Un jour dans l'histoire

Einstein politique et philosophe

Albert Einstein déclare son opposition à la bombe atomique lors d'une conférence à Princeton, USA, le 14 février 1950.

© Belga/AFP

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Par RTBF La Première

Albert Einstein, l’un des plus grands savants du 20e siècle, en a traversé les grandes tragédies sans se départir de son idéal humaniste. Pierre Marage, professeur de physique et d'histoire à l'ULB revient sur Einstein, scientifique et politique, philosophe engagé, anticonformiste, lucide et courageux. "Il faut partager son temps entre la politique et les équations", disait le savant, qui aussitôt ajoutait "mais pour moi, ce sont nos équations les plus importantes".


 

C'est le 14 mars 1879, juste après l'unification allemande, qu'Einstein vient au monde, à Ulm, dans une famille de la petite bourgeoisie juive, peu pratiquante. La famille déménage rapidement à Munich. Adolescent, Albert est un esprit curieux et révolté, en particulier par rapport aux systèmes scolaire et militaire allemands. Il étudie donc à Zurich, en Suisse, dont il choisit la nationalité. Il est davantage attaché à l'humanité qu'à la notion de nationalité. La spiritualité, le mystère du monde l'interrogent beaucoup, sans trace de religiosité : il se sent profondément juif, mais pas dans le sens de judaïsme. 

Zurich est une ville très cosmopolite. Einstein y fait des rencontres déterminantes. En particulier Mileva Marić, une étudiante serbe qui deviendra son épouse : une femme en rupture avec son milieu, avec son pays, un caractère très fort, une scientifique de bon niveau dans un milieu purement masculin. Ils se sépareront en 1914, lorsqu'il sera engagé à l'université de Berlin et il ne parviendra pas à renouer avec elle, ni avec l'un de ses deux fils, autiste.

Einstein a déploré tout au long de sa vie le fait d'être plein d'amour pour l'humanité mais d'avoir tant de mal à construire des relations personnelles. Il était complètement plongé dans ses mathématiques et dans ses pensées. Cet effort conceptuel pour construire la relativité générale était titanesque et complètement obsessionnel, explique Pierre Marage. En 1917, épuisé par ses recherches, Einstein tombe malade. Il est soigné par sa cousine Elsa qu'il épousera.

Faire avancer la science

Einstein connaît admirablement le monde de la physique tel qu'il a été construit tout au long du 19e siècle. Après avoir été diplômé en physique - très intéressé par l'expérience, la manipulation, le contact direct avec la nature -, il se retrouve au bureau des brevets, de Berne, ce qui le confronte aussi à des problèmes très concrets. 

Il va s'intéresser aux grandes questions à aborder pour faire véritablement avancer la science.

"Or, il est à un moment, au tout début du 20e siècle, où il reste, dans un cadre de physique qui est essentiellement basé sur la mécanique, l'électromagnétisme et la thermodynamique, quelques questions qu'on ne parvient pas à résoudre. Ces 'petits nuages' vont amener à la révolution de la relativité et à la révolution quantique."

Bientôt, la carrière académique s'ouvre pour Einstein. Il est nommé directeur de l'Institut de Physique à Berlin. Il est invité à faire partie de l'élite des physiciens appelés à se réunir à Bruxelles, en novembre 1911, à l'initiative d'un industriel et mécène belge, Ernest Solvay. Ce congrès Solvay, ce sabbat des sorcières, comme dit Einstein, sera un événement marquant dans l'histoire de la physique.

"C'est vraiment l'échange des idées, l'intelligence en action."
 

Participants au premier Congrès Solvay de 1911
Participants au premier Congrès Solvay de 1911 © Wikipedia

Une révolution à plus d'un titre

La théorie de la relativité restreinte d'Einstein est une révolution, une rupture.

C'est une révolution au niveau technique. Elle lie l'espace et le temps, de manière qu'il en découle l'équivalence entre la masse et l'énergie, via la fameuse formule E= mc² : le changement de masse entre des atomes différents provoque un dégagement d'énergie, explique Pierre Marage.

Mais ce sera aussi une révolution sociologique extraordinaire, dans la période de grands troubles d'après-guerre. Tout le monde se mettra à dire : "Tout est relatif !", dans une mécompréhension totale de la théorie d'Einstein qui affirme au contraire que la vitesse de la lumière est une constante universelle !
 

Un homme de convictions

La personnalité non-conformiste et extravertie d'Einstein plaît beaucoup. C'est un homme qui affiche ses opinions, un homme de convictions. Il va faire une énorme tournée aux Etats-Unis et dans le monde, car sa notoriété a été formidablement renforcée par une observation astronomique qui relève de la relativité générale.

Mais il ne s'attire pas que des sympathies : en Allemagne, ses convictions pacifistes, sa judaïté lui attirent la haine et les insultes. Il sera persécuté. Ses idées scientifiques sont également remises en questions par des scientifiques allemands.

Car la guerre 14-18 a divisé aussi la communauté scientifique. Et les savants allemands seront exclus du 3e Congrès Solvay, suite à la rancune des milieux chauvins français et belges. Einstein, allemand et pacifiste, se refusera à participer à ce jeu, il boycottera le Congrès. 
 

La question juive

Einstein n'est pas religieux, mais il ressent profondément sa judéité, parce qu'il l'a apprise des non-Juifs, via les répressions et les quolibets. Il va militer pour que se crée en Palestine un Foyer national juif, dans le sens d'un rapprochement entre les deux grands peuples sémites : le peuple juif et le peuple arabe.

"Pour lui, les Juifs ont toujours mis en avant - et c'est ça qui pour lui a de la valeur - l'idéal démocratique et l'idéal social de solidarité et de tolérance, explique Pierre Marage. Il dit d'ailleurs que c'est l'idéal qui a été porté par Moïse, par Jésus, par Spinoza, par Karl Marx; c'est cette dimension solidaire qu'il cite chez ces quatre grands Juifs. Par contre, il a des paroles extrêmement dures contre le nationalisme juif qui serait anti-arabe. Il dit qu'il est très réticent à l'idée d'un Etat juif, parce que l'Etat implique oppression, implique armée, etc. Donc, le Foyer national c'est une chose. L'Etat juif, c'est autre chose."
 

Einstein militant

En mars 1933, en visite aux Etats-Unis, Albert Einstein apprend qu'Hilter a pris le pouvoir. Il décide alors de ne pas rentrer en Allemagne. Il s'arrête en Belgique.  Il restera pendant quelques mois au Coq sur Mer. Il doit être protégé par les autorités, qui ont bien du mal à surveiller cet électron libre !

La Deuxième Guerre mondiale sera une profonde remise en question dans la pensée d'Einstein, notamment en ce qui concerne le pacifisme. Dès 1932, dans des échanges avec le Roi Albert Ier, il encourage à la résistance, à un renforcement de la défense face au danger nazi.

Aux Etats-Unis, il va écrire au Président Roosevelt pour le mettre en garde contre le danger de la bombe atomique. Très concerné par la question noire, il va militer contre l'oppression raciale, s'engager contre les campagnes du Ku Klux Klan.
 

Ecoutez ici l'entretien complet


Pierre Marage est l'auteur de Albert Einstein dixit - Entre science et engagements, publié par l'ULB.

L’ULB organise une conférence: Albert Einstein, entre science et engagements,
le 21 octobre 2021 à 20h, à l'Hôtel de Ville de Nivelles.


 

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