Le décret wallon sur la fiscalité de Jean-Luc Crucke a été voté vendredi. Si on en a beaucoup parlé pour ses enjeux politiques, qu’en est-il du contenu de ce décret ? Que va-t-il changer concrètement pour le contribuable ? Voici quelques nouvelles règles imposées par le texte en Wallonie.
Le plus gros chapitre concerne les donations. Concrètement, si vous êtes wallon et que vous donnez une somme d’argent à un de vos enfants (qu’ils habitent en Wallonie ou non), vous avez le choix de l’enregistrer ou non. Actuellement, si vous ne le faites pas et que vous mourrez dans les trois ans, la personne qui a reçu cet argent devra payer des droits de succession. Droits qui sont bien plus élevés que les droits d’enregistrement de base.
Explications : "En principe, une donation doit faire l’objet d’un acte notarié d’une part, et d’une taxation d’autre part, commence Sylvain Bavier, notaire et représentant de Fednot. Cette taxation va varier entre 3 et 7% en fonction de la région et du degré de parenté. Elle ne varie pas en fonction de la somme. Que vous donniez 1000 euros ou un milliard, vous allez payer exactement la même taxe quand il s’agit d’une donation mobilière (argent ou des titres)."
De 3 à 5 ans à partir du 1er janvier 2022 sans effet rétroactif
Jusqu’ici, il y avait des exceptions à cette règle. "L’administration fiscale est tolérante pour des donations qui ne respectent pas tout à fait les règles, continue Sylvain Bavier. Ce sont des donations 'de la main à la main'. Concrètement, il s’agit d’un virement qui sera éventuellement complété par un envoi de courrier ou des conventions. Il s’agit d’un pli recommandé sur lequel se trouve le cachet de la poste qui a pour but de donner une date comme début d’un délai. Jusqu’à présent c’était un délai de trois ans. Avec le décret, on passe à 5 ans."
Avec le décret, on passe à 5 ans
Cette procédure qui permettait de ne pas payer de taxes est donc plus risquée avec ce nouveau décret : il faut que le donateur vive deux années de plus pour ne pas payer de droits de succession. "Le problème avec cette formule, examine le notaire, c’est que vous ne payez pas de taxes : vous agissez entre vous. Si vous venez à mourir dans le délai de 3 ans aujourd’hui, 5 ans à partir du 1er janvier 2022, vous devrez payer des droits de succession."
Et ces droits de succession – contrairement aux droits d’enregistrement – ne concernent pas uniquement la somme donnée mais tout l’héritage, ce qui est potentiellement nettement plus élevé que la somme donnée au départ. "Imaginons que vous ayez reçu 100.000 euros et que le donateur meurt avant la fin du délai, vous n’allez pas payer des droits de succession sur 100.000 euros mais sur 100.000 euros plus tout le reste de la succession. Or les droits de succession, eux, sont proportionnels. Plus vous recevez, plus vous payez."
Cette mesure a donc pour but d’inciter les donateurs à enregistrer les donations à partir du 1er janvier 2022. Elle n’a pas d’effet rétroactif comme c’était initialement prévu. Toutes les donations faites entre 2019 et 2021 et qui n’ont pas été enregistrées ont donc toujours pour délai trois ans. On peut donc se dépêcher de donner de l’argent à son partenaire ou à ses enfants avant la fin de l’année ? "Effectivement si vous voulez vous garder une date certaine, il est préférable de le faire avant 2022 pour bénéficier d’un délai de 3 ans au lieu de 5 ans."
Assurance vie : on paie les droits de succession quand on touche la somme
Deuxième chapitre : les donations d’assurance-vie. Une assurance-vie c’est une sorte d’épargne qui permet de s’assurer d’avoir de l’argent à un certain moment dans sa vie. Celui qui l’a mise en place peut très bien décider de la donner à un proche (enfants, conjoint…). Là encore, il y a des droits d’enregistrements à payer sauf si la personne meurt dans les trois ans. Celui qui reçoit devra alors payer des droits de succession. À partir de 2022, ce délai passe à 5 ans. "Ce premier cas de figure ressemble à la donation mobilière dont nous parlions juste avant", commente Sylvain Bavier.
"Mais il existe aussi d’autres cas de figure : ce sont des assurances-vie qui font partie d’un patrimoine commun. Par exemple, vous êtes mariés, un des deux époux décède. L’assurance-vie fait partie de l’actif successoral alors même que la personne assurée est l’époux survivant. Les enfants toucheront donc l’argent au décès du second alors même qu’ils doivent payer des droits de succession au moment du décès du premier." Cela va donc changer à partir de 2022 : il y aura taxation au moment où la personne reçoit l’argent de l’assurance-vie.
Plus question de rouler en utilitaire si on n’est pas un indépendant qui a besoin de ce type de véhicule
Troisième volet : les véhicules utilitaires. Leur régime fiscal est aujourd’hui très avantageux : pas de taxe de mise en circulation ni d’éco-malus. La taxe de circulation est, elle, calculée en fonction du poids du véhicule avec un plafond de 148 euros. "Si vous roulez en pick-up ou en camionnette, vous payez peu de taxes jusqu’à présent, explique Sylvain Bavier. Beaucoup ont donc plutôt choisi de rouler dans un pick-up qui est une voiture très polluante, des moteurs 6 l qui relancent du CO2 à tire-larigot, sans payer de malus."
Le décret met fin à cela. "Tout particulier qui roule en utilitaire et qui ne peut pas le justifier par sa profession va être taxé comme toute autre voiture. Le régime favorable des utilitaires ne s’appliquera donc qu’aux personnes qui ont un numéro d’entreprise." Il faut donc soit être indépendant ou indépendant complémentaire enregistré à la Banque carrefour des entreprises soit être une personne morale enregistrée à la BCE. Et il faut l’utiliser dans le cadre de son activité professionnelle. Auquel cas, bonjour aux taxes classiques de mises en circulation.
D’autres mesures concernant les ancêtres empêcheront de rouler avec ces vieilles voitures pour des trajets quotidiens vers l’école ou le boulot par exemple. En 2022, les voitures de plus de 30 ans devront en effet être immatriculée avec la place commençant par O, ce qui permet d’avoir une taxe de mise en circulation d’environ 38 euros mais qui interdit de rouler dans la vie de tous les jours avec ce véhicule.
Pour des impôts plus juste ?
C’était le leitmotiv de Jean-Luc Crucke dans cette proposition : "un impôt plus juste". L’avis de notre notaire à ce propos : "En matière de donation, cela va créer des situations plus sécurisées d’un point de vue juridique car cela va amener des gens à enregistrer leurs donations avec des actes qui seront mieux rédigés car faits par des professionnels du droit, expose Sylvain Bavier. Allonger le délai va surtout permettre d’augmenter les rentrées fiscales."
"Sur les véhicules utilitaires, oui, il y a une certaine logique à ce que ce soit des professionnels qui utilisent ce genre de véhicules et qui ne soient pas taxés en conséquence parce que c’est un besoin et non pas parce que c’est un loisir ou une envie de rouler dans une grosse voiture."