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Droits des femmes : faut-il viser l’égalité ou l’équité ?

Par RTBF La Première via

Alors que les régressions en matière de droits des femmes se multiplient dans le monde, on fait le bilan sur la situation des femmes, sur l’évolution de leurs droits, dans notre pays, dans le domaine privé mais aussi au travail. Aujourd’hui, être une femme scientifique, manager ou ministre, avoir un poste important, avec du pouvoir, dans un domaine perçu comme 'masculin', qu’est-ce que cela implique ? Comment la situation professionnelle et la place des femmes en Belgique ont-elles évolué ? Que reste-t-il à faire ? Eléments de réponse dans Tendances Première.

Où en sommes-nous aujourd’hui en matière d’égalité hommes-femmes ?

"Il y a des lois qui sont mises en place pour interdire la discrimination entre les hommes et les femmes, pour imposer une égalité salariale. Mais dans les faits, on n’y est pas encore. On en est encore à un tiers d’écart entre les salaires, en faveur des hommes", rappelle Yasmine Lamisse, consultante juridique.

Pour Véronique De Baets, porte-parole de l’Institut pour l’Egalité des femmes et des hommes, "il y a matière à se réjouir d’être une femme aujourd’hui, car il y a de grandes avancées. Le cadre légal belge est extrêmement complet en termes de lutte contre les discriminations, contre l’écart salarial, etc."

Florence Caeymax, philosophe, spécialiste des questions d’éthique et de genre, et conseillère de la rectrice de l’ULg à l’éthique et aux politiques d’égalités, a une image plus nuancée. "Certains droits sont acquis, comme le droit de vote, mais il y a aussi des retours en arrière, qui sont une résistance de ceux et celles qui ne souhaitent pas que l’on continue à progresser dans le droit des femmes."

Que penser du congé menstruel instauré en Espagne et ailleurs ?

Le congé menstruel est désormais d’application en Espagne et sera pris en charge par la sécurité sociale. Il s’inscrit dans une grande loi qui vise à faire avancer le droit des femmes, avec un accès facilité à l’avortement dans les hôpitaux publics et la distribution gratuite de produits d’hygiène menstruelle dans tous les établissements scolaires du pays. C’est une façon de reconnaître la douleur des femmes et de briser un tabou.

Il pose toutefois beaucoup de questions. Ne donnera-t-il pas lieu à certaines dérives ? Ne se retournera-t-il pas contre les femmes, en entreprise ?

Véronique De Baets applaudit à cette mesure. "On a une politique qui se développe spécifiquement pour les besoins des femmes. On sait que les douleurs des femmes sont complètement sous-évaluées dans la société. […] La question n’est pas tellement que certaines femmes pourraient en profiter. Mais clairement, quand on crée un nouveau congé, on doit pouvoir avoir cette réflexion : est-ce qu’elle va favoriser l’égalité sur le marché du travail ou est-ce qu’il y a des risques de dérive par rapport à cette égalité ?"

Cela montre bien qu’au-delà des législations, observe Florence Caeymax, il est encore vraiment nécessaire de faire évoluer la discrimination profonde, celle qui est ancrée dans les mentalités, dans les comportements, et qu’on puisse réellement faire de la place au corps dans le travail. Et ça, ça vaut aussi pour les hommes.

La présence des femmes dans l’espace public

L’université est un échantillon du monde du travail très intéressant, explique Florence Caeymax. Le nombre d’étudiantes est plus élevé que celui des étudiants. Mais la courbe change de direction à partir du niveau académique. En ce qui concerne les enseignants-chercheurs dans l’université, à Liège, 30% des femmes sont académiques, contre 70% d’hommes.

Il existe toute une différence entre la législation qui vise l’égalité des chances et l’effectivité de cette législation, souligne Véronique De Baets. Les femmes ont été reléguées pendant des dizaines et des dizaines d’années dans la sphère publique. Aujourd’hui, elles tentent d’investir la sphère publique, de prendre une place : la sphère professionnelle, les réseaux sociaux, la rue… Cela ne se passe pas sans heurts, car il y a encore toute cette manière d’éduquer les garçons et les filles.

Dans les faits, on a un arsenal législatif très intéressant mais on a toujours un écart salarial, qui, par rapport aux discriminations salariales, n’est pas trop élevé en Belgique, mais qui est très important par le fait que les femmes travaillent majoritairement à temps partiel et dans des secteurs de soins, de services, de grande distribution, très peu valorisés financièrement.

Ce temps partiel concerne près de 4 travailleuses sur 10, et s’explique par le fait qu’il n’y a pas d’autre moyen au niveau de la conciliation. C’est donc une sorte de non-choix, parce qu’il manque de solutions pour pouvoir s’organiser et travailler.

