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Elections en Turquie : la victoire d’Erdogan chez les Turcs d’Allemagne suscite un malaise dans le monde politique

Communauté turque à Essen, en Allemagne, le 28 mai et R.T. Erdogan après sa victoire (illustration)

© AFP/getty

Par Belga, édité par Kevin D.

Les Turcs d’Allemagne ont voté à une écrasante majorité pour Recep Tayyip Erdogan à la présidentielle turque de dimanche, avant de célébrer en liesse sa réélection. Une situation qui interpelle en Allemagne, notamment le monde politique.

"Ces dernières années, Erdogan a bafoué la démocratie et les droits humains, a conduit l’économie et la monnaie turques vers de nouveaux records négatifs", fustige le quotidien Bild, le plus lu d’Allemagne, dans un article au vitriol. En Allemagne, deux électeurs turcs sur trois (67%) qui se sont déplacés dans les bureaux de vote ont malgré tout choisi d’accorder leur suffrage à l’ancien maire d’Istanbul, soit environ 500.000 votants sur les 732.000 ayant participé à l’élection dans le pays européen. Et la victoire d’Erdogan au terme d’un inédit second tour a suscité dimanche des scènes de joie collective dans de nombreuses régions et villes d’Allemagne. Ce qui a provoqué un certain malaise au sein de la classe politique allemande, dans un contexte de poussée de l’extrême droite.

Des drapeaux turcs sont visibles à l'extérieur d'un bureau de vote installé dans la salle Grugahalle à Essen, dans l'ouest de l'Allemagne, le 23 mai 2023, avant le premier tour des élections turques qui aura lieu le 28 mai 2023. 500 000 électeurs turcs vi
Des drapeaux turcs sont visibles à l'extérieur d'un bureau de vote installé dans la salle Grugahalle à Essen, dans l'ouest de l'Allemagne, le 23 mai 2023, avant le premier tour des élections turques qui aura lieu le 28 mai 2023. 500 000 électeurs turcs vi © Belga

Cortèges de voitures

Le ministre écologiste de l’agriculture, Cem Ozdemir, originaire de Turquie, s’en est ainsi pris au comportement électoral des Turcs en Allemagne, qui "font la fête sans avoir à répondre des conséquences de leur choix", au contraire de nombreux Turcs dans leur pays qui doivent affronter "pauvreté et absence de liberté". "Je trouve les images de cortèges de voitures extrêmement perturbantes", a renchéri l’élue conservatrice Serap Güler, elle aussi d’origine turque. Recep Tayyip Erdogan a, certes, attiré une nette majorité de suffrages parmi les Turcs de Belgique (72,31% des voix au premier tour), France (64,2%), des Pays-Bas (68,4%) ou encore du Danemark, mais l’Allemagne compte la plus grande communauté turque ou d’origine turque résidant à l’étranger, soit près de trois millions de personnes. L’élection turque n’y a donc pas le même impact. Pourquoi des centaines de milliers de Turcs, vivant parfois depuis des générations en Allemagne, une démocratie libérale, ont-ils choisi d’accorder un nouveau mandat à Erdogan, qui a restreint massivement les droits de la population et persécute les dissidents ? Il y a plusieurs explications à ce comportement électoral, estime Caner Aver, du centre d’études turques d’Essen.

"Revue de presse" du 30 mai (La Première)

La revue de presse : comment Erdogan est-il resté président ?

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Chaînes de télé

Une partie importante des immigrés turcs arrivés en Allemagne de l’Ouest dans les années 1960 et 1970, les "Gastarbeiter" ("travailleurs invités"), venaient de régions de tradition "en grande partie religieuse, conservatrice et nationaliste", explique-t-il à l’AFP. "Leur installation dans des quartiers ouvriers en Allemagne pendant des décennies a transmis au fil des générations leur attachement à ces traditions, qu’ils ont conservées comme protection contre l’aliénation et la perte d’identité", poursuit Caner Aver. Les Turcs d’Allemagne ont en outre tendance à s’informer via des chaînes turques liées à Erdogan et, donc, selon Caner Aver, "souvent non critiques". Et ceux qui pencheraient plutôt pour les opposants sociaux-démocrates du CHP ont souvent renoncé à leur citoyenneté turque pour devenir allemands, contrairement aux sympathisants de l’AKP d’Erdogan. Des électeurs turcs d’Allemagne auraient aussi, selon l’expert, une vision biaisée, façonnée lors de "séjours temporaires", de leur pays d’origine et sa supposée "modernisation" au fil du déjà long règne d’Erdogan. "Erdogan représente de surcroît pour eux un homme d’État fort, capable de s’imposer sur la scène internationale, dont ils peuvent être fiers et qui leur offre une attache émotionnelle qu’ils n’ont pas en Allemagne", où ils sont susceptibles d’être victimes de racisme et de discriminations, décrypte Caner Aver.

(...) si l’on ne crée pas un débouché affectif pour les citoyens turcs d’Allemagne, il ne faut pas s’étonner qu’Erdogan comble ce vide

Recep Tayyip Erdogan a par ailleurs "mené une campagne électorale particulièrement intense" en Allemagne et a "utilisé des associations turques", telles que les centaines de mosquées Ditib contrôlées par Ankara, selon Eren Güvercin, journaliste turc établi en Allemagne. En outre "plus de 120 politiciens de l’AKP se sont rendus en Allemagne et dans d’autres pays européens pour faire campagne". Si les politiques allemands "ne développent pas de contre-offres, si l’on ne crée pas un débouché affectif pour les citoyens turcs d’Allemagne, il ne faut pas s’étonner qu’Erdogan comble ce vide", détaille Eren Güvercin.

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