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Éduquer au consentement, une histoire de vivre ensemble

© Getty Images

Par Sarra El Massaoudi pour Les Grenades

L’éducation au consentement est aussi importante que l’apprentissage du français, des maths et des sciences. C’est en tout cas l’avis unanime des ministres de l’Education en Australie.

Résultat : depuis janvier 2023, le consentement y fait partie intégrante des programmes scolaires, à travers les cours d’éducation physique et de la santé. Chez nous, l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (Evras) est obligatoire dès la maternelle depuis 2012. L’objectif : éveiller les enfants, adolescent.es et jeunes adultes à des thématiques telles que les émotions, les changements corporels, les sexualités, la contraception et le harcèlement. "C’est très important parce que ces sujets ne sont pas abordés dans toutes les familles. Certains enfants ont par conséquent des difficultés à reconnaître des situations qui peuvent être qualifiées de violentes", pointe Coraline Piessens, chargée de mission à la Fédération laïque des centres de planning familial.

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Près de dix ans plus tard, l’accès à ces animations reste cependant très inégal. "A Bruxelles, sur l’année scolaire 2018-19, on estime à 10% le nombre de jeunes qui ont bénéficié d’ateliers animés par des centres de planning familial. D’autres acteurs comme les centres PMS et les organisations de jeunesse font aussi de l’Evras mais le nombre d’élèves touché.es reste peu élevé." Les années suivantes, les confinements successifs ont encore réduit ces chiffres. Et depuis la reprise, une partie du public visé continue à passer entre les mailles du filet. "On prône une sensibilisation dès 5 ans. Dans les faits, on commence souvent à la fin du primaire et c’est en secondaire que les animations sont le plus souvent données. Certaines écoles sont difficiles à atteindre, peu importe le niveau."

Le consentement sexuel, mais pas que

Dans le discours public, l’éducation au consentement est régulièrement abordée sous le prisme du consentement sexuel. Son champ d’action est pourtant bien plus large. "On a tendance à le réduire à la sexualité car c’est à ce niveau-là que les choses bougent, explique Anne-Sophie Marq, chargée de projets chez Univers Santé. Mais en fait, on consent déjà à plein de choses sans nous en rendre compte : au code de la route, au fait d’arriver à 9h au travail, etc."

La chercheuse (UCL) note que nombre d’enjeux se jouent dès la maternelle. "Dans la cour de récré, j’ai un goûter et un élève me le pique, je n’ai pas consenti. Se pose aussi la question des toilettes : est-ce que l’enfant est d’accord pour que l’institutrice y vienne avec lui ou est-ce que ça le gène ?"

C’est très important parce que ces sujets ne sont pas abordés dans toutes les familles

Pour Arnaud Arys, directeur de l’Institut des Soeurs de Notre-Dame à Anderlecht, il s’agit avant tout de vivre ensemble. "A mon sens, la question centrale est ‘quelle place j’accorde à l’autre, à sa parole, sans l’envahir ?’ Le consentement peut être abordé sur un axe lié à la sexualité chez les rhétos mais pas en première secondaire. Chez les plus jeunes, ça peut tout simplement être ‘j’ai pas envie que tu prennes mon ballon’ et d’amener les élèves à respecter cela."

Certains établissements s’emparent de la question et développent leurs propres outils de sensibilisation. C’est par exemple le cas d’une école bruxelloise qui a affublé ses murs d’affiches aux slogans adaptés à des tranches d’âge spécifiques. "J’ai été très touché par cette campagne. J’aimerais faire un travail similaire dans mon école parce que ça répond à une difficulté qu’on a chez nous", commente Arnaud Arys. C’est qu’après deux ans de crise sanitaire et de cours à distance ou tout bonnement annulés, certain.es élèves n’étaient plus habitué.es à la vie en communauté. “Quand on les a récupéré.es, iels n’avaient plus les codes. Des enfants dominant.es imposent leur vision aux autres, ce qui crée des disputes de partout. Sensibiliser au consentement est une bonne réponse à cette réalité : si les élèves laissaient plus de place à la parole de l’autre, on éviterait bien des conflits."

