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Election présidentielle en Turquie ce dimanche : qui est Kemal Kiliçdaroglu, le rival d’Erdogan ?

Kemal Kilicdaroglu adresse ce "cœur" à l’assemblée de son meeting préélectoral de Canakkale, dans l’ouest de la Turquie.

© OZAN KOSE – AFP

Par Myriam Baele

Les Turcs passeront une nouvelle fois aux urnes ce dimanche 28 mai, ils éliront leur président pour cinq ans. Les affiches électorales montrent le visage bien connu de celui qui est à la tête de la Turquie depuis deux décennies, comme Premier ministre d’abord puis comme président : Recep Tayyip Erdogan (AKP). Mais un rival lui fait concurrence, au coude à coude dans les sondages, et pourrait mener le pays de 85 millions d’habitants vers un virage politique. Il a 74 ans, il s’appelle Kemal Kiliçdaroglu.

Kiliçdaroglu, aux antipodes d’Erdogan

Peut-on imaginer deux profils plus différents ? Erdogan le bouillonnant, l’incisif, le tribun aux discours provocateurs. Et face à lui, un intellectuel discret sans grand charisme, au calme notoire, à l’humeur égale. Pourtant c’est bien Kemal Kiliçdaroglu qui a été désigné candidat de son parti, le CHP (le Parti Républicain du Peuple, social démocrate), ainsi que de cinq autres partis d’opposition dans une alliance inédite et hétéroclite, de la gauche à la droite nationaliste, pour viser un changement de pouvoir.

Y parviendra-t-il ? Derrière son allure austère, Kemal Kiliçdaroglu cache en tout cas une solide expertise et une longue expérience politique.

Dos à dos sur ces affiches électorales, les deux adversaires pour la Présidence de la Turquie : Recep Tayyip Erdogan (AKP) et Kemal Kilicdaroglu (CHP – coalition d’opposition).
Dos à dos sur ces affiches électorales, les deux adversaires pour la Présidence de la Turquie : Recep Tayyip Erdogan (AKP) et Kemal Kilicdaroglu (CHP – coalition d’opposition). © OZAN KOSE – AFP

21 ans de politique

Kemal Kiliçdaroglu est né en Anatolie dans la province de Tunceli, en 1948. Après une scolarité assez nomade, changeant d’école au gré des affectations professionnelles de son père, il décroche un diplôme d’économiste à l’Université Gazi d’Ankara. Puis il entame sa carrière comme expert comptable et il entre ensuite dans l’administration des finances dont il devient, plus tard, haut fonctionnaire. Il garde de ce parcours l’image d’un rigoriste des chiffres.

Il a plongé dans la vie politique à la cinquantaine pour de premières élections législatives en 2002, sous les couleurs du CHP. Il est alors élu député d’Istanbul. C’est l’année où le parti islamo-conservateur AKP de Recep Tayyip Erdogan monte au pouvoir en Turquie.

Lors de son second mandat de député d’Istanbul, Kemal Kiliçdaroglu se fait connaître davantage en dénonçant des faits de corruption au sein de l’AKP.

En 2010, Kemal Kiliçdaroglu accède à la présidence de son parti. En treize ans peu à peu, à sa manière calme et discrète, il a fait bouger les lignes de cette formation politique, premier parti d’opposition en Turquie.

Kemal Kilicdaroglu, rival de Recep Tayyip Erdogan pour la Présidence de la Turquie, en meeting préélectoral à Izmir, le 30 avril.
Kemal Kilicdaroglu, rival de Recep Tayyip Erdogan pour la Présidence de la Turquie, en meeting préélectoral à Izmir, le 30 avril. © AFP

Le CHP avait été créé par Mustafa Kemal Atatürk en 1923. C’est un parti résolument laïc, défenseur de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Un parti qui, au fil du temps, s’était rapproché de l’armée.

En 13 ans à la tête du CHP, Kemal Kiliçdaroglu a assoupli le positionnement de sa famille politique, assez pour dialoguer avec d’autres factions de l’opposition et parvenir à cette alliance préélectorale aujourd’hui. Le candidat se positionne comme le rassembleur d’une Turquie "de toutes les couleurs", laïque et religieuse, à l’écoute des minorités.

Il a l’oreille de la communauté kurde. Le Parti prokurde HDP appelle d’ailleurs à voter pour lui. Kemal Kiliçdaroglu se dit aussi publiquement membre de la communauté religieuse alévie, minoritaire mais majoritaire dans sa région d’origine : c’est une première pour un candidat à la présidentielle en Turquie.

Un moment phare a contribué à forger l’image rassembleuse de Kemal Kiliçdaroglu. C’était en 2017, dans la foulée de la tentative de coup d’État de 2016 en Turquie, qui avait été suivie d’un tsunami d’arrestations et de licenciements. Il avait organisé une marche "pour la justice" de 450 km entre Ankara et Istanbul, accompagné de plusieurs milliers de membres d’associations, de syndicats, du parti HDP ou de sympathisants.

Le 22e jour de la "marche pour la justice" organisée à l’appel du CHP en 2017.
Le 22e jour de la "marche pour la justice" organisée à l’appel du CHP en 2017. © OZN – AFP

En signature, un cœur avec les mains

Pour sa campagne électorale, Kemal Kiliçdaroglu a pris soin de conforter son image à mille lieues de celle de Recep Tayyip Erdogan. Erdogan adopte un ton martial ? Kiliçdaroglu achève ses meetings électoraux d’un cœur avec les mains. Erdogan a personnifié son pouvoir ? Kiliçdaroglu vante un projet d’équipe. Erdogan affectionne son grand palais présidentiel et les projets colossaux ? Kiliçdaroglu annonce qu’il gouvernerait dans des locaux plus petits et qu’il dépenserait avec mesure. Il publie des vidéos depuis sa cuisine pour appuyer cette image de proximité et de sobriété.

Et si Erdogan bénéficie d’une large couverture télévisée, Kiliçdaroglu s’appuie, lui, sur les réseaux sociaux, dans une volonté de glaner de jeunes électeurs.

Si le nom de Kemal Kiliçdaroglu sort des urnes, ce serait assurément un changement de ton. Mais aussi un virage politique.

La question du jour

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L’inconnue : vers un tournant politique ?

Quels seraient les premiers gestes politiques de Kemal Kiliçdaroglu s’il était élu ?

Le programme du candidat de l’alliance d’opposition propose de multiples remaniements pour "en finir avec le pouvoir d’un seul homme" et conforter la démocratie. Il entend apaiser les relations diplomatiques de son pays, notamment avec l’Union européenne. Il annonce vouloir rouvrir une voie vers adhésion de la Turquie à l’Union, adhésion pourtant gelée depuis 15 ans. Il dit aussi vouloir que la Turquie joue pleinement son rôle au sein de l’Otan.

Le candidat propose également de renouer le contact avec la Syrie de Bachar al-Assad, avec qui les relations sont rompues depuis le début de la guerre, il y a 12 ans. Il annonce sa volonté d’organiser "dans les 2 ans" le retour des Syriens qui ont trouvé refuge sur le territoire turc : officiellement 3,7 millions de Syriens se trouvent aujourd’hui en Turquie. Un retour "sur base volontaire et dans la dignité" explique un conseiller de Kemal Kiliçdaroglu à l’AFP. Le soir de cette élection présidentielle particulièrement incertaine, les Syriens établis en Turquie seront de ceux qui guetteront de près l’issue des urnes.

Selon ses résultats électoraux, Kemal Kiliçdaroglu, sous son allure calme et austère, pourrait incarner la fin et le début d’une époque en Turquie.

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