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Education aux médias : comment éviter la radicalisation en ligne ?

Le projet Precobias, un nouvel outil européen de prévention

© Precobias

Par RTBF La Première via

Le rôle des médias sociaux dans la diffusion de la propagande extrémiste et terroriste ne cesse de croître. La reconquête de l’Afghanistan par les talibans, dont la stratégie de propagande repose désormais beaucoup sur les réseaux sociaux, en est une nouvelle preuve. En 2018, une enquête européenne révélait que 77% des adolescents ont déjà été confrontés à des appels à des comportements violents sur les réseaux sociaux. Selon un récent rapport d’Europol, le risque de radicalisation en ligne n’a fait qu’augmenter depuis le début de la pandémie. Quelle approche psychologique développer pour le contrer ?

Dans le cadre du projet européen PRECOBIAS, l’Université de Gand étudie les mécanismes cognitifs qui peuvent amener un individu à se radicaliser et offre des outils gratuits aux professionnels de l’éducation.

"Une approche psychologique, qui se concentre sur l’individu et sa résilience mentale, est cruciale et doit être développée dans les initiatives d’éducation aux médias et à la citoyenneté", affirme le professeur Catherine Bouko.

PRECOBIAS, c’est quoi ?

Ce projet PRECOBIAS implique 6 partenaires, deux universités, Gand et Munich, et des partenaires de terrain. Son objectif : prévenir la radicalisation des jeunes en les sensibilisant aux biais cognitifs et en mettant en place des actions concrètes à la fois pour les jeunes et les professionnels de l’éducation.

Quand on parle d’extrémisme et de radicalisation, cela ne concerne pas que des milieux religieux, mais aussi politiques ou autres. "On peut distinguer la radicalisation de l’extrémisme, qui va un cran plus loin. Dans l’extrémisme, on a une identification positive à la violence. On considère qu’elle est un moyen légitime pour faire passer ses valeurs, propager ses idées. On ressent une hostilité envers un groupe, considéré comme extérieur à son propre groupe. "

Il s’agit ici d’un projet de prévention, qui vise à sensibiliser, qui concerne les toutes premières étapes vers la radicalisation. Il n’a pas la prétention de répondre aux problématiques de jeunes déjà radicalisés. D’autres ressources existent et sont listées par la Fédération Wallonie-Bruxelles.

"Il ne faut pas non plus imaginer que l’éducation aux médias seule pourrait convaincre des jeunes radicalisés."

Pourquoi ce sujet à l’école ?

D’abord parce que beaucoup de jeunes sont confrontés à du contenu extrémiste : 77%, c’est vraiment énorme.

Ensuite, le contexte médiatique l’explique parce que les jeunes sont de plus en plus confrontés à une multitude de sources d’information, polarisées ou pas. Il est donc extrêmement important de développer leur esprit critique pour les aider à comprendre les mécanismes mentaux qui feront qu’ils interpréteront une information d’une certaine façon et pas d’une autre.

La professeure Catherine Bouko plaide pour plus d’éducation aux médias en général dans les écoles et en particulier, pour une approche psychologique de l’individu. Et c’est intéressant pour les jeunes mais aussi pour tout citoyen, quel que soit son âge !

Comment aborder ce problème à l’école ?

Il y a actuellement assez peu de place pour l’éducation aux médias dans l’enseignement. Très peu d’écoles offrent des cours en la matière. Au mieux, le sujet est parfois inclus dans le programme d’autres cours, français, sciences sociales, psychologie…

"Certains enseignants développent bien sûr déjà l’esprit critique dans leur branche. Mais il s’agit plutôt d’un saupoudrage, qui ne permet pas de traiter l’éducation aux médias avec l’attention qu’elle mérite." observe Catherine Bouko.

L’approche de PRECOBIAS est d’offrir un manuel pédagogique prêt à l’emploi, à utiliser tel quel ou à adapter par les enseignants. L’éducation aux médias n’étant pas l’expertise première de ces professeurs, ils ont besoin d’accompagnement pour se familiariser à ces notions. Ce guide leur fait aussi gagner du temps.

Le manuel ne concerne pas que l’extrémisme mais la communication persuasive en général, y compris la publicité.

Reconnaître les biais cognitifs

Un biais cognitif est une distorsion, une déviation par rapport à la pensée rationnelle. Le cerveau prend des raccourcis mentaux pour traiter l’information.

Le biais cognitif est la conséquence de la pensée automatique, une pensée superficielle, basée sur les intuitions et les associations un peu rapides entre les idées. Le problème, c’est qu’on n’est pas conscient de ces biais cognitifs.

Parmi les 200 biais cognitifs identifiés, relevons : le biais d’autorité, le biais d’opposition entre endo- et exogroupe, le biais de confirmation, le biais de rétrospection positive, le biais de négativité, l’effet d’entraînement, l’effet des médias hostiles, le biais de supériorité de l’image, l’effet de l’humour, l’effet d’assouplissement.

Personne n’échappe aux biais cognitifs, en particulier à celui qui veut que nous ayons tendance à surévaluer nos compétences cognitives…

Les réseaux sociaux, amplificateurs de la radicalisation

Les réseaux sociaux sont un phénomène amplificateur de la radicalisation. Ils développent bien sûr des technologies qui permettent de plus en plus de repérer et de supprimer les contenus extrémistes.

"Mais le problème réside dans tout ce qui est implicite et qui passe à travers les mailles du filet, soit par un langage codé, soit parce qu’on dit sans dire, on est dans l’ambiguïté. Le discours est compris par les initiés mais n’est pas assez explicite pour être retiré des réseaux sociaux pour des raisons de liberté d’expression", souligne Catherine Bouko.

Sans oublier le fait que les algorithmes des réseaux sociaux nous inondent des sujets qui nous intéressent. Les bulles filtrantes nous enferment dans certaines idées. C’est ce qu’on appelle le biais de confirmation.

Les jeux vidéo jouent aussi un rôle particulier lorsqu’ils représentent les villes d’Iran ou d’Irak comme des villes pauvres, délabrées, où le niveau d’éducation est pauvre.

"Cela entraîne un biais d’opposition entre le groupe interne, dont on fait partie, et le groupe externe. On observe une homogénéisation du groupe externe, vu comme un ensemble indistinct, où ils sont tous les mêmes. Cela incite à déshumaniser ce groupe extérieur. Ces représentations du Moyen-Orient dans les jeux vidéo sont extrêmement schématisées, caricaturales."

C’est la même chose quand les médias parlent de 'vague migratoire', d’'invasion', tous ces termes qui déshumanisent et construisent nos représentations.

Comment expliquer cette attraction pour la radicalisation ?

Les biais sont des potentialités qui nous touchent tous : on peut tous être sensible, à certains moments, à ce genre de communication persuasive et pas à d’autres, selon le fait qu’on est en situation de stress, qu’on est en mode multitâches et que l’on doit agir vite.

Pour les jeunes en voie de radicalisation, différents facteurs interviennent : les facteurs d’incitation, d’attraction, ou les facteurs plus personnels.

Parmi les facteurs d’attraction, l’attraction par rapport à une idéologie va répondre à un besoin émotionnel, comme un désir d’aventure ou une fascination pour la violence.

"Ce sont souvent des jeunes qui ont un sentiment de mal-être, de solitude, de dépression, de difficulté à trouver leur place dans la société, de définir leur identité. Les groupes extrémistes vont exploiter ces fragilités en opposant le groupe extérieur, présenté comme une menace, et le groupe intérieur, qui propose une identité claire, rassurante, un groupe social dans lequel le jeune peut s’intégrer."
 

Ecoutez ici Catherine Bouko

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