En matière de sexualité, la validité du consentement fait parfois l’objet de désaccords : "Il ou elle m’a dit ‘non’ mais je sais que ça voulait dire ‘oui’", "ce n’est pas un viol car elle n’a pas crié", etc. Ces interprétations, pressions, hésitations autour de ce qui constitue une relation consentie sont communément appelées la zone grise. Une zone de flou qui pose question : comment éduquer au consentement dès lors que la règle n’est pas claire ? Pour Anne-Sophie Marq, la réponse est simple : "Il faut sortir de cette zone grise parce qu’elle amène de l’incertitude. Quand on dit que ‘non’, c’est peut-être ‘oui’, ça ne permet pas d’avancer. Donc quand c’est ‘non’, c’est ‘non’. Et quand c’est ‘oui’, c’est ‘oui’." Le plan Sacha (Safe attitude contre le harcèlement et les agressions), créé en 2018 pendant le festival Esperanzah !, s’inscrit par exemple dans cette philosophie.

Un postulat simple qui bouleverse les représentations dominantes des relations sexuelles et interpersonnelles. "Certains se demandent comment on va séduire désormais, ils pensent que cela n’a plus rien de naturel. Mais la séduction, c’est culturel, ça évolue avec le temps ! On va réinventer notre façon de séduire, poursuit la sexologue clinicienne. En couple, il est important d’oser communiquer dès le départ, de ne pas subir. On a le droit de dire ce qui ne nous plaît pas, de changer d’avis. J’aurais beaucoup moins de patient.es si cette vision du consentement était plus largement partagée."

“C’est du temps qu’on choisit de trouver”

En pratique, les ateliers Evras sont animés par des professionnel.le.s extérieur.es aux écoles, les enseignant.es n’étant pas formé.es pour donner ce type de modules. Ce dispositif permet également aux élèves de partager plus facilement leurs vécus et réflexions avant de débriefer de la séance avec leur professeur.e "Et puis, si un.e enfant a un flash-back et se souvient d’un épisode violent, il faut pouvoir correctement le prendre en charge dans l’urgence."

Mais un tel partenariat avec des professionnel.les de la santé a un coût. "Cela demande un investissement de la part des politiques et des écoles. Même si je ne pense pas que les écoles soient prêtes à subvenir à ce type de besoin", admet Anne-Sophie Marq. Et Coraline Piessens d’ajouter : "Dans le secteur des violences, le manque de moyens est net et les situations auxquelles sont confronté.es les travailleurs et travailleuses sont compliquées. Il y a donc beaucoup de burn-out."

Il faut sortir de cette zone grise parce qu’elle amène de l’incertitude. […] quand c’est ‘non’, c’est ‘non’.

Du côté des établissements scolaires, il s’agit aussi de trouver l’espace pour inclure l’éducation au consentement dans un programme déjà très chargé. "C’est du temps qu’on choisit de trouver. A un moment, on estime que le dispositif Evras est important et doit écraser tout le reste pendant une semaine ou à intervalle régulier", juge Arnaud Arys. Le directeur compte sur une mise en application la plus horizontale possible. "On ne doit pas venir avec notre discours d’école en disant ‘tu dois faire ceci ou cela’. Il faut laisser les jeunes s’exprimer, permettre aux plus grand.es de l’école de réfléchir et de créer des outils."

L’éducation au consentement sème par ailleurs les graines de changements sociétaux. Elle se pense donc sur le long terme. "Un médecin doit par exemple demander le consentement pour chaque acte qu’iel pose, estime Coraline Piessens. Pour que ce consentement soit libre et éclairé, le ou la patiente doit être au courant des implications de chaque acte médical et cela prend du temps. C’est pareil pour d’autres domaines, comme le fait de porter plainte."

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Pour ces professionnelles de la santé, démocratiser l’éducation au consentement répond ainsi à un besoin essentiel : réduire les inégalités d’accès à l’information. "Généraliser les apprentissages changera les mentalités de manière plus efficace que de s’adresser aux générations plus anciennes. Parmi les 18-25 ans, je vois un intérêt, une remise en question sur ces enjeux", précise Anne-Sophie Marq.

Cet intérêt croissant s’accompagne aujourd’hui de la création d’outils et de formations sur le sujet. Quant aux stratégies concertées en Evras, elles permettent d’homogénéiser ces contenus. "Cela fait bouger les choses dans certaines sphères mais pas assez dans l’ensemble de la population. D’où l’intérêt d’une éducation obligatoire pour tous et toutes."

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Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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