Les Grenades

"Éclaireuses" : prendre le temps de regarder autrement

© Les Productions du Verger – Visualantics

Fondée en 2016 à l’initiative de deux enseignantes professionnelles, La Petite École à Bruxelles accueille des enfants sans passé scolaire, souvent issus de l’exil.

Elle offre un espace structurant et bienveillant, pour prendre le temps d’appréhender la transition vers la scolarité. Le documentaire "Eclaireuses" de Lydie Wisshaupt-Claudel met le projet et ses fondatrices en lumière.

Loading...

Un sablier, un tableau vert, des crayons de couleur, des bancs en bois. Des enfants qui jouent, tapent, racontent ou font la sieste. Et à leurs côtés, deux femmes leur parlent, les accompagnent, les questionnent. Les images qui ouvrent le documentaire ‘Eclaireuses’ de Lydie Wisshaupt-Claudel évoquent d’emblée la scolarité.

►►► Retrouvez en cliquant ici tous les articles des Grenades, le média de la RTBF qui dégoupille l’actualité d’un point de vue féministe

Pourtant il ne sera pas question ici d’examens, de punitions ou de contrôles. Ici, ce n’est pas encore l’école, pas vraiment, pas tout à fait. C’est un espace qui y ressemble, pour y préparer, pour en appréhender les codes. Mais aussi et surtout pour se (re) trouver. Car "pour (ap) prendre, il faut d’abord être en mesure de pouvoir le faire", comme l’explique le dossier pédagogique qui accompagne le film.

Regarder autrement, c’est aussi un geste politique

Juliette et Marie sont les fondatrices de la Petite École, un espace pédagogique et thérapeutique de préscolarisation. Unique en son genre, il accueille, en groupe réduit, des enfants entre 6 et 16 ans qui n’ont jamais été scolarisés. Souvent, ils sont issus de l’exil, et ne savent ni lire ni écrire.

Du lundi au jeudi, durant toute l’année scolaire, cet espace situé dans les Marolles, au cœur de Bruxelles, offre un temps d’adaptation et de résilience, entre l’exil et la scolarisation qui les attend. On apprend à "jouer à l’école", à en décoder le fonctionnement, à structurer et ritualiser les différentes étapes de la journée. On dessine, on cuisine, on apprend à manier la terre, le bois, ou la musique, ou à raconter sa journée en Français.

"Ici, on ose prendre le temps", développe Marie Pierrard, cofondatrice de cette initiative pédagogique et citoyenne. "Le temps de regarder autrement les mondes qui s’entremêlent, et chercher des points de rencontre possibles, qui ne sont pas évidents, d’autant plus quand l’école ne va pas de soi. On vit dans une époque où tout va très vite. Prendre le temps amène un autre regard." Le regard et le temps : deux notions au centre du projet, qui portent aussi une (double) force politique. "Regarder autrement, c’est aussi un geste politique."

© Les Productions du Verger – Visualantics

Prendre le temps, c’est aussi ce que fait le film de Lydie Wisshaupt-Claudel. Car si l’atmosphère bienveillante et le quotidien qu’on y voit s’égrener au fil des saisons ont l’air d’aller de soi, au début les enseignantes ont refusé plusieurs fois. "C’est un petit espace, avec des adultes et des enfants, alors imaginez en plus avec une caméra…"

D’abord venue en observation sans matériel, la réalisatrice a ensuite pris le temps, elle aussi : le tournage s’est fait ponctuellement sur l’espace de trois années scolaires, entre 2017 et 2020. Il a fallu ensuite faire le tri entre les 140 heures d’images traitées pour aboutir à un film d’une heure et demie. Sélectionné début avril au prestigieux festival documentaire Visions du Réel, le film est aujourd’hui également "intégré dans le volet de recherche du projet. Il s’inscrit dans la démarche de recherche créative qu’on cultive, notamment avec la CODE (Coordination des ONG pour les droits de l’enfant, NDLR). Le film de Lydie sert d’outil pédagogique, pour présenter le projet vers l’extérieur", explique Marie.

"Et puis pour nous c’est aussi utile d’avoir un regard extérieur sur ce qu’on fait. La Petite École vise à fabriquer des histoires et voir comment elles résonnent chez les autres. C’est la même démarche avec le film. Les enfants passent la journée sous notre regard, et avec ce film on peut aussi poser un regard… sur le nôtre. Une sorte de ‘regard méta’", sourit-elle.

En observant les enfants dans cet espace, les interactions avec les adultes, mais aussi les moments de recherche et de réflexion des enseignantes sur leur travail, ‘Eclaireuses’ouvre une porte mentale aux spectateurs sur d’autres rapports au monde, et questionne les écueils de nos institutions, souvent inadaptées à la complexité que représente un humain en devenir.

© Les Productions du Verger – Visualantics

Depuis la fin du tournage de Lydie, Juliette s’est envolée vers d’autres projets, mais Marie poursuit l’aventure, avec à ses côtés Alexis, Corentin ou Zineb, qui animent divers ateliers. "C’est vrai qu’au départ le projet a été fondé par deux femmes… La question de la dimension genrée ne s’est pas vraiment posée – sauf en 2019, quand on a décidé d’engager des gens. On s’est clairement dit qu’on voulait qu’il y ait des hommes aussi. Pour une question de repères : on estimait que c’était important que les enfants puissent observer les rapports hommes-femmes."

Il existe beaucoup d’enfants oubliés de l’institution scolaire

Issus de Syrie, du Sénégal, d’Érythrée ou encore de Roumanie, les petits élèves continuent d’arriver. Et si aucun·e n’est issu·e de la récente guerre en Ukraine (car déjà scolarisé·es là-bas et rescolarisé·es ici via le Ministère), ils restent très nombreux. "On espère que le film met en lumière ce type de questions plus largement. Ici on accueille une douzaine d’enfants, or le problème est bien plus large", insiste Marie.

►►► Pour recevoir les informations des Grenades via notre newsletter, n’hésitez pas à vous inscrire ici

"Il existe beaucoup d’enfants oubliés de l’institution scolaire. On espère que le projet perdure et continue de questionner la place et l’importance de ces enfants. Ça reste important d’accueillir, et de bien accueillir", conclut-elle.

"Éclaireuses" de Lydie Wisshaupt-Claudel. Documentaire. Durée : 1h30. En salles ce mercredi et sur la RTBF (Fenêtre sur doc) le 30 avril à 23h15.

Infos et dons.

Si vous souhaitez contacter l’équipe des Grenades, vous pouvez envoyer un mail à lesgrenades@rtbf.be

Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma...Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Articles recommandés pour vous