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Eau d’heure : près de 2 millions d’argent public investis pour un centre équestre qui n’a jamais accueilli un seul cheval

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Vous connaissez la célèbre séquence" les travaux inutiles " ? Dans les années 80, le journaliste Jean Claude Defossé pointait du doigt les chantiers publics qui n’ont jamais été achevés. Le centre équestre des lacs de l’eau d’heure aurait sans doute pu faire l’objet d’un épisode. En 2014, L’asbl des lacs de l’eau d’heure, l’association qui s’occupe du site touristique, s’est lancée dans la construction d’un grand complexe pour chevaux sur un magnifique site de 15 hectares. Montant de la facture : Près de 2 millions d€ d’argent public ! Le chantier n’a jamais été terminé. Pas un cheval n’a été accueilli dans ce centre. Aujourd’hui, les infrastructures tombent en ruine.

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"Voir un si beau site tomber en ruine, c’est vraiment désolant"

Quel gâchis ! C’est la première chose qui vient à l’esprit quand on visite le centre équestre des lacs de l’eau d’heure. L’énorme hangar abritant la piste couverte est impressionnant. Le bâtiment fait 70 mètres de long sur 48 mètres de large, construit presque tout en bois. Un paradis pour amateur de sport équestre inutilisable en l’état ! Le toit fuit et la végétation envahit de temps en temps les lieux. La cafétéria voisine, elle, n’est pas terminée : des fils pendent encore des plafonds. Une partie du système de chauffage est à refaire. Il y a eu des vols et du vandalisme. Quant aux pistes sur lesquelles doivent galoper les chevaux, elles ont été mal conçues. Les barrières de la piste extérieure n’ont pas été placées au bon endroit. Le sol n’a pas été posé correctement et n’a pas été entretenu. Résultat : le sable se mélange à la terre. Un cheval ne peut pas s’entraîner régulièrement sur ce type de surface sans risquer d’avoir des problèmes à long terme.

Voir un si beau site tomber en ruine, c’est vraiment désolant !" Mikhaël Jacquemain est le vice-président de Défi Hainaut et échevin à la ville de Fleurus. Ce cavalier amateur alerte depuis plusieurs années déjà sur l’état déplorable du site " alors que plusieurs millions d’argent public ont déjà été investis."

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Un projet vieux de plusieurs années

Ces infrastructures sont sorties de terre en 2014. L’idée était de construire un grand centre équestre qui pourrait accueillir à la fois des activités touristiques et des compétitions sportives. Ambitieux ! Les pouvoirs publics ont sorti le portefeuille pour que ce projet voie le jour : la région a injecté près d’1 million €. Le fonds européen Feder a lui signé un chèque de 400.000 €. Ajoutez à cela 650.000 € qui ont été nécessaires pour exproprier le fermier qui possédait le terrain.

Malgré tout cet argent public, le chantier n’a pas été terminé. Le projet initial prévoit encore la construction de 6 " Barns ", des bâtiments en bois qui abritent les chevaux. Il prévoit également la construction d’un "marcheur et d’un " rond de longe ", 2 pistes d’entraînements pour faire tourner les chevaux en rond. Ajoutez à cela l’aménagement des abords : les parkings, les clôtures, l’accès au site etc. Pour finaliser le site comme il était initialement prévu, il faudrait encore injecter plusieurs millions pour terminer le chantier. Impayable !

Mauvaise gestion ?

Comment en est-on arrivé là ? Le propriétaire du site, a-t-il vu trop grand ? L’asbl les lacs de l’eau d’heure, propriétaire du site, se défend de toute mauvaise gestion " nous avons joué de malchance " assure le porte-parole Philippe Fourmeau. A la base, c’est un couple de la région qui devait exploiter les lieux. Mais les aléas de la vie ont fait que le couple a jeté l’éponge. L’affaire a été portée en justice "et nous avons gagné. Le temps de refaire la procédure, nous nous sommes retrouvés en 2018."

2018 ? C’est l’année du scandale pour l’asbl des lacs de l’eau d’heure. Un rapport de l’inspection des finances fait état d’irrégularités majeures " des manquements en matière de marchés publics, de contrôle interne, de gouvernance ou encore de procédures de recrutement." Le rapport pointe notamment de location de villas de vacances, de frais de restaurant démesurés et du coût très élevé des voitures de société pour certains dirigeants de l’asbl.

Le patron de l’aéroport de Charleroi de l’époque, Jean-Jacques Cloquet, est appelé à la rescousse. Il est nommé président du conseil d’administration. Quatre directeurs sont licenciés. Le directeur général est rétrogradé dans une autre fonction. Un manager de crise est désigné.

