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Élections législatives anticipées en Espagne : le pari risqué de Pedro Sanchez

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Par Henry De Laguérie & Africa Gordillo via

Le 1er ministre Pedro Sanchez a annoncé hier une dissolution du Parlement espagnol. Il convoque des élections générales anticipées le 23 juillet prochain… C’est une annonce surprise qui intervient après une défaite cinglante de la gauche aux élections locales et régionales de dimanche. Le socialiste est un habitué des coups de poker mais là, personne n’avait vu venir la dissolution.

Les élections générales devaient avoir lieu à la fin de l’année. Ce sera finalement dans 53 jours. Pedro Sanchez est au pouvoir depuis 5 ans, il gouverne en coalition avec la gauche radicale, Podemos, et le soutien extérieur des formations basques et catalanes.

Mais sa popularité est en chute libre et dimanche il a reçu un véritable camouflet : la gauche a perdu cinq régions – dont Valence, les Iles Baléares ou l’Aragon – au profit des conservateurs. Plusieurs grandes villes passent également à droite comme Séville.

Au lieu d’attendre la fin de l’année, il a surpris tout le monde en annonçant des élections anticipées : "Même si les élections d’hier avaient une portée municipale et régionale, ce vote traduit un message qui va bien au-delà. Comme président du gouvernement et premier secrétaire du parti socialiste, j’assume donc personnellement ces résultats et je crois nécessaire d’y apporter une réponse et de soumettre notre mandat à la volonté populaire", a déclaré le Président du gouvernement espagnol.

Pourquoi Pedro Sanchez a-t-il pris cette décision ?

C’est un pari, un coup de poker pour assurer sa survie politique au-delà de l’été. Pedro Sanchez voit bien que les choses sont très mal engagées pour lui, d’autant que si le parti socialiste sa formation recule, son allié, Podemos s’effondre. Or, sans la gauche radicale, impossible de conserver la majorité au Parlement.
Après les mauvais résultats de dimanche, il est en très grande difficulté.

À court terme, cette décision lui permet d’éclipser la victoire de la droite. Il prend également ses adversaires de court et surtout il entend mobiliser l’électorat de gauche contre la montée de la droite et de l’extrême droite. C’est une forme de référendum autour de sa personne.

"Dimanche, lors des élections locales, le Parti Populaire à droite est arrivé en tête un peu partout. Mais pour remporter la présidence des régions, ce parti populaire a besoin de Vox. On aura des coalitions à la tête de plusieurs régions. Pedro Sanchez espère que ces coalitions qui vont se matérialiser dans les prochains jours feront réagir l’électorat de gauche", analyse le politologue Marc Cases.

Cette opération de la dernière chance peut-elle réussir ?

C’est très difficile : l’extrême gauche est divisée et affaiblie. Et nombre d’électeurs socialistes sont partis lassés par les concessions des socialistes à son allié radical. La loi trans qui permet de modifier son genre après une simple déclaration à l’état civil ou une loi mal rédigée sur le consentement sexuel ont décontenancé plus d’un électeur de centre gauche.

Alors c’est vrai, les résultats économiques de l’Espagne ne sont pas si mauvais : le chômage n’a jamais été aussi bas depuis quinze ans. La croissance est au rendez-vous. Le dialogue social fonctionne. Le salaire minimum a été augmenté, les trains du quotidien sont gratuits depuis septembre. Le gouvernement s’est battu pour faire face aux effets de l’inflation avec par exemple une exception arrachée à Bruxelles pour faire baisser le prix du gaz.

Plusieurs réformes de société sont par ailleurs saluées en Europe : la loi sur l’euthanasie, la lutte contre les violences faites aux femmes. Mais tout cela n’a pas pesé dans le scrutin de dimanche. Le discours anti Sanchez de la droite dirigée par Alberto Nuñez Feijoo et le récit d’un pays en pleine apocalypse pris en otage par les communistes et le groupe terroriste ETA – disparu il y a 10 ans – ont eu raison des bons résultats de l’Espagne.

Un bon bilan et une bonne image à l’extérieur n’ont jamais assuré de victoires électorales.

L’extrême droite en pleine progression

Vox, une formation crée il y a une dizaine d’années par des anciens du Parti Populaire est désormais la troisième force du pays. Ce parti d’extrême-droite améliore ses résultats partout. Même Barcelone, ville historiquement à gauche aura pour la première fois de son histoire récente des conseillers municipaux d’extrême droite
Les coalitions Vox PP à Valence ou aux Baléares ne sont sans doute qu’une répétition générale.

Alberto Nuñez Feijoo, candidat de la droite et possible successeur de Pedro Sanchez ne s’en cache pas, il n’hésitera pas à s’allier avec l’extrême droite s’il le faut pour gouverner.

La question était taboue il y a encore 3 ou 4 ans. Elle ne l’est plus. Vox est aux yeux de la droite traditionnelle un parti comme un autre : "La formation 'ultra' dirigée par Santiago Abascal s’est fondée autour de la lutte contre le séparatisme catalan et basque. Il a réellement décollé au moment du référendum controversé sur l’indépendance. Vox trouvait que la droite alors au pouvoir faisait preuve de faiblesse face aux indépendantistes", commente Marc Cases.

Santiago Abascal, qui porte souvent un pistolet sur lui invoque souvent les racines chrétiennes de l’Espagne. Anti immigré et anti féministe, son discours ressemble davantage à celui de Jair Bolsonaro au Bresil, de Viktor Orban en Hongrie qu’à celui de Marine Le Pen en France. Vox est surtout un "parti néo franquiste", précise le politologue Gabriel Colomé

L’Espagne va donc de nouveau entrer en campagne électorale… Une campagne qui malgré les apparences peut encore révéler quelques surprises, tant Pedro Sanchez est un redoutable stratège politique

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