Pour une présence égalitaire des hommes et des femmes sur le marché du travail, il y a d’abord toute la question de l’accueil de la petite enfance. Il y a aussi la question de l’implication et de la place des hommes et des pères dans la sphère privée"Le partage des tâches a progressé jusqu’au début des années 2000, mais aujourd’hui, il stagne, parce qu’on est arrivé à un niveau où, si on continue à progresser, les hommes vont devoir lâcher un petit peu de la sphère publique."

Aujourd’hui, les femmes effectuent 1h20 par jour de tâches liées au ménage et à l’éducation, donc du travail non rémunéré, là où les hommes effectuent 1h20 de travail rémunéré par jour en plus.
 

Faut-il chercher une égalité, une parité homme-femme, ou plutôt une équité ?

L’égalité est un rapport égal entre les individus, une absence de toute discrimination entre deux êtres humains, c’est le fait de fournir aux femmes et aux hommes les mêmes droits et les mêmes opportunités.

L’équité, c’est le fait d’attribuer à chacun ce dont il a vraiment besoin. Quand on parle par exemple de cette nouvelle loi sur le congé menstruel pour les femmes, il est clair que les hommes ne sont pas concernés.

Yasmine Lamisse interroge :

Est-ce que ce ne serait pas plus intéressant, aujourd’hui qu’il y a déjà pas mal de lois au niveau égalitaire, de plus tendre vers l’équité, de donner vraiment aux femmes et aux hommes aussi ce dont ils ont vraiment besoin, pour remettre un équilibre ?

Les informaticiens, les techniciens sont un milieu d’hommes, alors que fin 19e, début 20e siècle, c’était le contraire, parce que c’était considéré comme un métier propre, où il n’y avait pas besoin de muscles. Au fur et à mesure que les nouvelles technologies se sont développées, il y a eu un attrait, de pouvoir, d’argent, de notoriété, et les hommes ont pris cette place.

Véronique De Baets évoque le gender mainstreaming, ou approche intégrée de la dimension de genre. Il faut pouvoir donner aux hommes et aux femmes ce dont ils ont besoin pour permettre une égalité sur le terrain.

Si on décide par exemple d’étendre le congé parental de manière égale aux hommes et aux femmes, cette mesure pourrait avoir un impact négatif sur l’égalité hommes-femmes, parce que 75% des congés parentaux sont pris par les femmes. Il faudrait prendre des mesures correctrices pour essayer de renforcer l’égalité de fait, comme des incitants si le congé parental est pris par le père. Elle rappelle que la politique des quotas en politique ou dans les conseils d’administration a fait ses preuves.

Ces mesures un peu contraignantes et ajustées au public sont essentielles pour permettre une égalité sur le terrain.

© Getty Images

L’éducation, la clé

Pour Florence Caeymax, tout le monde est d’accord pour dire que l’égalité reste le but. C’est un idéal politique.

Cela ne veut pas dire supprimer les différences, mais combattre des injustices.

Elle précise : "Cela veut dire plus précisément encore qu’il n’y a aucune raison qu’il existe entre les hommes et les femmes une hiérarchie des valeurs, une distribution inégale des richesses et du pouvoir, et il n’y a aucune raison non plus qu’existe une subordination des femmes aux hommes, qui sont les trois formes historiques du pouvoir des hommes sur les femmes".

Les combats pour l’égalité sont donc des combats contre ces trois formes imbriquées d’injustice. Mais comment les féministes ont-elles fait, historiquement, pour adresser ce problème ? Elles peuvent avoir conseillé des politiques d’équité, des solutions 'à chacun selon ses besoins'. Car dans certaines circonstances, comme le même congé parental pour les hommes et les femmes, l’égalité peut avoir des effets pervers, parce que le terrain comporte des différences qui doivent être traitées de manière plus subtile.

"Les politiques d’équité peuvent être un moyen pour atteindre une égalité, qui reste un idéal politique de toutes les sociétés démocratiques, et cela ne concerne pas uniquement les femmes."

Pour avancer, il faut prendre le problème secteur par secteur, poursuit-elle. Il y a bien sûr l’égalité salariale, mais il y a aussi des aspects culturels et moraux : la façon dont nous nous conduisons les uns vis-à-vis des autres, la façon dont les rapports de pouvoir continuent de s’exercer dans les micro-interactions de la vie quotidienne, notamment au travail.

Les lois et les sanctions sont importantes, mais il est intéressant aussi de travailler en amont, en prévention, dans l’éducation des garçons et des filles, rappelle Yasmine Lamisse.

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