Et concernant le centre équestre ? Rien. Même si l’ex patron de l’aéroport de Charleroi s’était engagé à trouver rapidement un opérateur, le dossier n’a pas avancé d’un centimètre. Jean Jacques Cloquet a finalement cédé son poste en 2021 à Omar Marhaoui, un jeune trentenaire beaumontois. Visiblement, lui aussi se casse les dents sur ce centre équestre.

 

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Les candidats repreneurs ont tous été déboutés par l’asbl

Plusieurs appels à projet ont bien été lancés ces dernières années. Des candidats se sont montrés intéressés, mais ils ont tous été déboutés. Ceux-ci ne rempliraient pas toutes les conditions exigées par l’asbl des lacs de l’eau d’heure " selon le cahier des charges, le partenaire privé doit investir un peu, et qu’il réfléchisse à une éventuelle rétrocession vers la structure des lacs de l’eau d’heure " explique le porte-parole de l’asbl des lacs " dans les différents projets, ça n’était pas mentionné. Nos instances juridiques ont décidé de reporter la décision vis-à-vis d’un partenaire privé pour l’instant."

Pour Mikhaël Jacquemain, les exigences de l’asbl des lacs de l’eau d’heure sont impossibles à remplir pour les éventuels candidats gestionnaires "l’asbl demande des investissements conséquents pour réparer tous les problèmes qui ont été générés par le manque d’entretien. L’association demande en plus un impératif de rentabilité financière pour l’asbl. Quand on connaît le monde du cheval, on sait très bien que c’est absolument impossible ! Il ne faut pas envisager ce centre équestre comme une source de financement de l’asbl. Il faut envisager ce centre équestre comme un plus au niveau touristique pour la région."

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"Une volonté de faire pourrir le dossier"

Le vice-président de Défi Hainaut soupçonne l’asbl des lacs de l’eau d’heure de faire volontairement pourrir les choses "il y a toute une série de choses qui me permettent de le penser. Il y a des délais déraisonnables pour pouvoir traiter les appels d’offres qui sont lancés, parfois des mauvais destinataires pour les courriers." Quel intérêt aurait l’asbl des lacs de l’eau d’heure de faire traîner les choses ? Certains proches du dossier redoutent que l’asbl détruise les bâtiments et réaffecte le site pour autre chose que le sport équestre.

Le porte-parole de l’asbl des lacs de l’eau d’heure veut rassurer" il n’y a aucune raison qu’on rase le tout, c’est impossible ! D’abord parce qu’il y a un investissement public conséquent. Ensuite parce que c’est un projet important pour le développement global du site des lacs de l’eau d’heure." Un nouvel appel d’offres devrait être lancé bientôt "nos instances sont occupées à se réunir pour lancer un nouvel appel à projet". Mais les candidats gestionnaires sont prévenus : il faudra se contenter des infrastructures existantes. L’asbl ne sortira plus le portefeuille pour remettre les bâtiments en état "nous avons décidé de ne plus investir. L’investissement public est là. Il reste des aménagements à finaliser concernant certains abords. Nous attendons de trouver un partenaire privé pour que ces abords correspondent à son projet. "

Le site continue de se dégrader

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En attendant, le site continue de se dégrader. L’un des bâtiments, Le corps de logis, a pris feu il y a 3 mois. Pire, l’asbl a décidé d’entreposer là une partie de ses déchets. On retrouve notamment des restes carrelages et de toboggans de l’Aquacentre, le centre aquatique situé à quelques kilomètres de là.

Le centre équestre, une décharge ? " le mot est sans un peu fort, ce n’est pas du tout une décharge. Pour le moment, à l’arrière de l’espace, nous avons établi une dalle où nous mettons nos différents containers, et que la société avec laquelle nous travaillons vient chercher tous les x temps. Concernant les restes de l’Aquacentre " ils seront embarqués dans les semaines qui viennent " promet le porte-parole de l’asbl " il n’y a pas de raisons qu’on laisse ces déchets pendant des mois. Ils suivront la filière classique de la gestion des déchets."

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Une étude complémentaire commandée par la région

Du côté des pouvoirs subsidiants, on commence aussi à se poser des questions. La région wallonne a mandaté le CITW, le centre d’ingénierie touristique de Wallonie. Celui-ci doit réaliser une étude complémentaire sur l’avenir du centre équestre.

En tout cas, du potentiel, il y en a ! La Belgique compte environ 350.000 chevaux sur son territoire. C’est la plus forte densité de chevaux au monde (11 chevaux par Km2) ! Notre pays compte aussi plus de 100.000 cavaliers " c’est, bon an, mal an, la 3e discipline sportive la plus pratiquée chez nous " assure Mikhael Jacquemain. Au Niveau économique : le sport équestre représente un impact économique de plus 1 milliard € et environ 6600 équivalents temps plein.

 

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