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Dufay et Brunelleschi : la concordance des arts

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Pendant plus d’un siècle et demi, en face du baptistaire Saint-Jean s’érige, peu à peu, une cathédrale. La construction de son dôme, ultime étape, est confiée à l’architecte et sculpteur Filippo Brunelleschi. La tâche est ardue, mais elle n’effraie pas Brunelleschi qui réussit à déjouer tous les pièges et coiffe l’édifice de l’une des plus somptueuses coupoles de la chrétienté. Santa Maria del Fiore, ornée de dôme, est consacrée par le pape Eugène IV le 25 mars 1436, peu de temps après la complétion des travaux. Grâce à sa "nouvelle" cathédrale, Florence affirme de manière spectaculaire sa dévotion à la Sainte Vierge. Mais est-ce là la seule lecture possible ?

Musique et architecture étroitement liées

Filippo Brunelleschi

L’édifice est, depuis longtemps, l’objet de nombreuses études, mais depuis les années 1970 s’invite dans les débats sur le symbolisme de la cathédrale florentine une discipline qui pourrait sembler tout à fait anecdotique : la musique. En effet, beaucoup de choses ont été dites sur le Nuper Rosarum Flores, motet isorythmique composé par Guillaume Dufay en vue de l’inauguration de la coupole de Brunelleschi. Ce qui ne fait plus aucun doute aujourd’hui, c’est que, dans le cas de cette œuvre, musique et architecture soient liées. Peut-on pour autant affirmer que le Nuper Rosarum Flores s’inspire directement de la cathédrale ? Pour répondre à cette question, il est nécessaire de comprendre de quelle manière la musique, immatérielle par essence, peut se faire le reflet de l’art le plus matériel qui soit.

La réponse se trouve dans le genre du motet isorythmique employé par Dufay. Le principe de ce type de composition est de virtuellement dissocier la hauteur et la longueur (ou le rythme) d’un son, puis de mettre ensemble une séquence de hauteur (la Color) avec une séquence rythmique (la Talea). De cette manière, une séquence de cinq sons superposée à une séquence de trois rythmes créera naturellement un décalage. Pour que les deux séquences terminent ensemble, il faudra nécessairement les répéter jusqu’au plus petit dénominateur commun. Le nombre de répétitions deviendra alors un élément d’analyse structurelle. Or, par sa conception structurelle réduite à des proportions, le motet isorythmique s’apparente à ce que l’on considère comme une "architecture sonore".

Nuper rosarum flores de Guillaume Dufay
Nuper rosarum flores de Guillaume Dufay © Domaine public

Et justement, l’architecture du Nuper Rosarum Flores est des plus singulières. En calculant la structure isorythmique, les quatre parties du motet se résument à cette suite de chiffre : 6.4.2.3, dont le produit est 144, tout comme la longueur de la nef et la hauteur de la cathédrale Santa Maria del Fiore sont de 144 braccia (unité de mesure utilisée à l’époque). De plus, on trouve dans le Nuper Rosarum Flores une abondance du chiffre 7, chiffre marial par excellence, et ce dès le début de l’œuvre avec le cantus Terribilis est locus iste, divisé en deux groupes de 7 notes disposés de manière presque canonique.

La signification symbolique des chiffres

À ce stade, les plus sceptiques ne pourront que rejoindre Umberto Eco qui écrivait, en substance, qu’avec la numérologie on pouvait trouver Dieu dans son kiosque à journaux. Pourtant, cette méthode ne doit pas être rejetée a priori, car il semblerait bien que ces chiffres aient une réelle signification, mais une signification symbolique. Premièrement, le texte employé par Dufay porte de nombreuses références claires à la ville de Florence et à la cathédrale. Il serait donc étrange que la musique en soit dénuée. Rappelons ici que le nom de Santa Maria del Fiore est également une manière directe pour la cité italienne d’affirmer sa puissance politique et religieuse (Florence est littéralement "la cité des fleurs"). Deuxièmement, si l’on se base sur les écrits bibliques, ce système arithmétique se retrouve également dans les proportions supposées du Temple de Salomon et de son lien à la Vierge Marie, dont la numérologie est le nombre 7. Troisièmement, la cathédrale et le dôme dans leurs proportions et dans leurs symboliques sont clairement mis en relation avec le temple de Salomon. Par exemple, 144 Braccia, ce serait la taille des murs de la Jérusalem Céleste.

Florence, Duomo Santa Maria del Fiore
Florence, Duomo Santa Maria del Fiore © Tous droits réservés

En somme, il y aurait une relation étroite entre la structure musicale, le texte sur lequel la musique est composée, les textes bibliques, la numérologie relative au Temple de Salomon et à la Sainte Vierge, et enfin les proportions de la Cathédrale et son dôme. La cathédrale avec son dôme se voudrait un nouveau temple de Salomon, une représentation physique de la volonté de Florence de s’affirmer comme une nouvelle Jérusalem. La musique porte en elle une double lecture qui fait certainement de cette trinité "musique-architecture-écrits bibliques", l’une des plus passionnantes de notre patrimoine culturel mondial.

Pour aller plus loin :

 

  • Trachtenberg, Marvin. " Architecture and Music Reunited : A New Reading of Dufay’s “Nuper Rosarum Flores” and the Cathedral of Florence ". Renaissance Quarterly 54, no 3 (2001) : 740‑75.
  • Wright, Craig. " Dufay’s “Nuper rosarum flores”, King Solomon’s Temple, and the Veneration of the Virgin ". Journal of the American Musicological Society 47, no 3 (1994) : 395‑441.
  • Warren, Charles. " Brunelleschi’s Dome and Dufay’s Motet ". The Musical Quarterly 59, no 1 (1973) : 92‑105.

 

 

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