorale" à l’approche de l’élection présidentielle de 2024, pour laquelle il s’est déclaré candidat.

Des documents jusque dans la douche

Cette inculpation est en réalité le point d’orgue d’un feuilleton qui a duré plus de deux ans. Selon une loi de 1978, un président américain est obligé de transmettre aux Archives nationales tous les documents de sa présidence à la fin de son mandat. Or, les procureurs affirment que lorsque Donald Trump a quitté ses fonctions en 2021, il a emporté environ 300 dossiers classifiés à Mar-a-Lago.

Les Archives nationales tapent d’abord du poing sur la table au cours de l’année 2021. Donald Trump retourne 15 cartons contenant 184 documents confidentiels en janvier 2022, puis d’autres en juin 2022 suite à la citation à comparaître du ministre de la Justice. Ses avocats certifient qu’il n’y en a pas d’autres à Mar-a-Lago, mais le FBI, en se basant sur les informations d’une source, ne les croit pas. Des agents mènent alors cette fameuse perquisition le 8 août 2022 et retrouvent 103 nouveaux documents classifiés.

Parmi les informations contenues dans ces documents : les programmes nucléaires des États-Unis, ses capacités de défense et d’armement et celles des pays étrangers, les vulnérabilités potentielles des États-Unis et de leurs alliés face à une attaque militaire ainsi que les plans de représailles possibles en réponse à une attaque étrangère. Hautement sensible donc.

Malgré l’importance de ces documents, les enquêteurs affirment – photos à l’appui – qu’ils les ont retrouvés dans des endroits très peu protégés : un bureau, une chambre à coucher, une salle de stockage, une salle de bal, une salle de bain… et même jusque dans la douche de l’ancien président.

La résidence Mar-a-Lago – qui "n’était pas un lieu autorisé" pour la conservation de tels documents selon l’acte d’accusation – est devenue un véritable nid à caches.

Sur cette photo fournie par le ministère américain de la Justice, on peut voir des piles de cartons dans la salle de stockage de la propriété de Donald Trump à Mar-a-Lago.
Sur cette photo fournie par le ministère américain de la Justice, des piles de cartons sont visibles dans la salle de bal White and Gold de la propriété de Donald Trump à Mar-a-Lago.
Sur cette photo fournie par le ministère américain de la Justice, des piles de cartons sont visibles dans une salle de bain et une douche du Mar-a-Lago Club’s Lake Room.

La sûreté de l’Etat menacée

Au-delà de servir de résidence secondaire à Donald Trump, cette propriété en bord de mer à Palm Beach est aussi un vaste club privé. L’ancien président américain y a déjà accueilli des événements pour des milliers de membres et d’invités, y compris dans la salle de bal où des documents ont été trouvés.

Selon l’acte d’accusation, il aurait par ailleurs montré à plusieurs reprises des documents classifiés à des personnes n’ayant pas d’habilitation de sécurité, dont un écrivain et son éditeur, ainsi qu’à des membres de son personnel.

Dans la retranscription d’une discussion de Donald Trump avec l’un de ceux-ci on peut lire : "Vous voyez, en tant que président, j’aurais pu les déclassifier. Maintenant, je ne peux pas, vous savez, mais c’est toujours un secret".

Un enregistrement audio obtenu par les enquêteurs fait aussi état d’un meeting privé dans son club de golf de Bedminster, dans le New Jersey, lors duquel il aurait montré et décrit un "plan d’attaque" préparé par le Ministre de la Défense.

Si Donald Trump maintient qu’il n’a rien à se reprocher, ces enregistrements audio et la retranscription de textos échangés entre les membres du personnel de Mar-a-Lago devraient aider les procureurs à prouver à la justice que Donald Trump a conservé ces documents classifiés en toute connaissance de cause.

Obstruction à l’enquête

Plus que cette rétention, les procureurs reprochent à Donald Trump d’avoir fait obstruction à l’enquête du FBI sur les documents manquants. Il aurait notamment suggéré à son avocat de les "cacher ou de les détruire".

L’acte d’accusation porte aussi sur l’ancien valet de chambre de Trump, Waltine Nauta, devenu aujourd’hui l’un de ses proches assistants. Il a été inculpé aux côtés de son patron pour avoir conspiré en vue de cacher des documents classifiés à ses avocats, au FBI et à la justice. Waltine Nauta doit répondre de six chefs d’accusation fédéraux, dont ceux de dissimulation de preuves et de complot pour entrave à la justice.

Interrogé sous serment, Nauta a déclaré qu’il ignorait que l’ex-président conservait des boîtes contenant des documents classifiés. Les procureurs ont néanmoins découvert des échanges qui prouvent le contraire.

La propriété à Mar-a-Lago de l’ancien président américain Donald Trump, le 08 juin 2023 à Palm Beach, en Floride.
La propriété à Mar-a-Lago de l’ancien président américain Donald Trump, le 08 juin 2023 à Palm Beach, en Floride. © Getty Images

C’est précisément cette "obstruction à l’enquête" qui distingue pour le moment le cas de Trump à celui de Biden. Le premier ne s’est en effet pas privé de rappeler que des dossiers classifiés avaient également été trouvés – à plus petite échelle – dans l’ancien bureau et dans la maison du Delaware de l’actuel président, y compris dans son garage.

La Maison Blanche a déclaré qu’elle avait immédiatement coopéré avec les enquêteurs dès que ces dossiers ont été découverts, parlant "d’inadvertance" de la part de Joe Biden. Une enquête fédérale visant à faire la lumière sur la manipulation de ces documents classifiés est toujours en cours.

Que risque Donald Trump ?

La première comparution de Trump dans cette affaire aura lieu à Miami, en Floride, ce mardi, la veille de son 77e anniversaire.

Sur CNN, l’un de ses avocats, Jim Trusty, a précisé qu’au moins une charge retenue découlait de "l’Espionage Act", une loi interdisant à quiconque de conserver des documents relatifs à la défense, et encore plus dans des lieux non sécurisés.

Plusieurs experts juridiques affirment que les accusations criminelles portées contre M. Trump pourraient conduire à une peine de prison substantielle s’il venait à être reconnu coupable. Par ailleurs, l’obstruction au déroulement d’une enquête est passible de 20 ans de prison, tandis que le faux témoignage peut entraîner jusqu’à cinq ans d’emprisonnement. Mais même une éventuelle condamnation à de la prison ne pourrait pas l’empêcher de se présenter.

Pour rappel, il s’agit de la deuxième affaire pénale en cours pour Donald Trump, qui doit être jugé à New York l’année prochaine pour avoir "orchestré" une série de paiements afin d’étouffer trois affaires embarrassantes avant l’élection présidentielle de 2016.

L’acte d’accusation de 49 pages rendu public :

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Sur le même sujet : extrait du JT du 10/06/2023

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